Revue générale
Anorexie mentale, activité physique et nutrition : quelles potentialisations ?Anorexia nervosa, physical activity and nutrition: What potentiation?

https://doi.org/10.1016/j.nupar.2014.10.008Get rights and content

Résumé

L’hyperactivité physique est souvent présente dans les symptômes de l’anorexie mentale. Quel impact a-t-elle sur l’évolution et notre compréhension des troubles ? Comment la prendre en compte dans les soins aux cours de l’évolution ? L’activité physique (AP) dans l’anorexie mentale (AM) peut devenir problématique, grévant le pronostic en compromettant l’efficacité des soins. Les mécanismes contribuant à cette hyperactivité composent une mosaïque comportant des éléments très variés : une part est volontaire destinée à maigrir, une part est involontaire, pouvant être compulsive, contrôlée ou non, ou d’intensité variable, voire inexistante. Il semblerait que plus la maladie se chronicise, plus l’AP échappe à la volonté du sujet. En fonction du moment et des individus, les mécanismes impliqués variés sont responsable de l’AP. Selon les recommandations de prise en charge, les soins se doivent de prendre en compte l’hyperactivité au cours de l’AM par une approche incluant une aide à prendre conscience de ces symptômes et de leur caractère directement associé au trouble du comportement alimentaire, et ceci, dans le but de définir un objectif commun entre le patient et l’équipe de soins qui serait la diminution progressive du niveau d’AP. Quand une anxiété importante est associée au sevrage de cette hyperactivité, un traitement anxiolytique pourra être proposé, car l’anxiété favorise l’hyperactivité. Aucune molécule n’a, à ce jour, fait preuve de son efficacité spécifique sur les symptômes d’hyperactivité ; des programmes d’exercice adaptés apparaissent prometteurs.

Abstract

Hyperactivity is often present in the symptoms of anorexia nervosa (AN). What impact does it have on the evolution and our understanding of these disorders? How do we take it into account in the care during the disorder's evolution? Physical activity (PA) in AN can become problematic, worsening prognosis by compromising the efficiency of care. The mechanisms contributing to this hyperactivity form a mosaic that includes highly various elements: one part is voluntary for weight loss purposes, another part is involuntary; it can be compulsive, controlled or not, with variable intensity, or completely inexistent. It seems that the more the disease becomes chronic, the more PA escapes from the subject's control. Depending on the moment and the individual, diverse mechanisms involved are responsible of the PA. According to the recommendations of medical treatment, care must take into account hyperactivity during AN with an approach including help to consciously acknowledge these symptoms and their character directly associated with the eating disorder, and this, in order for the patient and the care team to have as a common goal the progressive decrease of the PA's level. When a significant anxiety is associated with the withdrawal of this hyperactivity, an anxiolytic treatment could be proposed since anxiety promotes hyperactivity No molecule has demonstrated its effectiveness so far; sessions of adapted physical activity appear promising.

Introduction

L’anorexie mentale (AM) est une entité clinique qui se manifeste sous la forme d’une combinaison de symptômes somatiques et psychiques. Selon l’angle sous lequel on la regarde, les modèles étiopathogéniques développés peuvent prendre un aspect très variable. La position actuellement la plus consensuelle voit dans ce trouble l’incarnation de difficultés psychologiques, pour des raisons restantes à ce jour hypothétiques [1], [2].

Si l’on base la description clinique sur les critères de recherche les plus utilisés en psychiatrie, ceux de l’American Psychiatric Association [3] (critères du DSM-IV-R puis du DSM 5), on adopte une position diagnostique transversale à un temps t, purement centrée sur un ensemble de symptômes physiques et psychologiques limités aux trois derniers mois. Ce tableau symptomatique associe, avec une intensité variable pour chaque type de symptômes, le refus de maintenir un poids normal, une peur intense de prendre du poids ou de devenir gros, des perturbations de la perception de soi (au niveau corporel et de l’estime de soi) et une aménorrhée (exclue dans la dernière version de ces critères). On décrit classiquement deux formes, l’une restrictive (pas de vomissements provoqués ou d’usage abusif de laxatifs, diurétiques, ou lavements) et l’autre associant des comportements boulimiques ou les comportements sus cités.

Par ailleurs, cette définition en quatre ou cinq points de l’AM, bien qu’elle soit utile à la recherche, est bien trop réductrice en clinique. Tout d’abord, elle n’intègre pas un cortège symptomatique associé et très fréquent comme l’anxiété, la dépression, les obsessions compulsions, les symptômes alimentaires, les symptômes somatiques et psychiques consécutifs à la dénutrition [2], [4] ou encore l’hyperactivité.

Enfin, cette définition n’intègre pas les notions développementales temporelles indispensables pour comprendre l’évolution des difficultés présentées par les personnes souffrantes de ce trouble. La présentation clinique de l’AM se modifie au cours du temps chez un même sujet. Par exemple, les deux versants, restrictifs et boulimiques, peuvent se succéder voire s’alterner dans le temps ou non chez un même individu ; des attitudes initialement volontaires et sous le contrôle du sujet (se restreindre sur le plan alimentaire, être actif pour perdre du poids) vont progressivement s’automatiser et ne plus être contrôlées par le sujet.

Au fil de l’évolution, l’état nutritionnel et l’activité physique (AP) vont interagir, et impacter l’évolution voire le pronostic. Ainsi, plus l’indice de masse corporelle minimal atteint au cours de l’évolution est bas, pire est le pronostic [5]. L’AP chez ces sujets dénutris peut être incroyablement importante, délétère et compromettre la renutrition et donc le pronostic [6].

On parle bien souvent d’hyperactivité dans l’AM, de compulsion, de dépendance à l’AP, d’« exercice poussé », d’« agitation motrice », de « sur-exercice », de « suractivité » [7]. Est-il légitime d’utiliser l’un ou l’autre de ces termes? Quels impacts ont-ils sur l’évolution ou notre compréhension des troubles ? Quelle place faire à l’AP en clinique ? Comment la prendre en compte dans les soins aux cours de l’évolution ?

Pour essayer de répondre à ces questions, nous allons faire un détour en population générale pour caractériser ce qu’est l’AP normale ou pathologique et définir les termes utilisés, puis nous envisagerons la question de l’AP chez les sujets souffrant d’AM et enfin, nous proposerons quelques pistes pour le traitement.

Section snippets

Activité physique en population générale

En population générale, la pratique régulière d’une AP est ordinairement envisagée dans la perspective des conséquences favorables qui peuvent en résulter. Ainsi le Programme national nutrition et santé (PNNS) recommande une demi-heure par jour d’AP (marche rapide par exemple), comme activité optimum pour la santé [8]. Ces conséquences comprennent à la fois des améliorations psychologiques et physiques [9], [10]. Selon Norman et al. [11], l’AP régulière est reconnue comme un élément clé d’un

Hyperactivité dans l’anorexie mentale

Il est décrit dans la littérature qu’il existe fréquemment une hyperactivité dans l’AM, classiquement entre 30 % et 75 % des cas [7]. Cette amplitude de fréquence s’explique par des définitions tout aussi variables que les critères et les méthodes d’évaluation. Sous le terme d’hyperactivité se cachent des notions multiples : l’AP des patients AM est excessive en quantité (durée), en intensité et en fréquence, surtout compte tenu de leur état de dénutrition [24]. Classiquement, une AP est

Gestion de l’hyperactivité chez des patients ayant des troubles alimentaires

À notre connaissance, la littérature sur des approches thérapeutiques claires et précises pour la gestion de l’hyperactivité chez les patients ayant un TCA est très limitée [49].

Selon les recommandations de prise en charge, les soins de l’hyperactivité au cours de l’AM doivent combiner initialement une aide à prendre conscience de ces symptômes (mouvements de gymnastique, station debout prolongée, déplacements incessants) et de leur caractère directement associé au TCA. Ceci permettrait de

Place de l’AP au cours des soins dans l’AM

Longtemps on a privilégié le sevrage total d’AP dans l’AM surtout en hospitalisation. Zschucke et al. [54], dans une revue sur l’effet de l’exercice et l’AP comme traitement d’appoint dans plusieurs troubles mentaux, y compris l’anxiété, le trouble obsessionnel compulsif, affectif, l’abus de substances et les troubles alimentaires, ont suggéré que l’exercice pourrait être une intervention prometteuse et rentable (notamment pour l’état dépressif majeur et l’anxiété). Or, anxiété et dépression

Conclusion

La question du lien entre AP, nutrition et AM est cruciale pour la prise en charge des patients avec AM, à la fois pour optimiser les soins et l’alliance des patients. Elle nécessite de plus amples investigations de recherche pour développer des programmes de soins complémentaires performants.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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