Mise au point
Mise au point sur la leptospiroseUpdate on leptospirosis

https://doi.org/10.1016/j.revmed.2018.12.003Get rights and content

Résumé

La leptospirose est une spirochétose zoonotique ubiquitaire dont l’incidence globale et en France est grandissante et probablement sous-estimée. Longtemps maladie associée au contact professionnel avec les animaux (rats et bétail) la leptospirose est devenue dans les pays développés une pathologie plutôt liée aux activités récréatives avec exposition à l’eau douce (canoë/kayak, baignade, canyoning) et à un environnement contaminé par l’urine de rongeurs excréteurs de leptospires. La leptospirose doit faire partie des diagnostics différentiels à évoquer devant une fièvre au retour de voyage en zone tropicale, particulièrement d’Asie du Sud-Est, notamment en période de saison humide. La clinique notamment à la phase initiale est peu spécifique et se résume parfois à un syndrome grippal ou « dengue-like » rendant le diagnostic difficile. Il convient alors de chercher rigoureusement les arguments cliniques (douleurs musculaires, toux, atteinte conjonctivale, ictère) et biologiques (thrombopénie, cholestase, rhabdomyolyse, élévation franche de la CRP) qui permettront d’évoquer le diagnostic et d’envisager rapidement une antibiothérapie avant l’évolution vers une forme sévère ictérohémorragique (maladie de Weil) ou respiratoire associée à une mortalité importante. Le traitement repose principalement sur l’usage de bêtalactamines injectables dans les formes sévères (céphalosporines) et sur l’amoxicilline, la doxycycline ou l’azithromycine dans les formes non sévères. Certaines formes atypiques ou tardives survenant dans la phase immunitaire de la pathologie sont à connaitre (uvéite, encéphalite). Des outils de diagnostic rapides sont à l’étude pour améliorer le diagnostic en contexte d’isolement et faciliter l’accès à un traitement précoce.

Abstract

Leptospirosis is a worldwide spirochetal zoonosis whose global incidence is increasing and is probably underestimated. Leptospirosis has long been associated with occupational contact with animals (rats and cattle) and has become in developed countries a pathology more related to recreational activities with exposure to fresh water (canoeing, swimming, canyoning) and to an environment contaminated by urine from leptospires excretory rodents. Leptospirosis should be one of the differential diagnoses to be considered when returning from travel to tropical areas, particularly Southeast Asia, and particularly during the rainy season. The clinical symptoms, particularly in the initial phase, are not specific and can limit to a flu-like syndrome or “dengue-like” making diagnosis often difficult. It is then necessary to look carefully for clinical (muscle pain, cough, conjunctival involvement, jaundice) and biological arguments (thrombocytopenia, cholestasis, rhabdomyolysis, frank elevation of CRP) that will help to diagnose leptospirosis and lead to quick antibiotic therapy before the progression to a severe icterohaemorrhagic (Weil's disease) or respiratory form associated with significant mortality. Treatment is based on injectable beta-lactams in severe forms (mainly cephalosporins) and amoxicillin, doxycycline or azithromycin in non-severe forms. Some atypical or delayed forms of leptospirosis occurring in the late immune phase of the disease are to know. Rapid diagnostic tools are currently being studied to improve diagnosis in remote areas and facilitate access to early treatment.

Introduction

La leptospirose est une zoonose bactérienne de répartition mondiale. Elle a longtemps été désignée par plusieurs entités qui dessinent son spectre clinique : « fièvre des marécages », « fièvre d’automne », « fièvre des rats », « jaunisse hémorragique ». Sa première description clinique remonte à 1886 par Adolf Weil un médecin allemand qui a légué son nom à la forme sévère de la pathologie. Les travaux d’isolement de la bactérie responsable de la pathologie ont été publiés pour la première fois en 1915 au Japon par Inada et al. [1]. L’intérêt porté à la leptospirose est régulièrement stimulé par des épidémies survenant au cours d’événements sportifs [2], ou de catastrophes naturelles principalement inondations et cyclones [3], [4]. À l’échelon mondial ainsi qu’en France son incidence est en augmentation ces dernières années [5], [6]. Sa présentation est très variable en termes de signes cliniques et de gravité. Il existe de nombreux diagnostics différentiels qui peuvent, en l’absence d’exposition identifiée au risque de leptospirose, induire le clinicien en erreur et entraîner un retard thérapeutique potentiellement préjudiciable [7]. L’objectif de cette mise au point est de décrire brièvement l’épidémiologie, l’histoire naturelle, la physiopathologie, la présentation clinico-biologique, les méthodes diagnostiques, la prise en charge et les dernières avancées de la recherche dans le domaine.

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Taxonomie

La leptospirose est une infection liée à une bactérie du genre Leptospira spp. appartenant à l’ordre des spirochètes. L’identification de l’espèce et la classification repose désormais sur une analyse phylogénétique des séquences d’ADN ribosomal. Parmi ces espèces certaines sont saprophytes et sont retrouvées uniquement dans l’environnement sans infecter d’hôte animal (ex. L. biflexa). D’autres espèces sont considérées comme pathogènes (ou intermédiaires) et peuvent infecter des animaux y

Physiopathologie

Après avoir pénétré l’organisme par les muqueuses ou la peau lésée, les bactéries interagissent avec l’hôte via de nombreuses adhésines [19] pour entraîner rapidement une bactériémie. L’échappement au système immunitaire repose notamment sur la capacité des leptospires à résister à l’action des cellules phagocytaires [19] et à la neutralisation de l’action du complément [20]. Après pénétration de la paroi vasculaire les leptospires diffusent de façon hématogène à l’ensemble de l’organisme et

Mondiale

La leptospirose est présente dans toutes les régions du monde ce qui en fait la zoonose la plus répandue. Une publication récente rapporte des taux d’incidence annuelle de 1 million de cas (IC95 % : 434 000–1 750 000) avec une mortalité estimée autour de 60 000 patients (IC95 % : 23 800–95 900) par an dans le monde. En fonction des séries la mortalité est comprise entre 5 % et 20 % des cas. L’incidence est en augmentation partout au cours des dernières années et la maladie reste probablement

Présentation

L’une des particularités de la leptospirose est le caractère protéiforme de sa présentation clinique qui fait toute la difficulté de son diagnostic notamment en zone tropicale où coexistent souvent de nombreux diagnostics différentiels. Face à une fièvre aiguë avec douleurs diffuses évoquant un syndrome grippal sans signe focal évident, de nombreux diagnostics sont à évoquer principalement la dengue et le paludisme et dans une moindre mesure d’autres arboviroses, les rickettsioses, la

Évolution

L’évolution a classiquement été décrite comme biphasique comportant une phase pseudo-grippale anictérique d’une semaine (bactériémique) résolutive ou évoluant après 2–3 j sans symptômes vers une seconde phase symptomatique (immunologique) avec survenue de formes ictérique voire ictérohémorragique (10–15 % des patients) ou parfois marquée par une ré-ascension fébrile avec reprise des céphalées et des manifestations immunitaires comme les méningites aseptiques et les uvéites. Toutefois la

Direct

La mise en évidence des spirochètes dans le sang, le liquide céphalorachidien (LCR) ou l’urine du patient nécessite un examen direct au microscope à fond noir ou à contraste de phase, rarement effectué en pratique courante. Les leptospires sont des bactéries aérobies strictes de croissance lente dont la température de croissance idéale est de 30 °C. Il est nécessaire d’attendre plusieurs semaines pour obtenir une culture positive [9]. En pratique la culture n’est plus d’actualité en diagnostic

Traitement antibiotique

De façon surprenante, une méta-analyse précise que le traitement antibiotique n’a pas fait sa preuve dans la diminution de la mortalité au cours de la leptospirose [46]. Néanmoins certains auteurs ont retrouvé qu’un délai augmenté avant l’antibiothérapie était un facteur de risque de mortalité suggérant que l’antibiothérapie au cours de la leptospirose était d’autant plus bénéfique qu’elle était administrée précocement [47], [48].

Les études in vitro suggèrent une grande sensibilité de

Conclusion

La leptospirose est une zoonose ubiquitaire d’importance croissante dans le monde entier dont la France et est responsable d’une morbi-mortalité qui reste majeure dans certaines zones notamment tropicales. Il est donc primordial de savoir évoquer le diagnostic en cherchant les arguments d’exposition chez un patient présentant un syndrome fébrile aigu avec douleurs diffuses que ce soit en France métropolitaine ou au retour de voyage hors métropole (arguments résumés dans le Tableau 1). Les

Déclaration de liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

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      Citation Excerpt :

      These data resemble those of other serological surveys conducted in island environments that revealed the presence of these same serovars: Icterohaemorrhagiae [21,24], Javanica [26], Mini [23], and Louisiana [25]. Most human epidemiological studies show that the most frequent serogroup is Icterohaemorrhagiae [27]. However, serological surveys conducted throughout Brazil show a large variability in serovars in different geographic locations of the country, with a high prevalence of serovar Copenhageni [28].

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