II. LA TRADITION DE LA CULTURE CLASSIQUE

Poésie, politique et religion à l'époque carolingienne*

Nul n'ignore que le « siècle de Charlemagne » (comme on dit « le siècle de Périclès, d'Auguste ou de Louis XIV ») a constitué une véritable Renaissance, que du reste on appelle souvent la « Renaissance carolingienne », et qui sans doute mérite ce titre beaucoup plus que toute autre période ainsi dénommée. Je ne vais pas, bien entendu, retracer l'histoire de cette période, qui a vu, entre 760 et 815, la monarchie franque imposer son autorité à l'ensemble de l'Europe occidentale et y recréer les structures étatiques solides qui avaient été celles de l'Empire romain. Je me limiterai ici au domaine culturel, et je rappellerai pour commencer un phénomène en apparence mineur, mais qui peut être considéré comme ayant valeur de symbole et dont l'importance a d'ailleurs été considérable : l'émergence de cette écriture qu'on appelle la « minuscule Caroline », qui allait se substituer aux multiples écritures nationales, voire régionales, qui s'étaient développées un peu partout en Europe ; la complexité et la diversité de ces écritures étaient telles que les textes écrits dans telle région étaient à peu près illisibles dans telle autre. En revanche, avec cette écriture nouvelle, emblématique de l'unité impériale (et dont on pourrait comparer la création à ce qu'est aujourd'hui celle de l'« euro » — la monnaie unique européenne), l'unification à la fois politique et culturelle de l'Europe devenait possible. Au demeurant, sa clarté et sa lisibilité parfaites allaient lui permettre de traverser les siècles et de conquérir le monde, puisque notre actuelle « minuscule d'imprimerie », appelée à tort « romaine », n'est autre, pour l'essentiel, que la minuscule Caroline, toujours en usage et pour encore longtemps sans doute !

S'ajoutait à cela la restauration de la langue latine, voulue par Charlemagne, grâce à laquelle l'Europe allait être dotée d'une langue universelle de communication et de diffusion de la culture (cette fois, malheureusement, l'actuelle construction européenne