Territoire,
centre et marge,
identité et altérité
MICHEL MARIÉ
Je ne vois pas pourquoi la contradiction serait une trahison de la vérité parce qu'elle est une trahison de la logique de la rhétorique. La logique de la rhétorique est-elle compatible avec les logiques du réel ? Si parfois on en vient à conclure par la négative, il faut changer de rhétorique. Vive la contradiction si c'est le moyen d'y comprendre quelquechose. Paul Pascon, géographe et sociologue*
Après vingt années de bureaux d'études en Algérie, en Amérique latine et en France, Michel MARIÉ est devenu directeur de recherche au CNRS en 1976. C'est dans ce cadre qu'il a écrit ses principaux livres : Situations migratoires, ou la fonction-miroir (Galilée, 1976) ; La campagne inventée (Actes Sud, 1977) ; Un territoire sans nom (Méridiens-Klincksieck, 1982) ; et plus récemment son autobiographie intellectuelle, Les Terres et les Mots (Méridiens-Klincksieck, 1989).
Hormis chez les éthologues et les politistes (le territoire comme domaine de souveraineté nationale) le temps n'est pas si loin où la notion de territoire n'intéressait pas tellement les sciences humaines. Dans les théories du changement social qui fleurirent au cours des trente glorieuses, le territoire, que l'on identifiait le plus souvent au lieu singulier, à la société locale, n'apparaissait généralement que comme une sorte de résidu passif à réduire, et qui n'en finissait pas de disparaitre sous les coups de la modernité.
Peu nombreux étaient les chercheurs qui à l'époque, nourrissant le projet de conjuguer ce qu'il pouvait y avoir d'identitaire, d'enracinement et en même temps de translation, de transfert et de passage dans un territoire, essayaient de penser ce dernier comme « le lieu où s'opère une forme de rapport particulier entre le local et l'universel, entre le local et la modernité »2.
Si de nos jours les théories linéaires du changement sont données comme désuètes, l'apparition - ou la réapparition - de la notion de territoire dans toute sa polysémie, dans toute sa polyphonie de sens, peut sembler à certains comme une sorte de retour à l'obscurantisme, après la période des lumières. Le territoire ne serait-il pas alors l'un de ces mots-mana, l'une de ces boîtes noires dont la richesse de sens, l'indéfinition-même, aurait pour principale fonction de mettre un peu de lubrifiant dans le compartimentage croissant des savoirs et des disciplines de l'esprit ?
Sans aucunement renier l'intérêt de cette polysémie, qui m'apparait comme faisant partie d'une réalité dont les sciences sociales ne peuvent faire abstraction, j'aimerais dans cet article faire trois propositions. La première est de montrer combien, pour un homme de terrain, le passage par la notion de territoire est inhérente à sa démarche. D'une certaine façon le terrain est au chercheur ce que le territoire est à ses habitants. Sans doute faut-il voir dans cette homologie de sens une certaine opportunité pour le chercheur. Une réflexion sur le temps long de ses propres expériences et terrains successifs de recherche devrait lui permettre de construire une certaine continuité de sens dans ce qu'il nomme territoire. C'est la raison pour laquelle j'ai choisi,
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