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Un cas de latinisation interne du lexique français à la Renaissance : horreur et horrible dans les tragédies de Robert Garnier

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Année 1997 75 pp. 33-35
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UN CAS DE LATINISATION INTERNE DU LEXIQUE FRANÇAIS À LA RENAISSANCE :

horreur et horrible dans les tragédies de Robert Garnier

Jean-Dominique BEAUDIN

Le terme horreur, ainsi que l'adjectif qui lui correspond, horrible, mérite une attention particulière. Il est, en effet, dans les tragédies de Garnier, presque toujours employé dans ses sens étymologiques (frisson de crainte, hérissement des cheveux, mouvement de recul devant le prodige, le sacré, la transgression des lois naturelles ou morales) ; à ce titre, il constitue un bon exemple de latinisation interne, sémantique, du lexique.

1. Données étymologiques

L'étymon, horror, est un dérivé du verbe horrere qui signifie « se dresser », quand on parle des poils du corps, et, avec un complément, « frissonner devant quelque chose, à la pensée de, avoir horreur de » (Ernout-Meillet 0), p.299-300). Horror a le sens de « hérissement, frisson, horreur » (ibid., p. 300) et Gaffiot (2) confirme que le mot a d'abord ce sens physique, d'où la signification de «frisson de fièvre ou d'effroi » ; la crainte peut également être d'origine religieuse : il s'agit dès lors d'un «frisson religieux», d'une « sainte horreur » : l'exemple donné est tiré du premier livre de l'Histoire romaine de Tite-Live : perfusus honore: « saisi d'une sainte terreur».

Le terme apparaît en ancien français au douzième siècle avec le sens de « sentiment de répulsion profonde que l'âme éprouve à la vue d'une personne, d'une chose » ; « vive impression physique de répulsion et d'effroi ; ce que certaines choses ont d'effrayant » (W. von Wartburg, F.E. W. (3), tome IV, p. 488). C'est seulement, semble-t-il, en moyen français que le sens premier de « hérissement des poils » « chair de poule » est réintroduit, si l'on en croit le même auteur. Le moyen français n'ignore pas non plus le sens religieux : « caractère mystérieux et saisissant d'un lieu sacré, d'un bois », « frisson religieux ».

La consultation du Dictionnaire françois-latin de Robert Estienne (1549) montre nettement le lien qui existe entre l'horreur et la crainte religieuse : l'auteur traduit avoir en horreur par abhorrere, abominari, detestari, execrari: or, ces trois derniers termes appartiennent au vocabulaire religieux : abominari, c'est « écarter un mauvais présage », detestari, « maudire, haïr en prenant les dieux à témoin » et execrari

1 . A. Ernout et A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, 4e édition, Paris, Klincksieck, 1967.

2. F. Gaffiot, Dictionnaire illustré latin-français, Paris, Hachette, 1934.

3. W. von Wartburg, Französisches etymologisches Wörterbuch, Tubingen, Mohr, puis Basel, Hebmg-Lichtenbahn, à partir de 1922.

(où l'on reconnaît sacer), « lancer des imprécations » ; quant à horrible, il est rendu par horribilis, durus, mais aussi par execrabilis; quand horrible a le sens de « cruel a veoir », Estienne propose le latin triste ou encore horrendum. Enfin, l'expression C'est chose horrible et espouvantable à ouyr est traduite par nefandum auditu est. Or, est qualifié de nefan- dum l'indicible, ainsi que les tabous, notamment tout ce qui revêt un caractère impie, sacrilège.

Cotgrave (4) donnera, en 1 61 1 , les correspondants suivants pour horreur: loathing (dégoût, aversion), detestation, abhorring (connotations religieuses parallèles aux mots latins précédemment évoqués), dread (effroi, horreur, terreur) ; feare (crainte).

L'article horreur du Dictionnaire de la langue française du xvie siècle d'Edmond Huguet (5) met pleinement en lumière les sens étymologiques : d'abord, le sens physique de « frisson, tremblement » (Jodelle : Je sens une horreur en mes os ; Ambroise Paré : Les filles ne pouvans avoir leurs mois quelques fois sentent des frissons et rigueurs ou horreurs aux lombes et par toute l'espine du dos) ; ensuite, le sens religieux de « crainte religieuse » (Calvin : De là vient l'horreur et estonnement duquel l'Escriture souvent recite que les fidèles ont esté frappez, toutes fois et quantes qu'ilz sentoient la presence de Dieu ; Montaigne : // n'est ame si revesche qui ne se sente touchée de quelque reverence, à considérer cette vastité sombre de nos églises... Ceux mesmes qui y entrent avec mespris sentent quelque frisson dans le coeur et quelque horreur, qui les met en deffiance de leur opinion). D'une façon plus générale, l'horreur peut correspondre à la crainte de l'inconnu et du mystère : Et sont ses boscages si espais que le seul regard engendre horreur, tant ils sont obscurs et desvoyables (Thevet, Cosmographie, IX, 7).

Pour l'adjectif horrible, Huguet indique les rubriques suivantes :

1) « terrible, effrayant », avec de nombreux contextes militaires ;

2) en parlant de Dieu et des choses divines : Quand l'horrible majesté de Dieu nous vient en pensée, il est impossible que nous ne soyons espovantez (Calvin) ;

3) sens littéraire : « effrayant pour l'imagination » ;

4. R. Cotgrave, A dictionarie of the French and English Tongues, 1611.

5. E. Huguet, Dictionnaire de la langue française du xvie siècle, 7 tomes, Paris, Champion, puis Didier, 1925-1967.

L'Information grammaticale n° 75, octobre 1997

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