Elsevier

Bulletin du Cancer

Volume 97, Issue 4, April 2010, Pages 475-482
Bulletin du Cancer

Le carcinome nasopharyngé en Afrique du Nord et dans le Sud-Est asiatique : entre similitude et différenceNorth African and Southeast Asian nasopharyngeal carcinomas: between the resemblance and the dissemblance

https://doi.org/10.1684/bdc.2010.1090Get rights and content

Résumé

Le carcinome nasopharyngé (NPC) représente une entité distincte des autres tumeurs de la tête et du cou, principalement par son association constante avec le virus d’Epstein-Barr (EBV) et sa répartition géographique inégale. Ce carcinome pose un sérieux problème de santé publique dans de nombreux pays, particulièrement le Sud-Est asiatique et l’Afrique du Nord où les incidences enregistrées sont les plus élevées. Au cours de cette décennie, un effort considérable a été déployé pour définir les bases moléculaires du NPC. Toutefois, l’analyse de certains paramètres cliniques et biologiques du NPC nord-africain et sud-est asiatique a montré des différences notables suggérant ainsi des différences au niveau des facteurs et des mécanismes étiologiques mis en œuvre. La première caractéristique distinctive du NPC nord-africain est la répartition bimodale des malades en fonction de l’âge avec un premier pic vers l’âge de 50 ans et un second autour de 15-20 ans qui n’est pas observé dans le NPC asiatique. Dans cette forme juvénile de NPC, les études immunohistochimiques retrouvent une expression moins importante des deux protéines clés du contrôle apoptotique, p53 et Bcl-2, et au contraire une expression plus importante du récepteur cellulaire c-kit et de l’oncoprotéine virale LMP1. En outre, les modifications des anticorps anti-EBV circulants sont moins informatives pour le diagnostic de la forme juvénile que pour celui de la forme adulte du NPC nord-africain. Par ailleurs, la majorité des souches EBV nord-africaines détectées au niveau tumoral présentent un profil génotypique distinct de celui décrit dans les séries sud-est asiatiques (avec une prédominance des polymorphismes F, D, H1-H2, XhoI+ et f, C, H, XhoI– respectivement). En revanche, des études préliminaires portant sur les anomalies chromosomiques ou les phénomènes de méthylation aberrante aboutissent à des résultats similaires à ceux rapportés pour les séries du Sud-Est asiatique soulignant ainsi l’existence de mécanismes fondamentaux communs à toutes les formes de NPC, quelle que soit l’aire géographique.

Abstract

Nasopharyngeal carcinoma (NPC) is an unusual head and neck cancer because of its unequal geographical distribution and its consistent association with the Epstein-Barr virus (EBV). This malignant tumor poses a serious public health problem in many countries, especially in Southeast Asia and North Africa where the recorded incidence are highest. During the past decade, a growing number of studies were undertaken to define the molecular basis of NPC. However, the analysis of several clinical and biological parameters of North African and Southeast Asian NPCs has shown notable differences, suggesting that they could result from a distinct combination of etiological factors. One intriguing characteristic of North African NPC, concerns its bimodal age distribution with a secondary peak of incidence in the range of 15-25 years, not observed in Asian NPC. In this juvenile form of NPC, immuno-histochemistry assay has shown that the two key proteins controlling the apoptotic-survival balance p53 and Bcl-2 are less frequently expressed whereas the transmembrane tyrosine-kinase receptor c-kit and the main EBV oncoprotein LMP1 were more abundant. In addition, the EBV serological alterations are less informative for the diagnosis of the juvenile compared to the adult form. In addition, most North African NPCs contain EBV strains with genetic polymorphisms distinct from those described in the Southeast Asia series (predominance of F, D, H1-H2, XhoI+ and f, C, H, XhoI– respectively). In contrast, studies relating on tumor chromosomal alterations or aberrant promoter methylation result in data very similar to those obtained from the Southeast Asia series, supporting the concept of a common molecular basis for all NPC regardless of patient geographic origin.

Introduction

Le carcinome nasopharyngé (NPC) est une entité bien particulière parmi l’ensemble des carcinomes épidermoïdes de la tête et du cou. Il a, ainsi, longtemps interpellé cliniciens et biologistes du fait de sa répartition géographique tout à fait inégale : fréquent en Asie du Sud-Est, principalement en Chine du Sud (incidence annuelle de 25/100 000 habitants à Canton) et à un moindre degré en Afrique du Nord, au Vietnam, au Kenya, au Groenland, au Soudan (incidence annuelle de 3 à 8/100 000), alors qu’il est rare en Europe et en Amérique du Nord (incidence annuelle inférieure à 1/100 000 habitants) [1]. D’autres particularités caractérisent ce carcinome, telles que l’association constante au virus d’Epstein-Barr (EBV), la fréquence élevée des formes histologiques indifférenciées avec un stroma lymphoïde et la bonne sensibilité au traitement par radiothérapie et chimiothérapie [1]. En Afrique du Nord comme dans le pourtour méditerranéen, les NPC se distinguent par une répartition bimodale selon l’âge, avec un pic d’incidence principal autour de 50 ans (forme adulte), également observé dans les NPC sudest asiatiques, et un deuxième pic moins important autour de 15-20 ans (forme juvénile) qui représente environ 20 % des patients [2, 3].

L’étiologie du NPC est multifactorielle et non encore totalement élucidée. La contribution des facteurs environnementaux est démontrée par le rôle déterminant de certaines habitudes culinaires traditionnelles qui sont variables suivant les populations concernées. L’initiation des lésions précancéreuses paraît associée à des altérations génétiques (perte ou gain chromosomiques) et épigénétiques (hyperméthylation de promoteurs), principalement au niveau des régions chromosomiques 3p et 9p [4, 5]. À un stade ultérieur, l’infection latente par l’EBV de cellules épithéliales nasopharyngées prémalignes aboutirait à l’émergence d’un clone pleinement transformé [5, 6]. À noter également la surexpression de protéines potentiellement oncogéniques telles que EGF-R, Bcl-2 et Bcl-X, en outre [7., 8., 9.] et paradoxalement, l’accumulation de la protéine p53 bien qu’elle soit rarement mutée dans les NPC [10, 11].

Bien que l’étude de ces événements dans les NPC nord-africains soit limitée, certaines particularités biologiques liées ou non à la forme juvénile sont évoquées. Dans cette revue, nous nous proposons de rassembler les principales données biologiques concernant le NPC nord-africain en les comparant aux données relatives au NPC du Sud-Est asiatique. Les données nord-africaines proviennent soit de nos travaux réalisés dans le cadre du groupe d’étude sur les NPC du Sud tunisien, soit de travaux publiés par d’autres équipes maghrébines.

Section snippets

Études immunohistochimiques

L’étude par immunohistochimie de l’expression desprotéines p53, Bcl-2 et Bcl-X, réalisée par notre groupe sur les deux formes juvénile et adulte de NPC, était parmi les premières à mettre en évidence des particularités distinctes du processus oncogénique pour le NPC nord-africain ou pour la forme juvénile par rapport à la forme adulte. En effet, nous avons montré une expression moins abondante de p53 et de Bcl-2 dans la forme juvénile par comparaison à la forme adulte [3, 9]. Étant donné que

Études de la réponse humorale anti-EBV

Le développement du NPC s’accompagne de changements quantitatifs et qualitatifs importants des anticorps circulants dirigés contre des protéines d’EBV. Plusieurs équipes se sont efforcées de mettre à profit ces changements soit pour contribuer au diagnostic précoce, soit pour faciliter le suivi postthérapeutique. Classiquement, les anticorps IgA anti-EA (early antigen) et anti-VCA (viral capsid antigen) étaient les plus recherchés par la technique d’immunofluorescence indirecte chez les malades

Études du polymorphisme génétique de l’EBV

Du fait que l’EBV est un virus ubiquitaire dans l’espèce humaine alors que la répartition mondiale du NPC est inégale, plusieurs auteurs ont suggéré la diffusion de certaines souches virales plus agressives et moins immunogènes dans les populations à risque de NPC, mais on peut aussi avancer que cette population est plus susceptible au virus ou à son activation.

L’étude du polymorphisme génétique des souches EBV chez les malades NPC a fait l’objet de plusieurs travaux réalisés dans les

Études d’altérations chromosomiques

Comme pour les autres pathologies tumorales, le développement du NPC implique l’accumulation de changements génétiques multiples qui affectent certains gènes suppresseurs de tumeur (GST) ou oncogènes favorisant ainsi l’évolution clonale de la cellule néoplasique.

Dans les prélèvements tumoraux de NPC sud-est asiatique, la recherche brute et complète des différentes anomalies chromosomiques par hybridation génomique comparative (CGH) a montré, d’une part, des pertes au niveau des régions

Études d’altérations épigénétiques

Outre les causes génétiques, l’explosion récente de la connaissance des acteurs moléculaires modulant la structure de la chromatine et l’expression des gènes a souligné le rôle prépondérant joué par les altérations du programme épigénétique dans l’initiation et la progression de nombreux cancers.

L’hyperméthylation de promoteurs de certains GST impliqués dans divers processus, tels que la réparation, l’adhésion, le contrôle du cycle cellulaire ou l’apoptose, a été récemment décrite dans le NPC

Conclusion

Le NPC demeure un sérieux problème de santé publique dans certaines régions du monde, notamment au Maghreb où l’atteinte des sujets jeunes est importante [59]. Les données actuelles des facteurs étiologiques sont prometteuses et laissent espérer le développement de nouvelles thérapies ciblées. Néanmoins, ces données montrent certaines particularités géographiques distinctes pour les pays sud-est asiatiques et nord-africains. À court terme, le dépistage précoce et l’application de nouveaux

Conflits d’intérêts

aucuns.

Remerciements

Nous remercions le Pr Jaap Middeldorp, Amsterdam, Pays-Bas ; la Direction générale de la recherche scientifique et technique (DGRST), Tunisie ; le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Paris et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Paris.

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