La vigne et l'olivier Réflexions sur le chant II des « Géorgiques »*

Sous ce titre un peu sibyllin (mais le sous-titre vous éclaire, il s'agit de suivre, une fois de plus, Virgile dans la nature italienne), je voudrais vous inviter à un triple voyage : à travers le temps, comme nos études nous y accoutument — et cette fois vers ces années 38 à 29 avant J.-C, pendant lesquelles le poète composait les Géorgiques — à travers l'espace ensuite, vers cette Italie que Virgile aimait, et qui était l'objet de sa méditation — vous proposer, enfin, un troisième dépaysement, plus subtil, plus difficile, aussi, à réaliser, un voyage qui nous ferait abandonner un instant nos idées reçues de modernes, nos conceptions familières, les postulats informulés de notre mentalité, pour tenter de retrouver celle des hommes dont la génération vit s'opérer, et contribua à réaliser la grande transformation du monde que fut la naissance douloureuse, sanglante, de l'Empire. C'était un monde qui naissait sur les ruines de l'ancien ; et comme il arrive bien souvent, ce qui était le plus évident, c'était la mort de celui-ci, bien plus que la promesse de l'autre. L'angoisse et l'espoir furent alors, plus que jamais, les deux visages du présent, et cela n'est pas sans nous rendre le temps de Virgile plus proche de nous, peut-être, que nul autre.

Mais, dans ce retour vers une Italie antique, nous pouvons nous aider des images que nous offre l'Italie de nos jours. S'il est très difficile de reconstituer, à l'aide des vestiges archéologiques, la réalité urbaine de la Rome augustéenne, il l'est un peu moins de retrouver, avec les villages qui se dressent toujours sur les collines de l'Italie centrale, entourées de leurs vignes et de leurs olivettes, avec leurs pâturages de montagne, les bois et les vallons des saltus, la réalité rustique d'une Italie quasi immuable, et sinon tout à fait inchangée depuis Virgile, du moins longtemps immobile. L'Italie de Virgile n'est pas celle que viennent visiter les touristes de notre temps ; elle vit, loin des autoroutes, préservée des transformations qu'en d'autres lieux imposent aux hommes les imaginations d'un urbanisme inhumain. Peut-être ces villages sont-ils préservés par leur pauvreté : ils laissent à leurs habitants le soin de vivre.