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Le sortilège du quartier : quand le lieu est censé faire lien. Cadre cognitif et catégorie d'action politique

[article]

Année 1999 82 pp. 142-154
Fait partie d'un numéro thématique : Les échelles de la ville
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Philippe Genestier

LE SORTILÈGE DU QUARTIER :

QUAND LE LIEU EST CENSÉ FAIRE LIEN

CADRE COGNITIF ET CATÉGORIE D'ACTION POLITIQUE

S# il est une évolution marquante des idées et des pratiques dans le domaine des politiques publiques, c'est le changement de l'échelle à partir de laquelle est considéré le monde social. En une généra¬ tion le système de compréhension de type détermi¬ niste et holiste, qui s'imposait à l'imaginaire de tous, a été délaissé. Selon lui les faits d'importance relevaient de la macro-économie, de la démographie et du mou¬ vement de grands collectifs. Mais depuis les années 1970 un autre système d'intelligibilité s'est progressi¬ vement forgé et répandu. Caractérisons-le, pour être bref, par les épithètes «d'individualisme », de «prag¬ matisme » et «d'herméneutique » l. C'est-à-dire un système de lecture du monde où les structures englo¬ bantes et socialisatrices (la nation, la classe, par exemple) semblent s'être éclipsées et où la vision d'une détermination du destin de chacun par les lames de fond de l'histoire a été remplacée par les micro-élabo-rations, par les interactions que l'individu déploie dans son milieu et ses réseaux. Dans le même temps, la per¬ sistance d'un monde commun, d'une régulation socié-tale (que l'on qualifie d'ailleurs aujourd'hui par l'ex¬ pression «lien social », terme significatif par les connotations basistes et élémentaristes qu'il véhicule), semble relever de l'accès de tous les individus à un code de significations partagées : une intersubjectivité.

La question qui se pose alors est la suivante : si, dans l'imaginaire déterministe et holiste, l'espace physique et l'échelle du lieu étaient considérés comme seconds, voire secondaires, dans l'imaginaire qui domine aujourd'hui, le rôle et la fonction accordés à l'espace local ne se trouvent-ils pas revalorisés de fait ? Autre¬ ment dit, puisqu'il semble avéré que dans les années 1960 une unité de pensée existait, qui découlait du partage de mêmes catégories de pensée et de mêmes cadres de raisonnement (le structuralo-fonctionnalisme liant intimement l'action publique urbaine, centralisée et «technocratique », avec l'épistémologie déterministe et holiste des sciences sociales d'alors), aujourd'hui un accord de fond ne règne-t-il pas semblablement quant à la conception de la nature du réel ? Ce qui produisit à l'époque une accréditation réciproque des partenaires sécréta aussi une puissante légitimité à agir ; et cela malgré l'occultation d'une part de la réalité qui en

découlait (les travaux de Jean Maglione et de Jacques Dreyfus, notamment, en témoignent). Un tel travers ne risque-t-il pas de se manifester à nouveau ? Si une communauté de perception du monde social s'établit entre les orientations scientifiques du moment et les nouvelles politiques locales, celle-ci n'est-elle pas, une fois encore, porteuse de possibles effets de distorsion ou de leurre ? Affronter cette question suppose d'ana¬ lyser quelles sont les conditions matérielles et idéolo¬ giques qui imposent aujourd'hui le rapprochement entre savoir et action, et quels sont les effets de l'una-nimisme qui en découle2 ?

Il existe aujourd'hui une pensée répandue, cohé¬ rente et opératoire, qui tire sa force de conviction à la fois de sa nature morale (l'accès de tous à la ville, à la «civilisation urbaine », à «l'espace public », à la «reconnaissance »... énoncés comme des remèdes aux «fragmentations urbaines », aux «déchirures du tissu spatial et social », aux «ségrégations ». . .) et d'une épis-témologie individualiste et subjectiviste3 (l'individu vu comme sujet éprouvant et comme personne éprise d'estime de soi et de reconnaissance par autrui). Il s'en suit une focalisation du regard, à la fois pour établir le diagnostic et pour concevoir la thérapeutique, sur l'es¬ pace à l'échelle de l'espace physique : la ville, le quar¬ tier. Comment cette focalisation de l'attention et cette circonscription de l'imaginaire technique et politique ont-elles été rendues possibles, alors qu'une telle pos-

1 . Sur le «tournant pragmatique et herméneutique des sciences sociales », cf. F. Dosse, L'empire du sens, éd. La Découverte, 1995.

2. Il convient de préciser la nature de mon propos : il ne s'agit nullement de nier qu'il existe des zones où se concentrent des populations en grande diffi¬ culté, que des situations d'urgence s'imposent aux gestionnaires de ces terri¬ toires. Ce qui sera ici interrogé, c'est selon quel schème de pensée en arrive-ton à référer aujourd'hui la cause du malaise social de ces quartiers, au moins en partie, à ces quartiers eux-mêmes ?

3. Cf. les tendances des sciences sociales représentées, par exemple, par la «sociologie de la honte » de V. de Gaulejac, Les sources de la honte, Desclée de Brouwer, 1 996, ou La sociologie de l'esprit, Paris, Presses Universitaires de France, 1997, et La phénoménologie du lien civil, de P. Pharo, Paris, l'Har¬ mattan, 1992.

Les Annales de la Recherche Urbaine n° 82, 0180-930-III-99/82/p. 142-153 © METL.

142 LES ANNALES DE LA RECHERCHE URBAINE N° 82

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