Lucien MUSSET
Peuplement en bourgage et bourgs ruraux en Normandie
du Xe au XIIIe siècle
Dans toute l'Europe occidentale, la période qui succède au paroxysme de la seconde vague des invasions, après le Xe siècle, est marquée par la naissance de nouveaux types de peuplement qui viennent compléter le système traditionnel des civitates, des vici et des villae. Il semble que l'on puisse en distinguer deux groupes principaux. Dans le premier, il s'agit de peuplements en franchise, tantôt protégés par le droit ecclésiastique, comme les sauvetés du Sud-Ouest français, tantôt liés à une politique de consolidation militaire, comme tant de bastides, tantôt enfin issus du simple désir d'attirer des habitants sur une terre jusque là inexploitée, comme la plupart des « villes neuves » du Bassin Parisien. Le second groupe, plus complexe et moins localisé, est constitué par les bourgs. Né dans l'Ouest et le Centre de la France, il se multiplia en se transformant jusqu'à affecter presque tout le Nord-Ouest du continent. Son histoire n'a pas manqué d'attirer l'attention des érudits. Mais il nous semble que la plupart des juristes n'ont pas marqué avec une netteté suffisante que le phénomène avait été rural tout autant qu'urbain ou suburbain. Quant aux historiens, si, à la suite de Robert Latouche1, ils ont rarement sous-estimé cet aspect du problème, ils nous semblent avoir été trop portés à généraliser des observations locales, valables pour le Maine, à propos duquel on les avait formulées, et peut-être pour certaines autres régions de bocage, mais non pour l'ensemble de la France de l'Ouest. En essayant de redresser ces erreurs d'optique, d'esquisser les traits généraux — encore largement conjecturaux — de l'histoire des bourgs, et plus spécialement des bourgs ruraux, nous nous attacherons particulièrement à l'aspect normand du phénomène, dont la signification n'a encore été indiquée que dans des articulets très dispersés2.
I. — Définitions et origines
Pour envisager sainement le problème, il faut d'abord régler, avec une méticuleuse prudence, quelques questions de vocabulaire. Les médiévistes doivent renoncer à un confusionnisme trop longtemps accepté. Qu'ils cessent d'appeler « bourg », comme le font nos contemporains, toute agglomération de moyenne importance, ou, comme dans l'Ouest français, simplement tout village situé au centre d'une paroisse, et qu'ils renoncent à baptiser « bourgeois » tous les citadins, ou tous
1. R. I/Atouche, Un aspect de la vie rurale dans le Maine au XIe et au XIIe siècle: l'établissement des bourgs, dans « Moyen âge », t. XL,VII, 1937, p. 44-64.
2. L,. Musset, Une transformation du régime seigneurial : l'essor des bourgs ruraux normands (XIe-XIIe siècles), dans « Rev. liistor. de droit fr. et étr. », 1948, p. 169-170 (résumé) ; La mise en valeur de la forêt de Gouffern au moyen âge et le bourg rural de Saint-Xicolas de Vignats, dans « Bull. Soc. Antiq. Normandie », t. 1,11, 1952/54, p. 223-248 ; Recherches sur les bourgs et les bourgs ruraux du Bocage normand, dans « I,e Pays bas-normand », t. 1,111, i960, p. 86-94. Mais il ne faut pas oublier l'ouvrage fondamental de R. Géxhstal, La tenure en bourgage dans les pays régis par la coutume de Xormandie, Paris, 1901, point de départ nécessaire de toutes les études normandes en la matière.
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