Mémoire
Point de vue des médecins généralistes sur les risques de survenue d’une dépendance lors de la prescription d’opioïdes fortsPerception of addiction risks with strong opioids among general practitioners in France

https://doi.org/10.1016/j.amp.2013.09.012Get rights and content

Résumé

La prescription d’opioïdes forts (OF) dans le traitement de la douleur cancéreuse (DC), et plus encore dans la douleur non cancéreuse (DNC), reste l’objet de nombreux débats. L’objectif de cette enquête téléphonique conduite auprès de 100 médecins généralistes (MG) prescripteurs d’OF, était d’identifier leur perception des risques de survenue d’une dépendance, ainsi que les moyens mis en place pour la détecter et la prendre en charge. Ainsi, pour les médecins interrogés, 15 % des patients souffrants de DNC contre 10 % pour la DC seraient à risques de développer une dépendance. Les principaux facteurs de risques des patients sont les antécédents de toxicomanie, une dépendance à d’autres substances et une pathologie psychiatrique concomitante. La perception du risque de dépendance freine la prescription d’OF dans la DNC pour un tiers des MG, alors que cela n’est pas le cas dans la DC. La durée du traitement, suivie de la co-prescription de psychotropes et une dose élevée de l’OF, sont perçues comme les principaux facteurs de risques des traitements. Enfin, seul un tiers des MG déclarent systématiquement rechercher la survenue d’une dépendance.

Abstract

The prescription of strong opioids (SO) in the treatment of malignant pain (MP), and even more in non-malignant pain (NMP), remains a matter of debate.

Objectives

The aim of this survey, conducted by phone in 100 general practitioners (GPs) prescribing SO, was to identify their perception of addiction risks and the means how to detect and manage them.

Material and method

These interviewed prescribers were selected to be representative of GP prescribing SO in France. Ten questions were administered with the aim to identify risks of addiction occurrence, factors favoring this occurrence and strategies used to detect and to manage them.

Results

Fifteen per cent of patients with NMP and 10% with MP were perceived as at risk of developing an addiction. Main patient's factors in cause were thought to be a previous personal or familial history of drug addiction, addiction to other substances such as psychoactive drugs and concomitant psychiatric pathology. GPs consider that patients suffering from bipolar disorders, schizophrenia, anxious and depressive disorders are more suitable to develop an addiction to SO. The perceived risk of addiction refrained one third of GPs from prescribing SO to NMP patients, whereas this was not the case in MP. Cancer pain is considered as a clinical condition where advantage takes it on the inconvenience. The most frequent risks for a SO prescription are: duration of prescription, co-prescription of psychoactive drugs and a high dose of SO. GPs consider that morphine and an immediate release (IR) form could be more frequently responsible for an addiction occurrence. Sixty per cent of the interviewed GPs declared checking clinical signs of an addiction but only a third checks them systematically. In case of addiction 2/3 asks for a colleague and 50% adapt the prescription. Only 8% discontinue the SO treatment.

Conclusion

For GPs the main risks of addiction to SO are: patients profile and duration of treatment. This risk of addiction limits SO prescription in NMP but not in case of MP. GPs check signs of SO addiction frequently but not systematically and they consider that the choice of molecule and an IR form could have an important impact on this occurrence.

Introduction

La douleur est reconnue comme la préoccupation première des usagers à l’hôpital ou en cas de maladie chronique. La douleur chronique est considérée comme une maladie à part entière entraînant des souffrances physiques et psychiques, une invalidité, une diminution de la qualité de vie, un impact sociétal et des surcoûts importants. Bien que de nombreux traitements pharmacologiques et non pharmacologiques soient disponibles, la prise en charge d’un patient douloureux reste souvent un challenge thérapeutique pour le praticien. Les différents plans de santé publique dédiés à la douleur ont permis une meilleure prise en charge de celle-ci, et, de fait, une reconnaissance de l’intérêt et une meilleure utilisation des opioïdes forts (OF) dans le traitement des douleurs d’intensité sévère [20], [28].

Cependant, la prescription d’OF dans le traitement de la douleur, et plus particulièrement dans la douleur non cancéreuse (DNC), reste l’objet de débats et de peurs [29] sur leur rapport bénéfices/risques alimentés par des données parfois contradictoires [11]. Pour Portenoy [25], la probabilité de survenue d’une addiction aux OF est statistiquement faible et les études prospectives, randomisées et en aveugle ont permis de montrer que la prise d’OF au long cours n’entraînerait pas de dépendance physique ou d’addiction chez les patients sans antécédent de toxicomanie [6], [22]. Les antécédents de toxicomanie ou les troubles de la personnalité seraient des facteurs de risques importants pour développer une addiction. Les traitements par OF devraient faire l’objet d’une évaluation de leur rapport bénéfices/risques sur l’ensemble des patients pouvant en bénéficier et d’un suivi strict chez la minorité de patients à risques [25].

Section snippets

Objectifs de l’étude

Dans une enquête régionale récente auprès des médecins, nous avons rapporté l’évocation habituelle avec les patients des problèmes de dépendance, dans 38,1 % des cas, et de toxicomanie dans 10,6 % [21]. Nous souhaitions approfondir ce domaine en l’élargissant à l’échelle nationale. La présente étude a été mise en place pour identifier la perception, par les médecins généralistes (MG) prescripteurs d’OF, des risques de survenue d’une dépendance ainsi que les moyens mis en place pour la détecter

Méthode

Selon une méthodologie habituelle dans les enquêtes d’opinion téléphoniques, sur un panel représentatif d’une population donnée, cette enquête mise en place par les Laboratoires Grünenthal a été réalisée du 10 octobre au 14 octobre 2011, par voie téléphonique auprès de 100 MG exerçant dans toute la France et représentatifs de l’ensemble des MG prescrivant des OF (≥ quatre fois par mois). Ces MG étaient issus d’un tirage au sort aléatoire réalisé à partir de listings de la Cegedim stratégie data

Pourcentage de patients concernés

À la question « Sur 100 nouveaux patients traités, en France, par OF, quel est, selon vous, le pourcentage de patients développant une dépendance ? », les MG considèrent en moyenne que 23 % des patients souffrant d’une douleur d’origine cancéreuse (DC) ou d’une DNC pourraient développer une dépendance. Cependant, ils pensent que les patients souffrant d’une DNC auraient plus de risques de la développer : médianes de 15 % pour la DNC vs de 10 % pour la DC.

Profil des patients concernés

À la question « Dans votre pratique,

Discussion

Les MG interrogés expriment un point de vue sur les risques de dépendance à la prescription d’opioïdes forts centré sur les aspects psychiatriques : toxicomanie, troubles psychiatriques, psychotropes. Il est possible que le thème de la dépendance, relié à la psychiatrie, ait pu favoriser cette association. Ainsi, les psychiatres appréhendent volontiers la toxicomanie dans ce contexte et perçoivent les OF comme une source possible de dépendance [33], [34]. En psychiatrie et en addictologie,

Conclusion

Les médecins prescripteurs d’OF estiment que les principaux risques de survenue d’une dépendance sont le profil des patients (antécédents et comorbidités) et la durée du traitement, dont la durée moyenne à risque se situerait aux alentours de deux mois. La co-prescription d’autres traitements, les psychotropes notamment, est perçue comme le deuxième facteur de risque. La perception du risque de dépendance ne représente pas un frein à la prescription d’OF dans la DC, cela est à l’inverse le cas

Déclaration d’intérêts

Cette enquête a été mise en place à l’initiative des laboratoires Grünenthal. Éric Serra : Archimedes ; Bouchara ; Bristol Myers Squibb ; Grünenthal ; Janssen ; Mundipharma ; Takeda. France Marchand, Nagi Mimassi : Archimedes ; Cephalon ; Grünenthal ; Lilly ; Mundipharma ; Pfizer ; Sanofi ; Takeda. Hervé Ganry : employé de Grünenthal.

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