Jean-Marie Schaeffer

Eduquer

À mon père, en piètre à-valoir pour une dette inextinguible.

À lire les polémiques médiatiques récurrentes sur l'éducation, il est difficile de se défaire de l'impression que, le souci des parties en conflit n'est pas tant d'arriver sinon à un accord, du moins à un compromis viable, que de réitérer des articles de foi considérés comme intangibles. Ce faisant, la question éducative se trouve prise dans des joutes verbales sans fin, où chacun semble mettre un point d'honneur à prouver la vérité du dicton selon lequel il n'y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Pourtant, et paradoxalement, la plupart des intervenants partent d'un même présupposé, qui est double : le rôle de l'éducation est d'œuvrer à une humanité meilleure, et c'est l'école qui doit être le lieu de cette transsubstantiation. C'est ce présupposé qui, par exemple, amène les défenseurs de l'école « républicaine » à soutenir que l'école « vise au perfectionnement de l'humanité autant qu'à la perpétuation de la république : voilà pourquoi elle est une école d'humanité1 ». Autrement dit, l'institution, qui sert à l'instruction des enfants est en même temps le lieu de l'éducation de l'humanité.

Le but du présent article est d'essayer de montrer que cette conception de l'école se fonde sur une vision philosophique très spécifique de l'humanité. Cette vision méconnaît la place de l'institution scolaire dans la reproduction sociale. Elle est aussi fondée sur une notion très réductrice de la transmission culturelle et de ses problèmes. Dans un souci de clarté j'ai subdivisé l'analyse en trois parties. La première section sera consacrée à un exposé succinct de l'idéal éducatif, conçu en tant qu'expression, d'une anthropologie philosophique qui soutient que l'accession de l'homme à son essence proprement humaine relève d'un

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