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Pourquoi Érec se décide-t-il à partir en voyage avec Énide?

[article]

Année 1964 7-26 pp. 179-185
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MÉLANGES

Pourquoi Érec se décide-t-il à partir en voyage avec Énide ?

Pourquoi Érec se décide-t-il à partir en tournée aventureuse avec sa femme ? L,a question est épineuse et reste encore à résoudre, car Chrétien a négligé de nous dire ce qui motive le départ de son héros1 — il a même affirmé que son texte suffit seul à nous renseigner là-dessus sans explication aucune de sa part2 — et son silence a laissé les critiques libres d'inventer à leur guise des explications dont nulle cependant n'a su s'imposer comme concluante. Toutes les théories avancées jusqu'ici pour suppléer au silence de Chrétien ont leurs défauts et leurs faiblesses, de sorte qu'un critique récent a désespéré de trouver en Érec la « belle conjointure » dont l'auteur se vante dans sa préface, et s'est résigné à n'y voir qu'une simple série d'aventures sans suite et sans lien3, tandis qu'un autre, moins pessimiste, a cherché une solution dans le compromis en tâchant de concilier les trois théories principales émises jusqu'à présent4.

Une lecture attentive du roman m'a persuadé, néanmoins, que compromis et désespoir sont également déplacés ici, et qu'un parti beaucoup plus catégorique est à prendre. Car, lorsqu'on le regarde de près, on voit qu'effectivement il y a dans ce conte des passages qui nous permettent de nous former une idée bien nette des mobiles qui déterminent le départ d'Érec. Seulement, et ceci est à retenir, il faut étudier ces passages dans leur contexte et, avant de les aborder, il faut savoir se débarrasser de toute idée fixe et préconçue sur le poète et le héros courtois.

J'ai donc l'intention d'examiner les passages en question et de démontrer ce que nous pouvons en déduire au sujet des mobiles qui poussent Érec à partir avec sa femme « en aventure » : et, si je tiens tellement à rouvrir cette question, c'est que la compréhension de la structure et de la signification du roman en dépend. Certes je ne pourrai pas traiter à fond ici ces deux questions, qui vont être le sujet d'un autre article, mais j'en dirai peut-être assez pour indiquer que, loin d'être une composition défectueuse comme certains l'ont prétendu, le roman à' Érec et Énide est un véritable chef-d'œuvre, sinon le plus beau de tous les romans que nous devons à Chrétien de Troyes.

L,es passages dont nous avons à nous occuper se trouvent entre le vers 2762 (c'est le moment où Érec quitte la cour de son père) et le vers 5212 (celui où il se décide à regagner la cour d'Arthur). Ils comprennent : a) les remarques qu'Érec adresse à Énide au cours de leur voyage ; b) l'impression qu'il

1 . Les critiques suivants ont accusé Chrétien de nous avoir laissés dans l'obscurité sur ce point : G. Paris, compte rendu de Foerster, Erec und Enide, dans « Roinania », t. XX, 1891, p. 162 ; F. L.OT, Nouvelles études sur la provenance du cycle arthurien, ibid., t. XXVIII, 1899, p. 355 ; K.S. Shelden, Why does Chretien's Érec treat Enide so harshly? dans « Romanic Review », t. V, 1914, p. 115 ; M. Roques, Érec et Énide, Paris, 1952 (« Class. franc, moy. âge »), p. xxii ; W.S. Woods, The Plot Structure in Four Romances of Chrestien de Troyes, dans « Studies in Philology », t. I,, 1953, p. 9.

2. Erec, 6420/24 : « Mes cuidiez vos que je vos die/quex acoisons le fist movoir?/Naie, que bien savez le voir /et de ice, et d'autre chose, /si cou ge la vos ai esclose. » I/interprétation d'ucotsons comme k raison » (soit dans le sens de « motif », soit dans le sens de « cause ») se défend ici sur deux points, a) Le mot s'emploie dans ces deux sens au xnc siècle. (Pour acoisons,'« motif », voir Marie de France, Eais, éd. Ewert, Oxford, 1952 ; Fresne, 267/70 ; Thomas, Les fragments du ' Roman de Tristan ', éd. Wind, Genève, i960 ; Douce, 648/50 ; Chrétien, Cliges, Paris, 1957 (« Class. franc, moy. âge »), 2225/26 ; pour acoisons'» cause », voir Marie de France, Lais, Equitan, 108/9 ; Thomas, Tristan, Douce, 670/1 ; Turin, 238/41 ; Chrétien, Cliges, 3014/9.) — b) Ce genre de question passionnait les cercles courtois du xne siècle. Ainsi Thomas invite ses auditeurs à décider lequel de ses quatre amants est le plus à plaindre : Marc, sa femme, Tristan ou la femme de Tristan (Turin1 71-183) ; Marie de France pose un problème tout à fait semblable dans son Chaitivel, tandis que dans Cliges Chrétien s'embarque sur une longue discussion — qu'il adresse à un public de connaisseurs — sur le rôle de la crainte dans l'amour (3819/56).

3. W.S. Woods, op. cit., p. 9, 14-15.

4. J. Frappier, Chrétien de Troyes et son œuvre, Paris, 1957, p. 97-100.

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