Pédiatrie
Enjeux conscients et inconscients du deuil parentalConscious and unconscious stakes of parental mourning

https://doi.org/10.1016/j.medpal.2016.11.002Get rights and content

Résumé

De quoi les parents sont-ils en deuil quand ils perdent leur enfant ? Car de fait, un enfant, ce n’est pas grand-chose, presque rien… d’autant qu’il est dit-on « petit » et qu’il n’a, éventuellement, pas vécu longtemps. Pour autant nous tenterons de montrer en quoi ce « pas grand-chose » et ce « presque rien » constituent ce qui principalement cause la douleur parentale. En effet, ce que le parent pleure ce n’est pas tant ce qu’il a eu et qu’il a perdu, mais ce qu’il aurait pu avoir si l’enfant avait vécu. C’est l’espoir de ce qui de possible s’annonçait, se rêvait, se fantasmait qui est endommagé. Et il s’avère que cela est d’autant plus vrai que l’enfant est devenu socialement une « valeur refuge ».

Summary

When they lose their child, what do parents grieve for? Since a child is not a big deal, almost nothing… especially as we think he or she is “little” and has possibly not long to live. Nevertheless, we will try to show how this “not a big deal” and that “almost nothing” is what mainly causes parental pain. Indeed, the parent does not cry for what he/she had and lost, but for what he/she could have had if the child had lived. It is the hope of the announced, dreamed, fantasized possibilities that is damaged. And it turns out that this is especially true since the child has socially become a “safe haven”.

Introduction

Envisager la mort de l’enfant ne peut se résumer à faire de la question un froid objet d’analyse comme l’on ferait l’autopsie d’un corps mort, d’un cadavre. Traiter de la mort de l’enfant c’est affronter dans un premier temps ensemble des idées, des sentiments voire des fantasmes que l’image de l’enfant mort fait naître en soi. Ce n’est pas chose facile mais c’est chose nécessaire. En cela davantage qu’en toute autre la démarche scientifique impose une catharsis de l’âme, comme le dirait le philosophe Gaston Bachelard, c’est-à-dire une mise à plat de nos représentations, préjugés et autres fantasmes.

Notre travail clinique, moins avec des enfants en fin de vie qu’avec des parents en deuil de leur enfant, nous a permis d’élaborer avec eux, grâce à eux, quelques éléments de compréhension fût-ce par le détour d’un questionnement pouvant paraître, à certains égards, incongru. Quelle est la question ? Nous la formulons ainsi : de quoi les parents sont-ils en deuil quand ils perdent leur enfant ? Car de fait, un enfant, ce n’est pas grand-chose, presque rien… d’autant qu’il est dit-on « petit » et qu’il n’a, éventuellement, pas vécu longtemps. Pour autant nous tenterons de montrer en quoi ce « pas grand-chose » et ce « presque rien » constituent ce qui principalement cause la douleur parentale. En effet, ce que le parent pleure ce n’est pas tant ce qu’il a eu et qu’il a perdu, mais ce qu’il aurait pu avoir si l’enfant avait vécu. C’est l’espoir de ce qui de possible s’annonçait, se rêvait, se fantasmait qui est endommagé. Et il s’avère que cela est d’autant plus vrai que l’enfant est devenu socialement une « valeur refuge ».

Quoiqu’il en soit, la mort d’un enfant est un scandale au triple plan de : l’ordre des générations en ce qu’elle en subvertit la loi humaine (les parents meurent avant les enfants) ; la justice, au sens de l’immoralité de la mort qui s’attaque au plus faible, sans défense ; la responsabilité et le devoir de protection que l’immaturité et la vulnérabilité de l’enfant convoquent chez les parents et dont la mort signe l’échec. Pour ces trois raisons au moins, la blessure narcissique que le décès de l’enfant génère chez le parent en tant que la valeur qu’il représentait pour eux disparaît revêt une intensité particulière. C’est parce que la mort d’un enfant n’a pas de signification « en soi » qu’elle doit être élevée au rang de mal absolu et son accomplissement à celui d’interdit fondamental. Sinon, tout est permis !

Quoi qu’il en soit, l’expérience parentale de la perte d’un enfant revêt des aspects singuliers qu’il s’agit d’analyser ici.

Section snippets

À chacun son deuil

C’est le deuil qui nous fait, qui nous met au travail c’est-à-dire qui nous travaille, sous-entendu : « de l’intérieur ». C’est une approche, une sorte de parti-pris théorique dont les incidences dans la clinique sont énormes. Prendre le parti du sujet, c’est-à-dire de la personne singulière qui se présente à nous3

Le deuil de l’enfant comme impossible

On ne fait pas son deuil, c’est le deuil qui nous fait. Alors que faire de sa vie avec un autre – son enfant – que la mort rend présent sur le mode de l’absence ? C’est avec la conscience de l’héritage que l’autre, au-delà de sa disparition, nous transmet, que peut se résoudre habituellement l’équation énigmatique de cette présence de l’absent en soi. Ce qui existe de lui en moi au-delà de sa mort… Ce qui se perpétue d’un au-delà de lui… Ce qui en nous persiste, subsiste et insiste, bref survit

Souffrir, encore

De cette souffrance-là, il nous faut en dessiner les contours et le possible destin. La souffrance, c’est ce par quoi le sujet fait valoir sa singularité d’une existence éprouvée. Cela suffit pour suspendre notre désir d’en débarrasser, pour son bien dit-on, le sujet ! Rappelons que l’événement, fût-il dramatique, n’est pas traumatique en soi. Le trauma, c’est sur le psychisme l’impact de l’événement en tant qu’il vient rencontrer une sensibilité historique singulière, particulière. Cela

Déclaration de liens d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références (9)

  • S. Freud

    Pour introduire le narcissisme

    La vie sexuelle

    (1997)
  • D. Coum

    L’enfant, symptôme de la difficulté d’être parent aujourd’hui ?

  • S. Freud

    L’interprétation des rêves. Œuvres complètes Tome IV

    (2003)
  • S. Freud

    Deuil et mélancolie, (1917)

    (2011)
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Cited by (0)

Cet article succède à la communication « Le deuil parental, quel travail ! ? » donnée dans le cadre de la huitième journée régionale de soins palliatifs pédiatriques organisées par l’association « La Brise » à Trégastel le 17 mars 2016 et intitulée : « Les travaux forcés du deuil ».

1

L’auteur est psychologue clinicien formé à et par la psychanalyse et l’anthropologie clinique ; directeur des services de l’association Parentel (www.parentel.org) ; maître de conférences associé (PAST) en psychologie clinique et psychopathologie ; chargé de cours aux diplôme interuniversitaire de soins palliatifs de Brest et de Rennes.

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