1 Introduction

L’objectif de ce travail est de donner un traitement détaillé de la construction du caractère de Chern pour certaines familles en catégories. Plus spécifiquement, nous présentons ici un formalisme très général dans lequel il est possible de démontrer l’existence d’un caractère de Chern défini suivant les grandes lignes de [47], mais dont le domaine d’application dépasse largement le contexte des faisceaux catégoriques dérivés de l’article en question. Avant d’entrer dans des détails plus techniques nous nous permettons de commencer cette introduction par un bref survol de plusieurs contextes d’applications de notre construction. Elle nous permet d’une part de retrouver le caractère de Chern des fibrés vectoriels et des complexes parfaits (à valeurs dans l’homologie cyclique), sur des schémas, des espace analytiques, des variétés différentielles etc. mais aussi sur des champs algébriques pour les quels il donne une version du caractère de Chern orbifold (dans le style de [18, 39]). Mais il permet aussi de construire certains invariants de faisceaux en dg-catégories, comme la construction d’une connexion de Gauss-Manin sur l’homologie cyclique périodique d’une famille algébrique de dg-catégories, ou comme le faisceau des caractères associé à une représentation dg-catégorique d’un groupe algébrique, qui est une version catégorique de la fonction des caractères associée à une représentation linéaire ainsi qu’une extension au cadre dg-catégorique de la construction de [11]. Pour les faisceaux catégoriques dérivés parfaits notre construction permet bien évidemment de construire le caractère de Chern à valeurs dans l’homologie cyclique secondaire (une nouvelle théorie homologique) dont l’existence est affirmée, sans arguments réellement solides, dans [47]. Le degré de généralité de notre construction permet probablement de trouver de nombreux autres champs d’applications, par exemple pour définir un caractère de Chern dans des contextes non-additifs, comme ceux apparaissant dans l’étude des schémas sur le corps à un élément, ou plus généralement en géométrie relative de [45]; nous n’avons cependant pas explorer cette voie dans ce travail.

La construction dans ses grandes lignes – Avant d’entrer plus en détails dans la description du contenu de ce travail nous souhaitons présenter, en quelques mots, les grandes lignes de la construction de notre caractère de Chern. Nous espérons que cela pourra eclaircir et expliquer le point de vue adopté, à savoir celui des \(\infty \)-catégories, qu’il nous semble difficile d’éviter (même si l’on souhaite ne considérer que le caractère de Chern des fibrés vectoriels).

La construction se résume probablement le plus aisément dans le cadre algébrique (notons cependant qu’un peu d’imagination permet aussi de concevoir des analogues dans le cadre différentielle, ou encore complexe analytique). Soit donc \(k\) un anneau commutatif, \(A\) une \(k\)-algèbre commutative et \(M\) un \(A\)-module projectif de type fini, que nous voyons comme le module des sections d’un fibré vectoriel sur le \(k\)-schéma \(X=Spec\, A\). Nous souhaitons définir le caractère de Chern \(Ch(M)\) à valeurs dans \(HC_{0}^{-}(A/k)\), l’homologie cyclique négative de \(A\) (ou de \(X\)) relativement à \(k\). Pour cela nous considérons la \(k\)-algèbre commutative simpliciale \(S^{1}\otimes _{k}^{\mathbb {L}}A\), obtenue en tensorisant, de façon correctement dérivée, \(A\) par le groupe simplicial \(S^{1}=B\mathbb {Z}\). On dispose d’un’application naturelle \(p : A \longrightarrow S^{1}\otimes _{k}^{\mathbb {L}}A\), induite par l’inclusion du point de base \(* \rightarrow S^{1}\). Ce morphisme possède de plus une auto-homotopie tautologique induite par l’auto-homotopie universelle \({{\mathrm {id}}}:S^1 \rightarrow S^1\). Cette auto-homotopie induit à son tour un automorphisme tautologique du foncteur de changement de base

$$\begin{aligned} (S^{1}\otimes _{k}^{\mathbb {L}}A)\otimes _{A} - : {\mathbf {Proj}}^\mathrm{tf }(A) \longrightarrow {{\mathrm {Ho}}}(S^{1}\otimes _{k}^{\mathbb {L}}A\mathbf -Mod ), \end{aligned}$$

de la catégorie des \(A\)-modules projectifs de type fini vers la catégorie homotopique des modules simpliciaux sur l’anneau simplicial \(S^{1}\otimes _{k}^{\mathbb {L}}A\). Ainsi, on dispose d’un automorphisme tautologique

$$\begin{aligned} m : (S^{1}\otimes _{k}^{\mathbb {L}}A)\otimes _{A} M \simeq (S^{1}\otimes _{k}^{\mathbb {L}}A)\otimes _{A} M. \end{aligned}$$

On observe que \(M\) est un objet dualisable de la catégorie monoidale des \(A\)-modules (car il est projectif et de type fini), et qu’il en est donc de même de \((S^{1}\otimes _{k}^{\mathbb {L}}A)\otimes _{A} M\) en tant qu’objet de \({{\mathrm {Ho}}}(S^{1}\otimes _{k}^{\mathbb {L}}A-Mod)\). L’automorphisme \(m\) possède ainsi une trace bien défini, qui est un élément \(Tr(m) \in \pi _{0}(S^{1}\otimes _{k}^{\mathbb {L}}A)\). Une des observations principales de ce travail est que la trace \(Tr(m)\) possède un relèvement naturel en un élément qui est homotopiquement invariant par l’action de \(S^{1}\)

$$\begin{aligned} Tr^{S^{1}}(m) \in \pi _{0}((S^{1}\otimes _{k}^{\mathbb {L}}A)^{hS^{1}}). \end{aligned}$$

Nous affirmons que \(Tr^{S^{1}}(m)\) est le caractère de Chern de \(M\). Cette affirmation est basée sur une identification, que nous ne démontrerons pas dans cet article,Footnote 1 mais qui semble plus ou moins connue de façon folklorique

$$\begin{aligned} \pi _{*}((S^{1}\otimes _{k}^{\mathbb {L}}A)^{hS^{1}}) \simeq HC_{*}^{-}(A/k). \end{aligned}$$

Cette construction du caractère de Chern (qui sera rendu rigoureuse, voir §5.2), sera notre source principale d’inspiration, et l’objectif de ce travail consiste essentiellement à présenter un cadre abstrait et beaucoup plus general dans lequel elle garde un sens.

\(\infty \) -Topos catannelés rigides – Géométriquement la construction que nous venons d’esquisser s’interprète de la manière suivante. L’anneau simplicial \(S^{1}\otimes _{k}^{\mathbb {L}}A\) est l’anneau des fonctions sur l’espace des lacets \(LX=Map(S^{1},X)\) du schéma \(X\), où \(LX\) est construit dans la catégorie des \(k\)-schémas dérivés (voir par exemple [42, 51]). Le caractère de Chern du fibré vectoriel \(M\) sur \(X\) est alors la fonction sur \(LX\) qui à un lacet \(\gamma \) sur \(X\) associe la trace de la monodromie de \(V\) le long de \(\gamma \), fonction que l’on observe être naturellement invariante par l’action de \(S^{1}\) sur \(LX\) par rotations. L’importance de cette interprétation géométrique tient dans le fait remarquable que la construction garde alors un sens dans un contexte extrèmement plus général que celui des fibrés vectoriels sur des schémas. Il suffit en effet d’avoir à disposition deux ingrédients principaux: l’existence d’un objet des lacets \(LX\), et l’existence de la trace de l’automorphisme tautologique \(m\).

La donnée de base de notre situation abstraite consistera en deux éléments.

  1. 1.

    Une notion d’objets géométriques (e.g. schémas, variétés différentielles etc.), que nous organiserons en une structure catégorique \(T\) du type topos. Nous allons voir que pour que la construction soit pertinente il faut que \(T\) soit un \(\infty \)-topos (au sens de [24, 48]; voir §1.5), et non seulement un topos au sens de Grothendieck.

  2. 2.

    Pour tout objet géométrique \(X \in T\) du point \((1)\) ci-dessus, un notion de coefficients sur \(X\) (e.g. fibrés vectoriels algébriques ou différentiels, complexes parfaits ...), que nous organiserons en un foncteur \(X \mapsto \mathcal {A}(X)\) du type champ en catégories sur \(T\). Nous allons voir que pour que la construction soit pertinente il faut que \(\mathcal {A}(X)\) soit une \(\infty \)-catégorie monoïdale (voir §2), et non seulement une catégorie monoïdale au sens usuel.

Comme nous l’avons observé il nous sera nécessaire de construire pour \(X \in T\) un objet \(LX\), des lacets sur \(X\). Nous voulons que cet objet soit défini par \(LX=Map(S^{1},X)\), où \(S^{1}=B\mathbb {Z}\) est le cercle simplicial. Or, à équivalence faible près, on a

$$\begin{aligned} S^{1}\simeq *\coprod _{*\coprod *}*, \end{aligned}$$

et donc \(LX\simeq X \times _{X\times X}X\), où ce produit fibré est construit dans \(T\). Nous voyons ici que si \(T\) est un topos au sens usuel ce produit fibré se simplifie, et on trouve \(LX\simeq X\), ce qui ne rend certainement pas la construction trés intéressante. Cependant, le produit fibré ci-dessus devient non trivial lorsqu’il est construit dans un contexte homotopique ou encore \(\infty \)-catégorique car, contrairement au cas des catégories, le morphisme diagonal dans une catégorie supérieure n’est pas un monomorphisme en général. Dans le paragraphe précédent, rappelant les idées de la construction, \(LX\) était construit dans la théorie homotopique, ou de manière équivalente dans l’\(\infty \)-catégorie, des schémas dérivés de [42, 51], dans laquelle les auto-intersections donnent lieu à des objets non triviaux. Ces schémas dérivés ne forment pas un topos de Grothendieck mais un \(\infty \)-topos au sens de [24, 48] (voir aussi [50]). Ainsi, \(T\) sera pour nous un \(\infty \)-topos. Cela nous force aussi à supposer que les coefficients au-dessus d’un objet \(X \in T\) forment eux-même une \(\infty \)-catégorie et non pas seulement une catégorie. Par exemple, les fibrés vectoriels sur le schéma dérivé \(LX\) forment naturellent une \(\infty \)-catégorie qui n’est pas équivalente à une catégorie en général. Comme nous devons de plus pouvoir définir la trace d’endomorphismes de coefficients, les \(\infty \)-catégories \(\mathcal {A}(X)\) devront être munies de structures monoïdales symétriques rigides. Ainsi, \(\mathcal {A}\) sera pour nous un champ sur \(T\) et à valeurs dans les \(\infty \)-catégories monoïdales symétriques rigides. Un tel couple \((T,\mathcal {A})\) sera appelé un \(\infty \) -topos catannelé rigide, et notre résultat principal est le fait qu’un caractère de Chern peut toujours être construit pour un tel couple suivant les grandes lignes de la construction que nous avons esquissée. Un point crucial cependant, et qui rend ce travail non formel, est l’existence de morphismes de trace cylique pour les \(\infty \)-catégories monoïdales symétriques rigides (voir plus loin dans cette introduction), qui comme nous l’expliquerons est un fait relativement non trivial.

Le théorème principal – Le résultat principal de ce travail peut se résumer en l’énoncé suivant.

Théorème 1.1

Soit \(T\) un \(\infty \)-topos et \(\mathcal {A}\) un champ en \(\infty \)-catégories monoïdales symétriques rigides. Soit \(X\in T\) et notons \(LX=Map(S^{1},X) \in T\) son objet des lacets, muni de l’action du groupe \(S^{1}=B\mathbb {Z}\) naturelle. Alors, il existe une application d’\(\infty \)-groupoïdes

$$\begin{aligned} \mathcal {A}(X)^{iso} \longrightarrow End_{\mathcal {A}(LX)}({\mathbf {1}})^{hS^{1}}, \end{aligned}$$

entre l’\(\infty \)-groupoïde sous-jacent à l’\(\infty \)-catégorie \(\mathcal {A}(X)\) et l’\(\infty \)-groupoïde des endomorphismes \(S^{1}\)-équivariants de l’objet unité de \(\mathcal {A}(LX)\).

Le morphisme du théorème précédent sera appelé le pré-caractère de Chern de l’\(\infty \)-topos catannelé rigide \((T,\mathcal {A})\), et le caractère de Chern en sera une modification obtenue par faisceautisation (le pré-caractère de Chern se révèle parfois plus intéressant que le caractère de Chern lui-même, voir par exemple §5.2).

Pour montrer que le morphisme du théorème 1.1 est unique (‘a isomorphismes unique près, y compris supérieurs) on montre (Cor. 3.19) que lespace des traces cycliques est contractile, en utilisant le théorème de Hopkins-Lurie sur la propriété universelle des \(\infty \)-catégories monoödales symétriques de bordismes (voir [25, 2.4.18]).

Conséquences et applications – Dans ce travail, nous proposons principalement deux applications du théorème précédent, mais il est certain que l’on pourrait en trouver d’autres, ne serait-ce que par exemple en reprenant ces deux applications dans d’autres contextes géométriques que celui de la géométrie algébrique dérivée (e.g. celui de la géométrie différentielle dérivée de [37], voir aussi [27, §4] pour plusieurs autres exemples de géométries dérivées).

Pour commencer, nous revenons sur la construction du caractère de Chern des fibrés vectoriels en géométrie algébrique que nous avons présentée en début de cette introduction. Pour cela, nous prendrons pour \(T\) le \(\infty \)-topos \(dAff_{k}^{\sim ,et}\) des \(k\)-champs dérivés, qui, par définition, est le \(\infty \)-topos des champs sur l’\(\infty \)-site des \(k\)-algèbres simpliciales commutatives muni de la topologie étale (voir §4.1). Pour \(\mathcal {A}\) nous prendrons le champ des complexes parfaits, qui à une \(k\)-algèbre commutative simpliciale \(B\) associe l’\(\infty \)-catégorie monoïdale symétrique \(Parf(B)\) des \(N(B)\)-dg-modules parfaits (où \(N(B)\) est la dg-algèbre obtenue à patrir de \(A\) par normalisation). Pour tout objet \(X\in T\), \(End_{\mathcal {A}(X)}({\mathbf {1}})\) se décrit comme l’ensemble simplicial des fonctions sur \(X\), que nous noterons \(\mathcal {O}(X)\). Le caractère de Chern de notre théorème 1.1 induit ainsi un morphisme

$$\begin{aligned} Parf(X)^{iso} \longrightarrow \mathcal {O}(LX)^{hS^{1}}, \end{aligned}$$

de l’\(\infty \)-groupoïde des complexes parfaits sur le champ dérivé \(X\) vers l’\(\infty \)-groupoïde des fonctions \(S^{1}\)-équivariantes sur \(LX\). Lorsque \(X\) est un \(k\)-schéma ceci redonne, modulo l’identification entre \(\mathcal {O}(LX)^{hS^{1}}\) et l’homologie cyclique négative de \(X\), le caractère de Chern des complexes parfaits (voir Thm. 5.4 et Rem. 5.7). Lorsque \(X\) est un \(k\)-champ algébrique (disons au sens d’Artin) non derivé, \(\mathcal {O}(LX)^{hS^{1}}\) est une version orbifold de l’homologie cyclique (négative) de \(X\) et le caractère de Chern ainsi obtenu est donc une extension au cas des champs d’Artin du caractère de Chern défini par exemple dans [18, 39].

Pour notre second contexte d’application \(T\) est encore l’\(\infty \)-topos des \(k\)-champs dérivés mais où \(\mathcal {A}\) est maintenant un certain champ des dg-catégories compactement engendrées, que nous noterons \(\mathbb {D}g\). La construction précise du champ \(\mathbb {D}g\) est assez technique et sera donnée en §4.3. Signalons simplement que pour \(X=Spec\, A\), avec \(A\) une \(k\)-algèbre commutative simpliciale, \(\mathbb {D}g(X)\) est un modèle pour l’\(\infty \)-catégorie dont les objets sont des dg-catégories \(A\)-linéaires et petites, et dont les morphismes sont les morphismes Morita (au sens de [40]). Pour \(X\in T\) les objets de \(\mathbb {D}g(X)\) doivent être vus comme des familles de dg-catégories cocomplètes paramétrées par \(X\) et qui, localement pour la topologie étale sur \(X\), possèdent des générateurs compacts. Ainsi, \(End_{\mathbb {D}g(X)}({\mathbf {1}})\) n’est autre que l’\(\infty \)-groupoïde des complexes quasi-cohérents sur \(X\) (qui sont les endomorphismes Morita de la dg-catégorie unité sur \(X\)). Notre caractère de Chern dans ce contexte fournit un morphisme

$$\begin{aligned} \mathbb {D}g(X)^{iso} \longrightarrow QCoh^{S^{1}}(LX), \end{aligned}$$

où le membre de droite désigne l’\(\infty \)-groupoïde des complexes quasi-cohérents et \(S^{1}\)-équivariants sur \(LX\). Ainsi, le caractère de Chern d’une famille de dg-catégories paramétrées par \(X\) est un objet dans la catégorie dérivée \(S^{1}\)-équivariante des quasi-cohérents sur \(LX\), objet qu’il faut voir comme un faisceau d’anomalies, au sens où cette expression est utilisée par exemple dans [4, §6.2]. Lorsque \(X\) est un \(k\)-schéma lisse de caractéristique nulle, il existe une relation entre \(QCoh^{S^{1}}(LX)\) et certains \(\mathcal {D}_{X}\)-modules filtrés sur \(X\) ([2]), et à travers cette identification le caractère de Chern d’une dg-catégorie sur \(X\) fournit la donnée d’une connexion de Gauss-Manin, et d’une filtration de Hodge sur le complexe d’homologie périodique associé (voir §4.3). Cette construction est une généralisation de [12] et [5], et parrait nouvelle dans un tel degré de généralité. Lorsque maintenant \(X=BG\) est le champ classifiant d’un \(k\)-schéma en groupes, un objet de \(\mathbb {D}g(X)\) peut être considéré comme une représentation dg-catégorique de \(G\) dans le style de [10]. Notre théorème 1.1 construit pour une telle représentation son faisceau des caractères, qui est un complexe quasi-cohérent \(S^{1}\)-équivariant sur le champ \([G/G]\), et donc en particulier un objet dans \(D_{qcoh}^{G}(G)\), la catégorie dérivée \(G\)-équivariante de \(G\). La construction de ce faisceau des caractères nous semble, elle aussi, nouvelle, et généralise au cas des dg-catégories la construction du caractère \(2\)-catégorique de [11].

Enfin, dans §5.4 nous nous intéressons à un sous-champ de \(\mathbb {D}g\), formé des dg-catégories saturées (aussi appelées propres et lisses), et noté \(\mathbb {D}g^{sat}\). Nous observons que le caractère de Chern pour \(\mathbb {D}g\), appliqué à un objet saturé, founit un complexe quasi-cohérent et \(S^{1}\)-équivariant sur \(LX\) dont le complexe sous-jacent est parfait. Ainsi, en composant avec le caractère de Chern pour les complexes parfaits (sur \([LX/S^{1}]\)) on obtient une fonction \(S^{1}\times S^{1}\)-équivariante sur \(L^{(2)}X=Map(S^{1}\times S^{1},X)\), l’espace des lacets doubles sur \(X\):

$$\begin{aligned} \mathbb {D}g^{sat}(X)^{iso} \longrightarrow \mathcal {O}(L^{(2)}X)^{h(S^{1}\times S^{1})}. \end{aligned}$$

Nous appelons le membre de droite l’espace d’homologie cyclique secondaire de \(X\) et nous le proposons comme receptacle pour le caractère de Chern des familles de dg-catégories saturées. C’est l’existence de ce dernier morphisme qui était proposé comme caractère de Chern des familles de dg-catégories saturées dans [47], et dont la preuve de l’existence n’était qu’esquissée.

Une autre application intéressante de notre caractère de Chern géneralisé est donnée dans [30, Thm. 2.12] où il est montrè que ce caractère, via le rèsultats du §5.2, donne lieu à une structure \(2\)-sympléctique sur le champ dérivé \(\mathbb {R}{\mathbf {Perf}}\) des complexes parfaits.

Contenu du travail – La première section présente des notions et des résultats généraux de la théorie des \(\infty \)-catégories (qui seront pour nous des \(1\)-catégories de Segal au sens de [3, 15]) qui sont indispensables au reste du travail. Certains sont bien connus et apparaissent déjà dans des travaux antérieurs, comme par exemple les notions d’adjonctions, de limites, de localisation que l’on trouve dans [15]. D’autres le sont moins, comme les notions d’\(\infty \)-catégories (co)fibrées, d’\(\infty \)-catégories localement présentables et d’\(\infty \)-topos, bien que celles-ci se trouvent être traitées dans le contexte des quasi-catégories dans [24]. Nous avons essayé cependant de rendre cette section le plus indépendante possible d’autres références, et mis à part quelques résultats fondamentaux (comme par exemple l’existence de la structure de modèles sur les catégories de Segal, ou encore l’équivalence avec la théorie des catégories simpliciallement enrichies) nous donnons des arguments complets pour tous les résultats que nous utiliserons par la suite.

Dans la seconde partie de ce travail nous présentons une théorie des \(\infty \)-catégories monoïdales symétriques. Cette théorie est directement tirée du texte [43], et est équivalente à celle présentée dans le cadre des quasi-catégories dans [25]. On y introduit la notion d’\(\infty \)-catégories monoïdales symétriques rigides, et on montre comment on peut construire la trace d’un endomorphisme dans une telle \(\infty \)-catégorie. Une première difficulté technique est la construction d’une trace avec suffisament de propriétés de fonctorialité, que l’on obtient en démontrant l’existence, et l’unicité, d’un modèle universel (Thm. 3.10, Prop. 3.17). Une seconde difficulté est de produire une trace cyclique, c’est à dire possèdant des propriétés d’invariances par rotations dans des suites cycliques d’équivalences. Cette seconde difficulté est résolue en appliquant un théorème récent de J. Lurie et M. Hopkins ([25, Thm. 2.4.18]) donnant une réponse positive à l’hypothèse du cobordisme, qui prédit le caractère universel de la \(\infty \)-catégorie des bordismes orientés de dimension \(1\) (voir [25]). Ce théorème permet de montrer la contractibilité de l’espace des traces, dont la conséquence immédiate est l’existence et l’unicité d’une trace cyclique (voir Thm. 3.18). Finalement nous montrons que la trace cyclique est additive et multiplicative.

Notre troisième section est consacrée à la notion d’\(\infty \) -topos catannelés rigides, et à la construction du caractère de Chern pour de tels objets. Il s’agit d’utiliser avec profit les résultats et constructions des deux sections précédentes afin de démontrer le théorème 1.1.

La dernière section présente quelques contextes d’applications de la construction dont les principaux ont déjà été mentionnés dans cette introduction; en particulier, on donne ici la comparaison entre notre caractère de Chern et l’usuel, dans le cas des fibrés vectoriels sur des variétés projectives lisses sur un corps de caractéristique nulle (Théorème 5.4).

Enfin, un appendice présente la preuve certains résultats techniques que nous utilisons sur les catégories de simplexes.

Questions non traitées – Nous souhaitons signaler que plusieurs questions de comparaison, qui apparaissent naturellement dans les exemples de la section §4, ont été laissées ouvertes. Par exemple, pour comparer rigoureusement le caractère de Chern construit en §5.2 et le caractère de Chern usuel (à valeurs dans l’homologie cyclique) il faut commencer par comparer l’homologie cyclique négative d’un schéma \(X\) et les fonctions \(S^{1}\)-équivariantes sur \(LX\). Même lorsque \(X\) est un schéma affine cette comparaison, bien que considérée comme folklorique (voir par exemple [1]), ne semble pas avoir été écrite en détails. M. Hoyois a attiré notre attention sur le fait qu’il ne parrait pas clair que la littérature actuelle suffise pour mener à bien cette comparaison et il est possible qu’un travail non trivial soit nécessaire pour parvenir à écrire une preuve complète. Dans le cas où \(X\) est un schéma sur un anneau de caractéristique nulle, une comparaison directe entre \(\mathcal {O}(LX)^{hS^{1}}\) et la cohomologie de de Rham de \(X\) est cependant possible, sans passer par une comparaison avec l’homologie cyclique négative. C’est ce qui est fait dans [1] dans le cas lisse, et dans [49] en général. Dans §5.3 nous avons laissé de coté une question de même nature concernant la comparaison entre \(\mathcal {D}_{X}\)-modules sur un schéma lisse de caractéristique nulle et complexes quasi-cohérents et \(S^{1}\)-équivariants sur \(LX\). Cette comparaison est traitée dans [1], et peut aussi se déduire de [49] afin de traiter aussi le cas non-lisse.

Dans §5.4 nous introduisons la notion d’homologie cyclique secondaire qui est le receptacle final du caractère de Chern des familles de dg-catégories saturées. Nous n’avons pas encore une déscription explicite de cette homologie secondaire, sauf dans le cas du corps de base. Il semble probable que des applications successives du théorème de Hochschild-Kostant-Rosenberg permettent de la calculer dans le cas lisse en caractéristique nulle, mais nous avons pour les moment laissé cette question, à la quelle nous pensons cependant qu’il est important de répondre.

Enfin, et pour finir avec cette introduction, nous avons signalé, en début d’introduction, un contexte possible d’application de notre construction, à savoir celui de certaines géométries non additives, comme par exemple celui des schémas au-dessus du corps à un élément ou plus généralement ceux apparaissant dans [45]. Nous n’avons pas inclu ces contextes comme exemples dans le §4, mais nous pensons cependant qu’il s’agit d’applications éventuelles dignes d’intérêts.

Remerciements. Nous remercions tres particulièrement J. Lurie pour nous avoir expliqué les résultats de [25] pendant leur élaboration. Nous remercions aussi D. Ben-Zvi, M. Hoyois, D. Kaledin, D. Nadler, T. Pantev, D. Sullivan, M. Vaquié pour des discussions sur le sujet de ce travail qui nous ont beaucoup apporté. Notre reconnaissance va aussi à tous les participants au “Cours de Geométrie Algébrique Derivé dans la Datcha” (Moscou, Juillet 2009) pour leur intérêt, leur générosité et par les échanges fructueux d’idées.

Notations – Nous utiliserons les définitions de catégories de modèles de [17]. Les mapping spaces, que nous appellerons comme il se doit espaces de morphismes, d’une catégorie de modèles \(M\) seront notés \(Map_{M}\), ou plus simplement \(Map\) s’il n’y a pas lieu de spécifier \(M\) (voir [17, §5]). Les produits fibrés homotopiques dans une catégorie de modèles seront notés \(-\times _{-}^{h}-\).

Dans ce travail, le symbôle \(\Delta ^{n}\) ne désignera pas le simplexe standard mais la catégorie

classifiant les chaines composables de \(n\)-morphismes. Le simplexe standard sera noté quand à lui \(\overline{\Delta ^{n}}\).

2 \(\infty \)-Catégories

Cette première section contient les définitions et énoncés de la théorie des \(\infty \)-catégories que nous utiliserons dans ce travail. Nous n’aborderons pas, ou très peu, les aspects \((2,\infty )\)-catégoriques, et dans ce travail l’expression \(\infty \) -catégorie sera synonyme de \((1,\infty )\) -catégorie, c’est à dire désignera une \(\infty \)-catégorie dont tous les \(i\)-morphismes sont inversibles pour \(i>1\) (voir [3]). Nous avons opté pour la théorie des catégories de Segal comme modèle à celle des \(\infty \)-catégories, mais tout autre modèle adéquat pourrait faire l’affaire. Une des motivations pour avoir utilisé l’expression \(\infty \) -catégorie au lieu de catégorie de Segal est précisément de permettre au lecteur d’adpater ce texte à d’autre choix de théorie des \((1,\infty )\)-catégorie.

Pour ce qui est des références, une partie important des notions et énoncés peuvent se trouver dans le texte fondateur [15]. Certaines notions plus avancées sont tirées de [48], et d’autres sont des adaptations de résultats de [24] au cadre des catégories de Segal. Aucun des résultats de cette section ne prétend réellement à l’originalité, même si certains ne semblent pas se trouver dans la littérature, comme par exemple le traitement des catégories de Segal (co)fibrées.

2.1 Théorie homotopique des \(\infty \)-catégories

Tout au long de ce travail nous adopterons la définition fondamentale suivante.

Définition 2.1

Une \(\infty \) -catégorie est une (1-)catégorie de Segal au sens de [15, §2] (voir aussi [3, Def. 3.14]).

Pour fixer les notations, rappelons qu’une catégorie de Segal est un foncteur \(A : \Delta ^{op} \longrightarrow {\mathbf {SEns}}\) vérifiant les deux conditions suivantes.

  1. 1.

    \(A_{0}\) est un ensemble simplicial discret (i.e. isomorphe à un ensemble simplicial constant).

  2. 2.

    Pour tout \(n\) le morphisme de Segal

    $$\begin{aligned} A_{n} \longrightarrow A_{1}\times _{A_{0}}A_{1} \times _{A_{0}} \dots \times _{A_{0}}A_{1} \end{aligned}$$

    est une équivalence faible d’ensembles simpliciaux.

Rappelons aussi qu’une \(\infty \)-catégorie est stricte (nous dirons aussi \(\mathbb {S}\) -catégorie), si les morphismes du point \((2)\) ci-dessus sont des isomorphismes. Tel est le cas si et seulement si \(A\) est le nerf d’une catégorie simplicialement enrichie. Nous identifierons toujours une catégorie simplicialement enrichie à son nerf et ainsi à la catégorie de Segal stricte correspondante. Une catégorie sera toujours vue comme une catégorie simplicialement enrichie dont les ensembles simpliciaux de morphismes sont discrets, et nous verrons ainisi la théorie des catégories comme une sous-théorie de celle des \(\infty \)-catégories.

Pour une \(\infty \)-catégorie \(A\) nous noterons encore \(A\) son ensemble d’objets \(A_{0}\). Pour un \(n\ge 1\), on dispose d’une décomposition canonique

$$\begin{aligned} A_{n}\simeq \coprod _{(x_{0}, \dots , x_{n}) \in A^{n+1}}A(x_{0}, \dots , x_{n}), \end{aligned}$$

\(A(x_{0}, \dots , x_{n})\) désigne la fibre de la projection \(A_n \longrightarrow A_{0}^{n+1}\) prise en le point \((x_{0}, \dots , x_{n})\). Les ensembles simpliciaux \(A(x_{0}, \dots , x_{n})\) sont par définition les espaces des chaines composables de morphismes . En particulier, pour \(x,y\) deux objets, \(A(x,y)\) sera l’espace des morphismes de \(x\) vers \(y\). Dans le cas où \(A\) est stricte, on a des isomorphismes

$$\begin{aligned} A(x_{0}, \dots , x_{n}) \simeq A(x_{0},x_{1}) \times A(x_{1},x_{2}) \times \dots \times A(x_{n-1},x_{n}). \end{aligned}$$

Il nous arrivera aussi d’utiliser la notation suivante

$$\begin{aligned} Map_{A}(x,y):=A(x,y), \end{aligned}$$

ou encore \(Map(x,y):=A(x,y)\) lorsqu’il n’y aura pas d’ambiguité sur \(A\). Notons que la composition des morphismes dans une \(\infty \)-catégorie \(A\) n’est pas un morphisme bien défini dans \({\mathbf {SEns}}\), mais est représentable par le zig-zag

On dispose donc toujours d’un morphisme

$$\begin{aligned} -\circ - : A(x,y)\times A(y,z) \longrightarrow A(x,z) \end{aligned}$$

bien défini dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\). Ceci nous permettra de dire qu’un morphisme \(u\in A(x,y)\) (par cela on entend un \(0\)-simplexe de \(A(x,y)\)) est une équivalence dans \(A\) si pour tout \(z\) le morphisme induit

$$\begin{aligned} - \circ u : A(y,z) \longrightarrow A(x,z) \end{aligned}$$

est un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\).

Pour deux \(\infty \)-catégories \(A\) et \(B\), un \(\infty \)-foncteur \(f : A \longrightarrow B\) est par définition un morphisme de catégories de Segal (c’est à dire un morphisme d’ensembles bisimpliciaux). Nous parlerons aussi de morphismes de \(\infty \)-catégories. Les \(\infty \)-catégories, éléments d’un univers fixé, et les \(\infty \)-foncteurs forment une catégorie notée \(\infty -{\mathbf {Cat}}\). Si \(\mathbb {U}\) est un univers nous noterons, lorsque une telle précision se révèle être nécessaire, \(\infty -{\mathbf {Cat}}_{\mathbb {U}}\) la catégorie des \(\infty \)-catégories éléments de \(\mathbb {U}\) (nous dirons aussi \(\mathbb {U}\)-petites).

Pour un \(\infty \)-catégorie \(A\) nous noterons \([A]\) la catégorie des composantes connexes de \(A\), aussi appelée la catégorie homotopique de \(A\). Ses objets sont les objets de \(A\) et ses ensembles de morphismes sont définis par \([A](x,y):=\pi _{0}(A(x,y))\). La composition des morphismes est donnée par le diagramme

induit par les identités simpliciales. Les ensembles de morphismes dans \([A]\) seront aussi parfois notés

$$\begin{aligned}{}[x,y]=[A](x,y). \end{aligned}$$

Notons au passage qu’un morphisme de \(A\) est une équivalence si et seulement si son image dans \([A]\) est un isomorphisme. La construction \(A \mapsto [A]\) définit bien évidemment un foncteur

$$\begin{aligned}{}[-] : \infty -{\mathbf {Cat}} \longrightarrow {\mathbf {Cat}}. \end{aligned}$$

Un \(\infty \)-foncteur \(f : A \longrightarrow B\) est pleinement fidèle (resp. essentiellement surjectif) si pour tout \(x,y \in A\) le morphisme \(A(x,y) \longrightarrow B(f(x),f(y))\) est une équivalence faible d’ensembles simpliciaux (resp. si le foncteur induit \([f] : [A] \longrightarrow [B]\) est essentiellement surjectif). Un \(\infty \)-foncteur est une équivalence s’il est à la fois essentiellement surjectif et pleinement fidèle. La catégorie homotopique de \(\infty -{\mathbf {Cat}}\) obtenue en inversant les équivalences sera notée \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\).

La catégorie \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\) est en réalité équivalente à la catégorie homotopique d’une catégorie de modèles \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}\) des pré-catégories de Segal, contenant \(\infty -{\mathbf {Cat}}\) comme sous-catégorie pleine. La catégorie \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}\) est la sous-catégorie pleine des foncteurs \(\Delta ^{op} \longrightarrow {\mathbf {SEns}}\) qui sont discrets en \([0]\). Cette catégorie est munie d’une structure de modèles pour laquelles les cofibrations sont les monomorphismes et la restriction des équivalences à \(\infty -{\mathbf {Cat}}\) sont les équivalences décrites ci-dessus. La définition générale des équivalences est plus subtile et ne sera pas utilisée dans ce travail (voir [3, §5] pour les détails). Les objets fibrants de \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}\) sont des catégories de Segal et il existe donc des inclusions

$$\begin{aligned} (\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr})^{fib} \subset \infty -{\mathbf {Cat}} \subset \infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}. \end{aligned}$$

Ces inclusions sont strictes et une catégorie de Segal est fibrante si et seulement si elle est fibrante au sens de Reedy comme objet simplicial de \({\mathbf {SEns}}\) (voir [3, Cor. 5.13]). Une propriété fondamentale de \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}\) est qu’il s’agit d’une catégorie de modèles interne, c’est à dire qu’elle est monoïdale au sens de [17, §4] pour la structure monoïdale induite par le produit direct (voir aussi [41, Def. 2.1]). Une conséquence de cela est l’existence de Hom internes entre objets fibrants, et en particulier l’existence de Hom internes sur la catégorie homotopique \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\). Par la suite nous utiliserons aussi l’expression \(\infty \) -foncteur pour désigner un morphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\). Cet abus de language est relativement anodin, et signifie que l’on prendra soins d’effectuer des remplacements fibrants lorsque cela est nécessaire. Cependant, ces remplacements seront, la plupart du temps, implicites, et ne seront mentionnés que lorsque l’argument mérite un certain degré de précision.

Pour un univers \(\mathbb {U}\) la catégorie de modèles \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}_{\mathbb {U}}\) est une catégorie de modèles \(\mathbb {U}\)-combinatoire au sens de [50, App. A]. De plus, lorsque \(\mathbb {U} \in \mathbb {V}\) sont deux univers fixés alors le foncteur d’inclusion induit un foncteur pleinement fidèle

$$\begin{aligned} {{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}_{\mathbb {U}})= {{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}_{\mathbb {U}}) \hookrightarrow {{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}_{\mathbb {V}})={{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}_{\mathbb {V}}). \end{aligned}$$

On peut montrer que l’image essentielle de ce foncteur d’inclusion consiste en les \(\infty \)-catégories \(A\) telles que, d’une part l’ensemble des classes d’isomorphismes de \([A]\) est en bijection avec un ensemble \(\mathbb {U}\)-petit, et d’autre part telles que pour tout \(x,y\in A\) l’ensemble simplicial \(X\) est équivalent à un ensemble simplicial \(\mathbb {U}\)-petit.

La structure de la catégorie \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\) peut se décrire avec les techniques dévelopées dans [40], correctement modifiés pour traiter le cas simplicial au lieu du cas dg. Pour cela on fait appel à l’équivalence entre la théorie homotopique des \(\infty \)-catégories et celle des \(\mathbb {S}\)-catégories (qui ne sont autre que les \(\infty \)-catégories strictes). Nous renvoyons à [3] pour des détails concernant cette équivalence, nous en retiendrons que le foncteur d’inclusion \(\mathbb {S}-{\mathbf {Cat}} \longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}\) induit une équivalence sur les catégories homotopiques

$$\begin{aligned} {{\mathrm {Ho}}}(\mathbb {S}-{\mathbf {Cat}}) \simeq {{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}). \end{aligned}$$

Pour une \(\infty \)-catégorie \(A\), le choix d’une \(\mathbb {S}\)-catégorie \(A'\) munie d’un isomorphisme \(A'\simeq A\) dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\) sera souvent appelé un modèle strict de \(A\). Un tel modèle existe et est toujours unique à isomorphisme unique près dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\). Les descriptions des espaces de morphimes et des Hom internes données par [40] fournissent ainsi une façon de décrire la catégorie \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\) que nous allons rappeler ci-dessous.

Comme nous l’avons signalé la catégorie \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\) est cartésiennement close. Ses \(Hom\)-internes seront alors notés \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}\), et sont définis comme \(\underline{Hom}(,R(-))\), où \(R\) est un foncteur de remplacement fibrant dans \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}\) et \(\underline{Hom}\) est le Hom interene de pré-catégories de Segal. Ces Hom internes sont compatibles avec la structure simplicial au sens où l’on dispose d’isomorphismes naturels dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\)

$$\begin{aligned} Map(A,\mathbb {R}\underline{Hom}(B,C))\simeq Map(A\times B,C), \end{aligned}$$

avec \(Map\) les espaces de morphismes de la catégorie de modèles \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}\) (au sens de [17, §5]).

Pour une catégorie de modèles simpliciale \(M\) nous notons \(Int(M)\) la \(\mathbb {S}\)-catégorie des objets fibrants et cofibrants dans \(M\). Nous nous empresserons de voir \(Int(M)\) comme une \(\infty \)-catégorie et donc comme un objet de \(\infty -{\mathbf {Cat}}\). Si \(M\) est de plus \(\mathbb {U}\)-combinatoire et \(\mathbb {V}\)-petite (avec des univers \(\mathbb {U}\in \mathbb {V}\)), alors pour toute \(\mathbb {S}\)-catégorie \(\mathbb {U}\)-petite \(A\) on dispose d’un isomorphisme naturel dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}_{\mathbb {V}})\)

$$\begin{aligned} \mathbb {R}\underline{Hom}(A,Int(M)) \simeq Int(M^{A}), \end{aligned}$$

\(M^{A}\) est la catégorie des \(A\)-diagrammes (enrichis sur \({\mathbf {SEns}}\)) à valeurs dans \(M\) munie de sa structure de modèles projective (fibrations et équivalences définies termes à termes). De même, l’espace des morphismes \(Map(A,Int(M))\) est naturellement équivalent à \(N(WM^{A})\), le nerf de la sous-catégorie des équivalences dans \(M^{A}\). En particulier, l’ensemble \([A,Int(M)]\), des morphismes de \(A\) vers \(Int(M)\) dans \({{{\mathrm {Ho}}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\) est en bijection avec l’ensemble des classes d’isomorphismes d’objets de \({{\mathrm {Ho}}}(M^{A})\). Comme toute \(\infty \)-catégorie est équivalente à une \(\mathbb {S}\)-catégorie (et ce de façon unique à équivalence près) cela décrit les morphismes d’une \(\infty \)-catégorie vers une \(\infty \)-catégorie de la forme \(Int(M)\).

Fixons \(\Gamma ^{*} \rightarrow id\), un foncteur de résolution cofibrante dans la catégorie de modèles \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}\) (au sens de [17, §5]). On peut prendre par exemple le foncteur de résolution naturel donné par la structure simpliciale sur \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}\). On a alors pour une pré-catégorie de Segal \(A\) \(\Gamma ^{n}(A):=\overline{\Delta ([n])}\times A\), où \(\overline{\Delta ([n])}\) est le groupoïde classifiant les chaines de \(n+1\) isomorphismes composables. On définit alors une adjonction de Quillen

$$\begin{aligned} \Pi _{\infty } : {\mathbf {SEns}} \longleftrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}} : Hom(\Gamma ^{*}(*),-). \end{aligned}$$

L’adjoint à droite \(\mathcal {I}\) envoie une \(\infty \)-catégorie \(A\) sur l’ensemble simplicial \(Hom(\Gamma ^{*}(*), R(A))\), où \(R\) est un foncteur de remplacement fibrant. L’adjoint à gauche \(\Pi _{\infty }\) envoie un ensemble simplicial \(K\) sur le coend du diagramme \(\left( (p,q) \mapsto \coprod _{K_{q}}\Gamma ^{p}(*) \right) \). L’adjonction dérivée

$$\begin{aligned} \Pi _{\infty } : {{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}}) \longleftrightarrow {{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}) : \mathbb {R}Hom(\Gamma ^{*}(*),-)=:\mathcal {I} \end{aligned}$$

est telle que \(\Pi _{\infty }\) soit pleinement fidèle d’image essentielle formée des \(\infty \)-catégories \(T\) telles que \([T]\) soit un groupoïde (que nous appellerons des \(\infty \) -groupoïdes). Cela peut en effet se déduire de l’énoncé analogue pour les espaces de Segal complets de (qui devient alors un énoncé formel) et des résultats de comparaisons de [3]. Le foncteur \(\Pi _{\infty }\) sera appelé le foncteur \(\infty \) -groupoïde fondamental, et \(\mathcal {I}\) le foncteur espace sous-jacent. Noter que pour une \(\infty \)-catégorie \(A\) le morphisme d’ajonction \(\Pi _{\infty }(\mathcal {I}(A)) \longrightarrow A\) identifie le membre de gauche avec le sous-groupoïde maximal de \(A\). En d’autres termes on dispose d’un carré homotopiquement cartésien dans \(\infty -{\mathbf {Cat}}\)

\([A]^{iso}\) est le sous-groupoïde des isomorphismes dans \([A]\) (c’est aussi la catégorie homotopique de \(\Pi _{\infty }(\mathcal {I}(A))\)). Nous utiliserons aussi la notation \(T^{int} \subset T\) pour désigner ce sous-groupoïde maximal, où int fait référence à intérieur (voir [15] dans lequel cette terminologie est introduite).

Le foncteur \(\Pi _{\infty } : {{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}}) \longrightarrow {{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\) est aussi isomorphe au foncteur qui envoie un ensemble simplicial fibrant \(K\) sur \([n] \mapsto \underline{Hom}_{*}(\Delta ^{n},K)\), où \(\underline{Hom}_{*}(\Delta ^{n},K)\) désigne l’ensemble simplicial des morphismes \(\Delta ^{n} \rightarrow K\) qui fixent les sommets de \(\Delta ^{n}\). Ceci montre que le foncteur \(\Pi _{\infty }\) possède aussi un adjoint à gauche

$$\begin{aligned} |-| : {{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}) \longrightarrow {{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}}) \end{aligned}$$

qui envoie une \(\infty \)-catégorie sur sa réalisation géométrique (i.e. la diagonale de l’ensemble bisimplicial correspondant). Le morphisme d’adjonction \(A \longrightarrow \Pi _{\infty }(|A|)\) est alors la complétion \(\infty \)-groupoïdale de \(A\).

2.2 Adjonctions, limites et localisations

La catégorie homotopique des \(\infty \)-catégorie, \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\), peut-être promu en une \(2\)-catégorie \({{\mathrm {Ho}}}_{\le 2}(\infty -{\mathbf {Cat}})\) dont la catégorie homotopique est naturellement équivalente à \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\). Une méthode relativement directe consiste à considérer \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{f}\), la catégorie des \(\infty \)-catégories fibrantes. Cette catégorie en cartésiennement close, et on peut donc la considérée comme une catégorie enrichie dans la catégorie \(\infty -{\mathbf {Cat}}\). Notons cette \((\infty -{\mathbf {Cat}})\)-catégorie par \(\underline{\infty -{\mathbf {Cat}}^{f}}\), qui n’est autre qu’un modèle pour la \((\infty , 2)\)-catégorie de Segal des \(\infty \)-catégories (voir [15]). En remplaçant les \(\infty \)-catégories de morphismes par leur catégories homotopiques on trouve une catégorie enrichie dans \({\mathbf {Cat}}\), donc une \(2\)-catégorie (stricte), que nous noterons \({{\mathrm {Ho}}}_{\le 2}(\infty -{\mathbf {Cat}})\). La catégorie homotopique de cette \(2\)-catégorie est naturellement isomorphe à la catégories des \(\infty \)-catégories fibrantes et des classes d’homotopie de morphismes entre elles. On dispose donc bien d’une équivalence naturelle

$$\begin{aligned} {{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}) \simeq [{{\mathrm {Ho}}}_{\le 2}(\infty -{\mathbf {Cat}})]. \end{aligned}$$

Notons que par définition les objets de \({{\mathrm {Ho}}}_{\le 2}(\infty -{\mathbf {Cat}})\) sont les \(\infty \)-catégories fibrantes et la catégorie des morphismes entre \(A\) et \(B\) est \([\underline{Hom}(A,B)]\). Il est aussi possible de transporter la structure \(2\)-catégorique pour construire une \(2\)-catégorie équivalente, dont les objets sont toutes les \(\infty \)-catégories et dont les catégories de morphismes sont \([\underline{Hom}(R(A),R(B))]\), avec \(R\) un foncteur de remplacement fibrant. Dans ce qui suit \({{\mathrm {Ho}}}_{\le 2}(\infty -{\mathbf {Cat}})\) désignera l’une ou l’autre de ces constructions, et les catégories de morphismes seront simplement notées \([\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(A,B)]\). Il s’agit dans les deux cas d’une \(2\)-catégorie stricte.

Cet enrichissement de la catégorie homotopique en une \(2\)-catégorie permet de définir la notion d’adjonction de la façon suivante. Nous dirons qu’un \(\infty \)-foncteur \(f : A \longrightarrow B\) possède un adjoint à droite s’il existe un morphisme \(g : B\longrightarrow A\) dans \({{\mathrm {Ho}}}_{\le 2}(\infty -{\mathbf {Cat}})\), et un objet \(u \in [\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(A,A)](id,gf)\), vérifiant la condition suivante: pour toute \(\infty \)-catégorie \(C\) et tout objet \(k \in [\mathbb {R}\underline{Hom}(C,A)]\), \(h \in [\mathbb {R}\underline{Hom}(C,B)]\) le morphisme induit

est bijectif (où l’on a noté \([-,-]\) les ensembles de morphismes dans \([\mathbb {R}\underline{Hom}(C,A)]\) et \([\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(C,B)]\)). En d’autres termes, on demande à ce que pour toute \(\infty \)-catégorie \(C\), les foncteurs induits \(f_{C} : [\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(C,A)] \longleftrightarrow [\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(C,B)] : g_{C}\), munis de la transformation naturelle \(id \rightarrow g_{C}f_{C}\) induite par \(u\), définissent une adjonction de catégories au sens usuel.

Lorsque le morphisme \(f\) possède un adjoint à droite le couple \((g,u)\) est unique à isomorphisme unique près au sens suivant: si \((g',u')\) est un second couple satisfaisant à la même condition alors il existe un unique isomorphisme \(\alpha : g \simeq g'\) dans \([\mathbb {R}\underline{Hom}(B,A)]\) tel que le diagramme suivant commute dans \([\mathbb {R}\underline{Hom}(A,A)]\)

On dispose dualement d’une notion de \(\infty \)-foncteur possèdant un adjoint à gauche. De plus si \((g,u)\) est un adjoint à droite de \(f\) comme ci-dessus alors \((f,v)\) est un adjoint à gauche de \(g\), où \(v \in [fg,id]\) correspond à l’identité dans \([g,g]\) par la bijection \([fg,id] \simeq [g,g]\) décrite ci-dessus (\(h=id\) et \(k=g\)). Les couples \((f,u)\) et \((g,v)\) sont alors reliés par les relations triangulaires usuelles

$$\begin{aligned} (v.f)\circ (f.u)=id : f \longrightarrow f \qquad (g.v) \circ (u.g)=id : g \longrightarrow g, \end{aligned}$$

qui sont des égalités de morphismes dans \([\mathbb {R}\underline{Hom}(A,B)]\) et dans \([\mathbb {R}\underline{Hom}(B,A)]\) respectivement. Ces identités triangulaires permettent de montrer que pour toute \(\infty \)-catégorie \(C\) et tout \(\infty \)-foncteurs \(k \in [\mathbb {R}\underline{Hom}(C,A)]\), \(h \in [\mathbb {R}\underline{Hom}(C,B)]\) le morphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\)

est un isomorphisme (alors que la définition d’adjoint ne donne, à priori, qu’une bijection sur les \(\pi _{0}\) de ses ensembles simpliciaux). En effet, un inverse est donné par le morphisme

les identités triangulaires impliquant que ce morphisme est bien un inverse, dans \(Ho({\mathbf {SEns}})\), au morphisme ci-dessus. Ainsi, en prenant \(C=*\) on trouve que pour tout \(a\in A\) et tout \(b\in B\), le morphisme naturel

$$\begin{aligned} B(f(a),b) \longrightarrow A(a,g(b)) \end{aligned}$$

est un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\).

La notion d’ajoint ci-dessus permet de parler de limites et de colimites dans les \(\infty \)-catégories. Soient \(I\) et \(A\) deux \(\infty \)-catégories, et considérons le morphisme diagramme constant

$$\begin{aligned} c : A \longrightarrow \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(I,A) \end{aligned}$$

adjoint de la projection \(A\times I \longrightarrow A\). Nous dirons que \(A\) possède des limites (resp. des colimites) suivant \(I\) si le foncteur \(c\) possède un adjoint à droite (resp. à gauche). Un adjoint à droite sera noté \(lim_{I} : \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(I,A) \longrightarrow A\), et un adjoint à gauche \(colim_{I} : \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(I,A) \longrightarrow A\). Nous dirons plus généralement que \(A\) possède des \(\mathbb {U}\)-limites (resp. des \(\mathbb {U}\)-colimites) si elle possède des limites le long de \(I\) pour toute \(\infty \)-catégorie \(I\in \mathbb {U}\). Si l’univers \(\mathbb {U}\) est implicite nous dirons simplement que \(A\) possède des limites (resp. des colimites), sans plus de précision. Lorsque \(A\) possède des colimites, pour tout objet \(a \in A\) et tout ensemble simplicial \(K\) il existe un objet \(K\otimes a \in A\). Cet objet vient avec un morphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\)

$$\begin{aligned} K \longrightarrow A(a,K\otimes a) \end{aligned}$$

de sorte à ce que pour tout \(b \in A\) le morphisme induit (défini dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\))

$$\begin{aligned} K\times A(K\otimes a,b) \longrightarrow A(a,K\otimes a) \times A(K\otimes a,b) \longrightarrow A(a,b) \end{aligned}$$

induise un isomorphisme \(A(K\otimes a,b) \simeq Map(K,A(a,b))\) dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\). Dualement, lorsque \(A\) possède des limites alors pour tout \(a\in A\) et tout ensemble simplicial \(K\) il existe un objet \(a^{K}\). Cet objet vient avec un morphisme \(K \longrightarrow A(a^{K},a)\) tel que pour tout \(b\in A\) le morphisme induit

$$\begin{aligned} A(a,b^{K}) \longrightarrow Map(K,A(a,b)) \end{aligned}$$

soit un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\).

Supposons que \(A\) et \(B\) soient deux \(\infty \)-catégories possédant des limites le long d’une \(\infty \)-catégorie fixée \(I\). Alors, pour un \(\infty \)-foncteur \(f : A \longrightarrow B\) on dispose d’un morphisme naturel \(\phi : f\circ lim_{I} \longrightarrow lim_{I}\circ f^{I}\) dans la catégorie \([\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(I,A),B)]\) (où \(f^{I}\) désigne le morphisme induit \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(I,A) \longrightarrow \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(I,B)\)). Ce morphisme est défini de la façon suivante. Notons \(v : c\circ lim_{I} \longrightarrow id\) le morphisme définissant l’adjonction entre \(c\) et \(lim_{I}\). On dispose alors d’une application naturelle

L’image de \(v\) par cette application fournit le morphisme \(\phi \) cherché. Nous dirons alors que le \(\infty \)-foncteur \(f\) commute aux \(\mathbb {U}\)-limites si le morphisme ci-dessus \(\phi \) est un isomorphisme pour toute \(\infty \)-catégorie \(\mathbb {U}\)-petite \(I\). Dualement, nous dirons que \(f\) commute aux \(\mathbb {U}\)-colimites si \(f^{op} : A^{op} \longrightarrow B^{op}\) commute aux \(\mathbb {U}\)-limites. On vérifie qu’un \(\infty \)-foncteur qui possède un adjoint à droite commute toujours aux colimites. Dualement, un \(\infty \)-foncteur qui possède un adjoint à gauche commute toujours aux limites.

Supposons maintenant que \(A\) soit une \(\infty \)-catégorie et que \(S\) soit un ensemble de morphismes dans \([A]\). Une localisation de \(A\) le long de \(S\) est la donnée d’un couple \((L_{S}A,l)\), formé d’une \(\infty \)-catégorie \(L_{S}A\) et d’un \(\infty \)-foncteur \(l : A \longrightarrow L_{S}A\) tel que pour toute \(\infty \)-catégorie \(B\) le morphisme induit

$$\begin{aligned} l^{*} : \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(L_{S}A,B) \longrightarrow \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(A,B) \end{aligned}$$

soit pleinement fidèle et que son image essentielle consiste en tous les \(\infty \)-foncteurs \(f : A \longrightarrow B\) tel que \([f]\) envoie les morphismes de \(S\) sur des isomorphismes dans \([B]\). On montre qu’une localisation \((L_{S}A,l)\) existe toujours, et qu’elle est unique dans la catégorie homotopique \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\). Un modèle explicite de \(L_{S}A\) est donné par la localisation simpliciale de Dwyer et Kan (voir [7]). On peut aussi construire \(L_{S}A\) comme le push-out homotopique dans \(\infty -{\mathbf {Cat}}\) (voir [40, §8.2])

Nous mettons en garde que ce push-out, pris dans \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}\) n’est pas une catégorie de Segal, et qu’il est nécessaire de composer cette construction avec un foncteur de remplacement fibrant pour avoir une construction donnant une \(\infty \)-catégorie. Dans les deux cas on voit que \(l : A \longrightarrow L_{S}A\) est toujours essentiellement surjectif. Une conséquence de la propriété universelle des localisations est que la localisation commute aux produits: pour \(A\) et \(B\) deux \(\infty \)-catégories et \(S_{A}\) (resp. \(S_{B}\)) un ensemble de morphismes dans \([A]\) (resp. dans \([B]\)), le morphisme naturel \(L_{S_{A}\times S_{B}}(A\times B) \longrightarrow L_{S_{A}}A \times L_{S_{B}}B\) est un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\). Un autre conséquence est que si \(A'\) est une \(\mathbb {S}\)-catégorie équivalente à \(A\), alors la \(\infty \)-catégorie \(L_{S}A\) est toujours équivalente à la sous-\(\infty \)-catégorie pleine de \(Int(SPr(A'))\) formée des préfaisceaux simpliciaux \(F : (A')^{op} \longrightarrow {\mathbf {SEns}}\) qui envoient \(S\) sur des équivalences.

Pour une catégorie de modèles \(M\) nous noterons \(L(M):=L_{W}M\) sa localisée le long des équivalences faibles. Par définition \([L(M)^{op},L({\mathbf {SEns}})]\) est en bijection avec les classes d’isomorphismes d’objets dans la catégorie \({{\mathrm {Ho}}}(M^{\wedge })\) (c’est à dire avec les classes d’isomorphismes dans \({{\mathrm {Ho}}}(SPr(M))\) des préfaisceaux qui envoient équivalences sur équivalences, voir [50, §2.3.2]). Ceci implique que la sous-\(\infty \)-catégorie pleine de \(Int(M^{\wedge })\) formée des objets équivalents à des représentables est naturellement équivalente à \(L(M)\). En particulier, le lemme de Yoneda de [50, Thm. 4.2.3] implique qu’il existe des isomorphismes naturels dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\)

$$\begin{aligned} Map_{M}(x,y) \simeq L(M)(x,y) \end{aligned}$$

pour \(x,y \in M\). Ainsi, si \(M\) est une catégorie de modèles dont les ensembles de morphismes sont \(\mathbb {U}\)-petits alors \(L(M)\) est équivalente à une \(\infty \)-catégorie dont les ensembles simplicaux de morphismes sont de mêmes \(\mathbb {U}\)-petits. Si maintenant, on suppose de plus que \(M\) est une catégorie de modèles simpliciales alors le plongement de Yoneda simplicial induit une équivalence de \(\infty \)-catégories entre \(Int(M)\) et la sous-\(\infty \)-catégorie de \(Int(M^{\wedge })\) formée des préfaisceaux équivalents à des représentables. Ainsi, on a \(Int(M) \simeq L(M)\). Ceci implique que lorsque \(M\) est \(\mathbb {U}\)-engendrée par cofibration et simpliciale alors pour toute catégorie \(I\) qui est \(\mathbb {U}\)-petite le morphisme naturel

$$\begin{aligned} L(M^{I}) \longrightarrow \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(I,L(M)) \end{aligned}$$

est un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\). En d’autres termes, la localisation commute aux Homs internes vers une \(\infty \)-catégorie provenant d’une catégorie de modèles. Cet isomorphisme naturel s’étend à toute catégorie de modèles engendrée par cofibrations et Quillen équivalente à une catégorie de modèles simpliciale (par exemple à toute catégorie de modèles combinatoire). Ceci reste aussi vrai pour des sous-catégories pleines de catégories de modèles qui sont stables par équivalences.

Cette compatibilité de la localisation des catégories de modèles avec le passage aux catégories de diagrammes implique aussi une compatibilité entre adjonctions de Quillen et adjonctions de \(\infty \)-catégories. Pour voir cela, soit \(f : M \longleftrightarrow N : g\) une adjonction de Quillen entre catégorie de modèles simpliciales et \(\mathbb {U}\)-engendrées par cofibrations. On définit un foncteur \(\mathbb {L}f : LM \longrightarrow LN\) par le diagramme commutatif suivant

\(M^{c}\) est la sous-catégorie pleine des objets cofibrants, \(Q\) est un foncteur de remplacement cofibrant, et \(Lf^{c}\) est le \(\infty \)-foncteur induit par \(f^{c}\) (ce qui a un sens car \(f^{c}\) préserve les équivalences). Dualement, on définit \(\mathbb {R}g : LN \longrightarrow LM\) par le diagramme commutatif

où maintenant \(N^{f}\) est la sous-catégorie des objets fibrants et \(R\) est un foncteur de remplacement fibrant. Ces constructions définissent deux morphismes dans \({{\mathrm {Ho}}}_{\le 2}(\infty -{\mathbf {Cat}})\)

$$\begin{aligned} \mathbb {L}f : LM \longrightarrow LN \qquad LM \longleftarrow LN : \mathbb {R}g. \end{aligned}$$

Pour un objet \(x\in M\), on dispose d’une chaine de morphismes dans \(M\)

$$\begin{aligned} gRfQ(x) \longleftarrow gfQ(x) \longleftarrow Q(x) \longrightarrow x, \end{aligned}$$

et donc d’un diagramme

$$\begin{aligned} RfQ \longleftarrow Q \longrightarrow id \end{aligned}$$

d’endofoncteurs de \(M\). Ces foncteurs préservant les équivalences on en déduit un morphisme bien défini dans \([\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(LM,LM)]\)

$$\begin{aligned} u : id \longrightarrow \mathbb {R}g \mathbb {L}f. \end{aligned}$$

On vérifie alors que le couple \((\mathbb {R}g,u)\) est un adjoint à droite de \(\mathbb {L}f\) en remarquant que pour toute \(\infty \)-catégorie \(C\), le couple induit sur

$$\begin{aligned} {{\mathrm {Ho}}}(M^{C})\simeq [\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(C,LM)] \longleftrightarrow [\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(C,LN)] \simeq {{\mathrm {Ho}}}(N^{C}) \end{aligned}$$

n’est autre que le couple définissant l’adjonction dérivée de l’adjonction de Quillen induite sur les catégories de modèles de diagrammes

$$\begin{aligned} f : M^{C} \longleftrightarrow N^{C} : g. \end{aligned}$$

On déduit de cela que pour toute catégorie de modèles simpliciales et \(\mathbb {U}\)-engendrée par cofibration \(M\) la \(\infty \)-catégorie \(LM\) possède des \(\mathbb {U}\)-limites et des \(\mathbb {U}\)-colimites. En effet, pour une \(\infty \)-catégorie \(I\) qui est \(\mathbb {U}\)-petite, on considère le foncteur \(Colim_{I} : M^{I} \longrightarrow M\). Ce foncteur étant de Quillen à gauche pour la structure de modèles projective sur \(M^{I}\) on en déduit que le \(\infty \)-foncteur induit

$$\begin{aligned} \mathbb {L}Colim_{I} : L(M^{I})\simeq \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(I,LM) \longrightarrow LM \end{aligned}$$

est un adjoint à gauche du \(\infty \)-foncteur diagramme constant. De même, si \(\widetilde{*}\) est un remplacement de l’objet final de \({\mathbf {SEns}}^{I}\) alors le foncteur

$$\begin{aligned} \underline{Hom}(\widetilde{*},-) : M^{I} \longrightarrow M \end{aligned}$$

est de Quillen à droite et le \(\infty \)-foncteur induit

$$\begin{aligned} L(M^{I})\simeq \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(I,LM) \longrightarrow LM \end{aligned}$$

est un adjoint à droite du foncteur diagramme constant (qui est le foncteur obtenu par localisation à partir de l’adjoint à gauche \(x \mapsto \widetilde{*} \otimes x\)). Enfin, comme toute catégorie de modèles combinatoire est Quillen équivalente à une catégorie de modèles simpliciales on voit aussi que \(LM\) possède des \(\mathbb {U}\)-limites et des \(\mathbb {U}\)-colimites pour toute catégorie de modèles \(\mathbb {U}\)-combinatoire \(M\).

Terminons ce paragraphe par la remarque suivante: soit \(M\) est une catégorie de modèles combinatoire, \(S\) est un ensemble de morphismes dans \(M\) et \(L_{S}^{B}M\) la localisation de Bousfield à gauche de \(M\) le long de \(S\). L’adjonction \(id : L_{S}^{B}M \longleftrightarrow M : id\) induit alors une adjonction sur les \(\infty \)-catégories localisées

$$\begin{aligned} i : L(L_{S}^{B}M) \longleftrightarrow LM : l. \end{aligned}$$

Le \(\infty \)-foncteur \(l : LM \longrightarrow L(L_{S}^{B}M)\) induit alors un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty - {\mathbf {Cat}})\)

$$\begin{aligned} L_{S}(LM) \simeq L(L_{S}^{B}M). \end{aligned}$$

Définition 2.2

La \(\infty \) -catégorie des \(\infty \) -catégories est \(L(\infty -{\mathbf {Cat}})\). Elle sera notée \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}\) (ou encore \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}_{\mathbb {U}}\) si l’on se restreint aux \(\infty \)-catégories \(\mathbb {U}\)-petites).

Par définition on a une équivalence de catégories

$$\begin{aligned}{}[\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}]\simeq {{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}). \end{aligned}$$

De plus, comme \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}\) est une catégorie de modèles simpliciale on a une équivalence de \(\infty \)-catégories

$$\begin{aligned} \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}\simeq Int(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}). \end{aligned}$$

2.3 \(\infty \)-Catégories cofibrées

Pour ce paragraphe nous noterons \(I\) une catégorie (disons \(\mathbb {U}\)-petite pour fixer les idées). On définit une adjonction

$$\begin{aligned} \int \limits _{I} : (\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr})^{I} \longleftrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}/I : Se_{I} \end{aligned}$$

de la façon suivante. Pour \(A \rightarrow I\) un objet de \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}/I\) on pose

$$\begin{aligned} Se_{I}(A):=\underline{Hom}_{I}(-/I,A) : I \longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}. \end{aligned}$$

Dans cette notation \(-/I\) est le foncteur \(I \longrightarrow {\mathbf {Cat}}\) qui envoie \(i\in I\) sur \(i/I\), et \(\underline{Hom}_{I}\) sont les \(Hom\) enrichis de \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}/I\) à valeurs dans \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}\) (naturellement induits par ceux de \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}\)). Le foncteur \(Se_{I}\) possède un adjoint à gauche \(\int _{I}\). Cet adjoint est caractérisé par le fait qu’il commute aux colimites, à l’enrichissement dans \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}\), et par le fait que

$$\begin{aligned} \int \limits _{I} (h^{i})=i/I \rightarrow I, \end{aligned}$$

\(h^{i}\) est le préfaisceau d’ensembles coreprésenté par l’objet \(i\). De manière plus explicite, pour \(F : I \longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}\) un préfaisceau en pré-catégories de Segal, on définit une pré-catégorie de Segal \(\int _{I}F\) dont les objets sont les couples \((i,x)\), avec \(i\in I\) et \(x\) un objet de \(F(i)\). Pour \((i_{1},x_{1})\), ...\((i_{n},x_{n})\) de tels objets on pose

où la somme est prise sur tous les diagrammes dans \( I\), et où l’on note encore \(x_{j}\) l’image de \(x_{j} \in F(i_{j})\) par le morphisme \(F(i_{j}) \rightarrow F(i_{n})\). Cette description montre que le foncteur \(\int _{I}\) préserve les équivalences.

On remarque que le foncteur \(Se_{I}\) est de Quillen à droite, comme on peut le déduire du fait que \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}\) est une catégorie de modèles interne. Cette adjonction se dérive en une adjonction

$$\begin{aligned} \int \limits _{I} : {{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{I}) \longleftrightarrow {{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}/I) : \mathbb {R}Se_{I}. \end{aligned}$$

Soit maintenant \(\pi : A \rightarrow I\) un objet de \(\infty -{\mathbf {Cat}}/I\). Nous dirons qu’un morphisme \(\alpha \in A(x,y)\) est cocartésien si pour tout \(z \in A\) le diagramme suivant

est homotopiquement cartésien. Dans le cadre des catégories, la notion ci-dessus de morphismes cocartésiens est légèrement plus forte que la notion que l’on trouve dans [34, Exp. VI], et elle correspondant en réalité à la condition \(FibII'\) de [34, Exp. VI, Prop. 6.11]. Cependant, la notion ci-dessus de catégories cofibrées est compatible avec celle de [34, Exp. VI].

Définition 2.3

  1. 1.

    Un objet \(A\rightarrow I\) dans \(\infty -{\mathbf {Cat}}/I\) est cofibré si pour tout morphisme \(u : i\rightarrow j\) dans \(I\), et tout objet \(x\) de \(A\) avec \(\pi (x)=i\) il existe \(y \in A\) et un morphisme cocartésien \(\alpha \in A(x,y)\) avec \(\pi (\alpha )\) isomorphe à \(u\) dans la catégorie comma \(i/I\).

  2. 2.

    Un morphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}/I)\) est cocartésien s’il préserve les morphismes cocartésiens.

La sous-catégorie, non pleine, de \({{\mathrm {Ho}}}(s- {\mathbf {Cat}}/I)\) formée des objets cofibrés et des morphismes cocartésiens sera notée \({{\mathrm {Ho}}}(\infty - {\mathbf {Cat}}/I)^{cocart}\).

Il existe une version duale de morphismes cartésiens, et de \(\infty \)-catégorie fibrée. Nous laissons le soin au lecteur de dualiser ces notions ainsi que les énoncés que nous allons maintenant démontrer.

On remarque qu’un objet \(\pi : A \rightarrow I\) est cofibré si et seulement si la projection naturelle

$$\begin{aligned} p : \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\Delta ^{1},A) \longrightarrow \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\{0\},A)\times _{\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\{0\},I)}^{h}\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\Delta ^{1},I) \end{aligned}$$

est essentiellement surjective lorsqu’elle est restreinte à la sous-\(\infty \)-catégorie pleine \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\Delta ^{1},A)^{cart} \subset \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\Delta ^{1},A)\), formée des morphismes cocartésiens. Ceci montre que la condition d’être cofibré est stable par équivalences dans \(\infty -{\mathbf {Cat}}\).

Proposition 2.4

Le foncteur \(\int _{I} \) induit une équivalence de catégorie

$$\begin{aligned} \int \limits _{I} : {{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{I}) \longrightarrow {{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}/I)^{cart}. \end{aligned}$$

Preuve

Commeçons par montrer que le foncteur \(\int _{I}\) se factorise par la sous-catégorie \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}/I)^{cart}\). Pour cela, soit \(F : I \longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}\) un foncteur, \(\pi : \int _{I}F \rightarrow I\) son intégrale, et vérifions que \(\pi \) est cofibré. Comme la condition d’être cofibré est visiblement invariante par équivalences dans \(\infty -{\mathbf {Cat}}/I\) on peut supposer que \(\pi \) est de plus une fibration de \(\infty \)-catégories. Soit \(u : i \rightarrow j\) un morphisme dans \(I\), et \(a\in A\) avec \(\pi (a)\simeq i\). Comme \(\pi \) est une fibration l’isomorphisme \(\pi (a)\simeq i\) se relève un une équivalence \(a \rightarrow a'\) dans \(A\) avec \(\pi (a')=i\). Quitte à travailler avec \(a\)’ au lieu de \(a\), cela montre que l’on peut supposer que \(\pi (a)=i\). L’objet \(a\) est donc de la forme \((i,x)\), avec \(x\in F(i)\). Soit \(y=u(x) \in F(j)\). Alors, le morphisme \(u\) et l’identité de \(y\) défini un élément \(\alpha \) dans

$$\begin{aligned} \left( \int \limits _{I} F\right) ((i,x),(j,y)):= \coprod _{v : i \rightarrow j}F(j)(v(x),y). \end{aligned}$$

On a \(\pi (\alpha )=u\). De plus, si \((k,z)\) est un objet de \(A\) le carré suivant

est évidemment cartésien, et donc homotopiquement cartésien car les bases sont des ensembles simpliciaux discrets. Ceci montre que \(\alpha \) est cocartésien avec \(\pi (\alpha )=u\), et donc que \(\pi \) est cofibré.

Soit maintenant \(f : F \longrightarrow G\) un morphisme dans \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{I}\), et montrons que le morphisme induit

$$\begin{aligned} \int \limits _{I} f : \int \limits _{I} F \longrightarrow \int \limits _{I} G \end{aligned}$$

est un morphisme cocartésien. Pour cela, remarquons qu’un morphisme dans

$$\begin{aligned} \left( \int \limits _{I} F\right) ((i,x),(j,y)):= \coprod _{u : i \rightarrow j}F(j)(u(x),y), \end{aligned}$$

de composante \((u,\gamma )\), avec \(\gamma \in F(j)(u(x),y)\), est cocartésien si et seulement si \(\gamma \) est une équivalence dans \(A\). Or, le morphisme \(\int \nolimits _{I}f\) envoie un morphisme\((u,\gamma )\) sur \((f(u),f(\gamma ))\), ce qui montre bien que \(\int \nolimits _{I}f\) est toujours un morphisme cocartésien.

Considérons maintenant \(\mathbb {R}Se_{I}^{cart}\) le sous-foncteur de \(\mathbb {R}Se_{I}\) formé des sections cocartésiennes. En clair, pour un objet fibrant \(\pi : A \rightarrow I\) dans \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}/I\), et pour \(i\in I\), \(\mathbb {R}Se_{I}^{cart}(A)(i)\) est la sous-\(\infty \)-catégorie pleine de \(Se_{I}(A)(i)=\underline{Hom}_{I}(i/I,A)\) formée des morphismes cocartésiens \(i/I \longrightarrow A\). On dispose d’une transformation naturelle \(\mathbb {R}Se_{I}^{cart} \rightarrow \mathbb {R}Se_{I}\) ce qui permet de définir une transformation naturelle

$$\begin{aligned} h : \int \limits _{I} \circ \mathbb {R}Se_{I}^{cart} \longrightarrow id. \end{aligned}$$

De même, la transformation naturelle

$$\begin{aligned} k : id \longrightarrow \mathbb {R}Se_{I} \int \limits _{I} \end{aligned}$$

se factorise par le sous-foncteur \(\mathbb {R}Se^{cart}_{I} \int \nolimits _{I}\), et induit ainsi une transformation naturelle

$$\begin{aligned} k : id \longrightarrow \mathbb {R}Se^{cart}_{I} \int \limits _{I}. \end{aligned}$$

Les données de \(h\) et \(k\) définissent de plus une adjonction

$$\begin{aligned} \int \limits _{I} : {{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{I}) \longleftrightarrow {{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}/I)^{cart} : \mathbb {R}Se_{I} \end{aligned}$$

Il nous reste donc à montrer que les deux assertions suivantes.

  1. 1.

    Pour tout objet cofibré \(\pi : A \longrightarrow I\) le morphisme d’adjonction

    $$\begin{aligned} h : \int \limits _{I} \circ \mathbb {R}Se_{I}^{cart}(A) \longrightarrow A \end{aligned}$$

    est un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\).

  2. 2.

    Pour tout objet \(F \in {{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{I})\), le morphisme d’adjonction

    $$\begin{aligned} k : F \longrightarrow \mathbb {R}Se_{I}^{cart}(A)\int \limits _{I} (F) \end{aligned}$$

    est un isomorphisme.

Le lemme suivant est le résultat clé. \(\square \)

Lemme 2.5

Soit \(\pi : A \rightarrow I\) un objet cofibré de \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}/I)\) et \(i\in I\). Alors, le \(\infty \)-foncteur d’évaluation en \(i\)

$$\begin{aligned} ev_{i} : \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}_{I}(i/I,A) \longrightarrow \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}_{I}(\{i\},A)\simeq A\times ^{h}_{I}\{i\} \end{aligned}$$

est un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\).

Preuve

On utilisera ici l’Appendice 6. On supposera que le morphisme \(\pi : A \longrightarrow I\) est de plus une fibration. Il s’agit donc de montrer que l’évaluation en \(i\) induit une équivalence

$$\begin{aligned} Se_{I}^{cart}(i/I,A) \simeq \pi ^{-1}(i). \end{aligned}$$

Soit \(C\) la catégorie des simplexes du nerf de \(i/I\). Rappelons que ces objets sont les foncteurs \(\Delta ^{n} \longrightarrow i/I\), et les morphismes les diagrammes (strictement) commutatifs

On dispose d’une projection naturelle \(p : C \longrightarrow i/I\), qui à \(f : \Delta ^{n} \longrightarrow i/I\) associe \(f(0)\) (où les objets de \(\Delta ^{n}\) sont notés ). Cette projection fait de \(i/I\) la localisation, au sense de notre §2.2, de \(C\) le long des morphismes verticaux (i.e. ceux qui s’envoient sur des identités dans \(i/I\), voir par exemple [15, Lem. 16.1] ou encore 6.1). En d’autres termes, le foncteur

$$\begin{aligned} p^{*} : {{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}}^{i/I}) \longrightarrow {{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}}^{C}) \end{aligned}$$

est pleinement fidèle et son image essentielle consiste en les diagrammes pour les quels les morphismes verticaux de \(C\) opèrent par des équivalences. De plus, le morphisme naturel

$$\begin{aligned} {{\mathrm {Hocolim}}}_{\Delta ^{n} \rightarrow i/I}\Delta ^{n} \longrightarrow i/I \end{aligned}$$

est un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\) (voir 6.2). On déduit de cela qu’il existe un isomorphisme naturel dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\)

$$\begin{aligned} Se_{I}^{cart}(i/I,A)\simeq {{\mathrm {Holim}}}_{\Delta ^{n} \rightarrow i/I}Se_{I}^{cart}(\Delta ^{n},A). \end{aligned}$$

De plus, par définition des morphismes cocartésiens et en utilisant le fait que \(\pi : A \longrightarrow I\) soit cofibré, on voit que le \(\infty \)-foncteur d’évaluation en \(\{0\} \in \Delta ^{1}\) induit, pour tout \(f : \Delta ^{1} \longrightarrow I\), une équivalence

$$\begin{aligned} Se_{I}^{cart}(\Delta ^{1},A) \longrightarrow \pi ^{-1}(f(0)). \end{aligned}$$

De même, on voit que pour tout \(f : \Delta ^{n} \longrightarrow I\), le foncteur d’évaluation en \(\{n\}\) fournit une équivalence

$$\begin{aligned} Se_{I}^{cart}(\Delta ^{n},A) \longrightarrow \pi ^{-1}(f(0)). \end{aligned}$$

Ceci montre que le foncteur

$$\begin{aligned} (\Delta ^{n} \rightarrow i/I) \mapsto Se_{I}^{cart}(\Delta ^{n},A) \end{aligned}$$

est isomorphe, dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{C})\), à l’image réciproque par \(p : C \longrightarrow i/I\) d’un foncteur \(E \in {{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{i/I})\). En particulier, on a

$$\begin{aligned} {\mathrm {Holim}}_{\Delta ^{n} \rightarrow i/I}Se_{I}^{cart}(\Delta ^{n},A) \simeq {\mathrm {Holim}}_{i \rightarrow j}E(j)\simeq E(i)\simeq Se_{I}(\{i\},A)\simeq \pi ^{-1}(i), \end{aligned}$$

car \(i\) est initial dans \(i/I\). Ceci termine la preuve du lemme. \(\square \)

Montrons comment le lemme précédent implique que pour tout objet cofibré \(\pi : A \rightarrow I\) dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\) le morphisme d’adjonction

$$\begin{aligned} \int \limits _{I}\mathbb {R}Se_{I}^{cart}(A) \longrightarrow A \end{aligned}$$

est un isomorphisme. Sans perte de généralité nous pouvons supposer que \(\pi \) est une fibration. Soit alors \(x\) et \(y\) deux objets de \(A\), d’images par \(\pi \) notées \(i\) et \(j\) respectivement. Pour tout \(u \in I(i,j)\) choisissons \(\widehat{u} : x \rightarrow x_{u}\) un morphisme cocartésien qui relève \(u\) (comme \(\pi \) est une fibration nous pouvons supposer de plus que se relèvement est strict: \(\pi (\widehat{u})=u\)). On dispose alors d’un morphisme (bien défini dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\))

$$\begin{aligned} \coprod _{u\in I(i,j)}A(x_{u},y) \longrightarrow A(x,y), \end{aligned}$$

qui consiste à précomposer avec les morphismes \(\widehat{u}\). Notons \(A^{id}(x_{u},y)\) le sous-ensemble simplicial de \(A(x_{u},y)\) formé des morphismes dont l’image par \(\pi \) est égale à l’identité de \(j=\pi (x_{u})=\pi (y)\). Alors, comme les morphismes \(\widehat{u}\) ont étés choisis cocartésiens on voit que le morphisme induit

$$\begin{aligned} \phi : \coprod _{u\in I(i,j)}A^{id}(x_{u},y) \longrightarrow A(x,y), \end{aligned}$$

est un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\). Supposons alors que \(x\) et \(y\) soient les images de deux objets, \(x'\) et \(y'\) dans \(\int \nolimits _{I}\mathbb {R}Se_{I}^{cart}(A)\). Le lemme 2.5 montre alors que le morphisme \(\phi \) ci-dessus est isomorphe (dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\)) au morphisme naturel

$$\begin{aligned} \left( \int \limits _{I}\mathbb {R}Se_{I}^{cart}(A) \right) (x',y') \longrightarrow A(x,y). \end{aligned}$$

Ceci montre en particulier que \(\int \nolimits _{I}\mathbb {R}Se_{I}^{cart}(A) \longrightarrow A\) est pleinement fidèle. L’essentielle surjectivité se voit immédiatement à l’aide du lemme 2.5, car il implique que toutes les fibres \(\pi ^{-1}(i) \subset A\) sont contenues dans l’image essentielle.

Le lemme 2.5 implique d’autre part que le morphisme d’ajonction

$$\begin{aligned} F \longrightarrow \mathbb {R}Se_{I}^{cart}\int \limits _{I} F \end{aligned}$$

est un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{I})\). En effet, il suffit de voir que le morphisme naturel

$$\begin{aligned} F(i) \longrightarrow \left( \int \limits _{I} F\right) \times _{I}^{h}\{i\} \end{aligned}$$

est une équivalence. Ce qui se déduit aisément du fait que la fibre homotopique de \(\int \nolimits _{I}F \longrightarrow I\) en \(i\in I\) est naturellement équivalente à la fibre naïve, qui elle est isomorphe à \(F(i)\). \(\square \)

2.4 \(\infty \)-Catégories localement présentables

Nous utiliserons la notation suivante.

Définition 2.6

  1. 1.

    La \(\infty \) -catégorie des types d’homotopie est définie par

    $$\begin{aligned} \mathbb {T}:= L({\mathbf {SEns}}). \end{aligned}$$

    Pour un univers fixé \(\mathbb {U}\) nous noterons, lorsque cela est nécessaire,

    $$\begin{aligned} \mathbb {T}_{\mathbb {U}} := L({\mathbf {SEns}}_{\mathbb {U}}), \end{aligned}$$

    \({\mathbf {SEns}}_{\mathbb {U}}\) désigne la catégorie des ensembles simpliciaux \(\mathbb {U}\)-petits.

  2. 2.

    Pour une \(\infty \)-catégorie \(A\) qui est \(\mathbb {U}\)-petite, la \(\infty \) -catégorie des préfaisceaux sur \(A\) est définie par

    $$\begin{aligned} \widehat{A}:=\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(A^{op},\mathbb {T}_{\mathbb {U}}). \end{aligned}$$

Remarquons que l’on a un isomorphisme naturel \(\mathbb {T}\simeq Int({\mathbf {SEns}})\) dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\). De même, lorsque \(A\) est une \(\infty \)-catégorie stricte ona

$$\begin{aligned} \widehat{A}=\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(A^{op},\mathbb {T}) \simeq \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(A^{op},Int({\mathbf {SEns}})) \simeq Int(SPr(A))\simeq L(SPr(A)), \end{aligned}$$

\(SPr(A)\) est la catégorie des préfaisceaux simpliciaux sur \(A\). Pour deux univers \(\mathbb {U}\in \mathbb {V}\) le morphisme d’inclusion

$$\begin{aligned} Int({\mathbf {SEns}}_{\mathbb {U}}) \simeq \mathbb {T}_{\mathbb {U}} \longrightarrow Int({\mathbf {SEns}}_{\mathbb {V}}) \simeq \mathbb {T}_{\mathbb {V}} \end{aligned}$$

est ainsi pleinement fidèle. Pour une \(\infty \)-catégorie \(\mathbb {U}\)-petite \(A\) on trouve ainsi un \(\infty \)-foncteur pleinement fidèle

$$\begin{aligned} \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(A^{op},\mathbb {T}_{\mathbb {U}}) \longrightarrow \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(A^{op},\mathbb {T}_{\mathbb {V}}). \end{aligned}$$

Ainsi, bien que la définition précédente de la \(\infty \)-catégorie \(\widehat{A}\) dépende du choix d’un univers, les constructions que nous en tirerons ne dépendront pas de ce choix, quitte à choisir un univers de départ suffisemment gros. C’est pour cette raison que la notation \(\widehat{A}\) ne fait pas mention de l’univers \(\mathbb {U}\).

Pour une \(\infty \)-catégorie stricte \(A\) on dispose du plongement de Yoneda \(h : A \longrightarrow \widehat{A}\), adjoint du \(\infty \) foncteur \(A \times A^{op} \longrightarrow \mathbb {T}\) qui envoie \((a,b)\) sur \(A(b,a)\). Pour une \(\infty \)-catégorie quelconque on définit le plongement de Yoneda \(h : A \longrightarrow \widehat{A}\) en choisissant un modèle strict pour \(A\) et en appliquand la construction précédente. Le \(\infty \)-foncteur \(h\) est toujours pleinement fidèle. Ainsi, pour deux \(\infty \)-catégories \(A\) et \(B\) le morphisme

$$\begin{aligned} \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(A,B) \longrightarrow \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(A,\widehat{B}) \simeq \widehat{A^{op}\times B} \end{aligned}$$

est pleinement fidèle. Son image consiste en tous les \(\infty \)-foncteurs \(F : A\times B^{op} \longrightarrow \mathbb {T}\) tel que pour tout \(a\in A\) le \(\infty \)-foncteur \(F(a,-) \in \widehat{B}\) est représentable (i.e. isomorphe dans \(\widehat{B}\) à un objet de l’image essentielle du plongement de Yoneda pour \(B\)).

Définition 2.7

Soit \(\mathbb {U}\) un univers fixé. Une \(\infty \)-catégorie \(A\) est presque \(\mathbb {U}\) -localement présentable s’il existe une \(\infty \)-catégorie \(A_{0}\) qui est \(\mathbb {U}\)-petite et un \(\infty \)-foncteur pleinement fidèle

$$\begin{aligned} A \longrightarrow \widehat{A_{0}} \end{aligned}$$

qui possède un adjoint à gauche.

La \(\infty \)-catégorie \(\widehat{A_{0}}\) étant de la forme \(Int(SPr(A_{0}'))\), pour \(A_{0}'\) un modèle strict de \(A_{0}\), elle possède des \(\mathbb {U}\)-limites et des \(\mathbb {U}\)-colimites. On déduit formellement de cela que toute \(\infty \)-catégorie presque \(\mathbb {U}\)-localement présentable possède aussi des \(\mathbb {U}\)-limites et des \(\mathbb {U}\)-colimites. Si \(A \longrightarrow \widehat{A_{0}}\) est comme dans la définition précédente, les limites dans \(A\) sont simplement calculées dans \(\widehat{A_{0}}\) (elles restent dans \(A\) car le foncteur d’inclusion est adjoint à droite et donc commute aux limites). Les colimites sont aussi calculées dans \(\widehat{A_{0}}\) puis ramenées dans \(A\) à l’aide de l’adjoint à gauche \(\widehat{A_{0}} \longrightarrow A\).

Définition 2.8

Nous dirons qu’une \(\infty \)-catégorie \(A\) est \(\mathbb {U}\) -localement présentable s’il existe une catégorie de modèles \(M\) qui est \(\mathbb {U}\)-combinatoire et un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\)

$$\begin{aligned} A \simeq LM. \end{aligned}$$

Une remarque importante est que \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}_{\mathbb {U}}\) est une \(\infty \)-catégorie \(\mathbb {U}\)-localement présentable.

D’après [6] toute catégorie de modèles \(\mathbb {U}\)-combinatoire est Quillen équivalente à une localisation de Bousfield d’une catégorie de préfaisceaux simpliciaux sur une catégorie \(\mathbb {U}\)-petite. Ceci implique qu’une \(\infty \)-catégorie \(\mathbb {U}\)-localement présentable est presque \(\mathbb {U}\)-localement présentable. Réciproquement on peut montrer qu’une \(\infty \)-catégorie presque \(\mathbb {U}\)-localement présentable est \(\mathbb {U}\)-localement présentable si et seulement si tous ses objets sont \(\kappa \)-compact (pour un cardinal régulier \(\kappa \) qui dépend de l’objet considéré).

Une des propriétés fondamentales des \(\infty \)-catégories (presque) \(\mathbb {U}\)-localement présentables que nous utiliserons est le critère d’existence d’adjoint suivant.

Proposition 2.9

Soit \(f : A \longrightarrow B\) un \(\infty \)-foncteur.

  1. 1.

    Si \(A\) est presque \(\mathbb {U}\)-localement présentable et si \(f\) commute aux \(\mathbb {U}\)-colimites alors \(f\) possède un adjoint à droite.

  2. 2.

    Si \(A\) est \(\mathbb {U}\)-compactement engendrée et si \(F\) commute aux \(\mathbb {U}\)-limites et aux colimites \(\kappa \)-filtrantes pour un cardinal régulier \(\kappa \), alors \(f\) possède un adjoint à gauche.

Preuve

Quitte à choisir des modèles stricts nous supposerons que les \(\infty \)-catégories en jeu sont des \(\mathbb {S}\)-catégories.

\((1)\) On considère l’adjonction de Quillen

$$\begin{aligned} f_{!} : {\mathbf {SEns}}_{\mathbb {V}}^{A} \longleftrightarrow {\mathbf {SEns}}_{\mathbb {V}}^{B} : f^{*} \end{aligned}$$

\(\mathbb {U}\in \mathbb {V}\) avec \(A\) et \(B\) éléments de l’univers \(\mathbb {V}\). Cette adjonction de Quillen donne lieu à une adjonction de \(\infty \)-catégories

$$\begin{aligned} \mathbb {L}f_{!} : \widehat{A} \simeq L({\mathbf {SEns}}_{\mathbb {V}}^{A}) \longleftrightarrow L({\mathbf {SEns}}_{\mathbb {V}}^{B})\simeq \widehat{B} : \mathbb {R}f^{*}. \end{aligned}$$

On dispose de plus d’un diagramme commutatif dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\)

où les morphismes verticaux sont les plongements de Yoneda. On voit ainsi que pour montrer que \(f\) possède un adjoint à droite il suffit de montrer que le \(\infty \)-foncteur \(\mathbb {R}f^{*}\) préserve les objets représentables. Pour tout \(b\in B\) le \(\infty \)-foncteur \(f^{*}(h_{b}) : A \longrightarrow \mathbb {T}^{op}\) commute aux \(\mathbb {U}\)-colimites par hypothèses. On voit ainsi qu’il suffit de montrer que tout objet \(F \in \widehat{A}\) qui envoie colimites dans \(A\) sur des limites dans \(\mathbb {T}\) est représentables. Pour cela, on écrit \(A\) comme une sous-\(\infty \)-catégorie réflexive d’une \(\infty \)-catégorie de préfaisceaux

$$\begin{aligned} i : A \longleftrightarrow \widehat{A_{0}} : l. \end{aligned}$$

Le foncteur \(l\circ F : \widehat{A_{0}}^{op} \longrightarrow \mathbb {T}\) commute aux \(\mathbb {U}\)-limites et est donc représentable: l’objet de \(\widehat{A_{0}}\) qui le représente n’est autre que sa propre restriction comme \(\infty \)-foncteur \(A_{0}^{op} \longrightarrow \mathbb {T}\). En effet, cela se déduit du fait que l’adjonction de Quillen induite par le plongement de Yoneda \(h : A_{0} \longrightarrow \widehat{A_{0}}\)

$$\begin{aligned} h_{!} : {\mathbf {SEns}}_{\mathbb {V}}^{A_{0}^{op}} \longleftrightarrow {\mathbf {SEns}}_{\mathbb {V}}^{\widehat{A_{0}}^{op}} : h^{*} \end{aligned}$$

induit un foncteur pleinement fidèle

$$\begin{aligned} \mathbb {L}h_{!} : {{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}}_{\mathbb {V}}^{{A_{0}}^{op}}) \longrightarrow {{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}}_{\mathbb {V}}^{\widehat{A_{0}}^{op}}) \end{aligned}$$

dont l’image essentielle consiste en les préfaisceaux simpliciaux sur \(\widehat{A_{0}}\) qui envoient colimites sur limites (voir [40, Lem. 7.3]).

\((2)\) Vue les compatibilités entre limites et colimites homotopiques dans une catégorie de modèles \(M\) et les limites et colimites dans la \(\infty \)-catégorie \(LM\) on voit qu’il faut montrer l’énoncé suivant: si \(F : M \longrightarrow {\mathbf {SEns}}_{\mathbb {V}}\) est un foncteur qui vérifie les conditions suivantes

  1. 1.

    \(F\) préserve les équivalences.

  2. 2.

    \(F\) commute aux limites homotopiques.

  3. 3.

    \(F\) commute aux colimites homotopiques \(\kappa \)-filtrantes.

Alors il existe un objet \(x\in M\) tel que \(F\) et \(Map(x,-)\) soient isomorphes comme objets dans \(SPr(M^{op})\) (ici \(M\) est \(\mathbb {V}\)-petite et les préfaisceaux sont des \(\mathbb {V}\)-préfaisceaux).

D’après les résultats de [6] on peut supposer que \(M\) est de plus simpliciale et avec tous les objets cofibrants. Les Homs simpliciaux seront alors notés \(\underline{Hom}\). Quitte à choisir \(\kappa \) suffisemment grand on peut faire en sorte que \(\kappa \) soit un cardinal suffisament grand (comme pour les preuves des résultats de [6]). Notons alors \(C\subset M\) la sous-catégorie pleine formée des objets \(\kappa \)-compacts.

Notons \(\underline{h}^{x} : M \longrightarrow {\mathbf {SEns}}\) le foncteur qui à \(y\) associe \(Hom(x,R(y))\), où \(R\) est un foncteur de remplacement fibrant. De même, notons \(h^{x} : M \longrightarrow Ens\) le foncteur qui à \(y\) associe \(Hom(x,y)\), que nous verrons comme un foncteur en ensembles simpliciaux discrets. On dispose d’un morphisme naturel \(h^{x} \longrightarrow \underline{h}^{x}\).

On note \(\Delta (C/F)\) la catégorie des simplexes de \(F\) au-dessus de \(C\). Ses objets sont des triplets \((x,n,a)\), avec \(x\in C\), \([n] \in \Delta \) et \(a\in F(x)_{n}\). Les morphismes \((x,n,a) \rightarrow (y,m,b)\) sont donnés par un morphisme \(x \rightarrow y\) dans \(C\) et un morphisme \([m] \rightarrow [n]\) dans \(\Delta \) qui envoient le simplexe \(a \in F(x)_{n}\) sur \(b \in F(y)_{m}\). On dispose d’un foncteur naturel \(\phi : \Delta (C/F) \longrightarrow C\) qui à \((x,n,a)\) associe \(x\in C\). Notons \(X:=holim_{\Delta (C/F)}\phi \in M\) la limite homotopique de ce foncteur. On dispose d’un diagramme naturel dans \({{\mathrm {Ho}}}(SPr(M^{op}))\)

De plus, comme \(F\) commute aux limites homotopiques, il existe un unique morphisme \(h^{X} \longrightarrow F\) qui rende le diagramme

commutatif dans \({{\mathrm {Ho}}}(SPr(M^{op}))\). Comme \(F\) préserve les équivalences, ce diagramme induit un nouveau diagramme commutatif (voir [50, Lem. 4.2.2])

Il est clair que le morphisme horizontal devient une équivalence lorsque l’on restreint les foncteurs à la sous-catégorie \(C\) (voir [6, Prop. 4.7]). De plus, comme les deux foncteurs en question commutent aux colimites \(\kappa \)-filtrantes, et que de plus tout objet de \(M\) est équivalent à une colimite homotopique \(\kappa \)-filtrante d’objets de \(C\), ceci implique que le morphisme

$$\begin{aligned} {\mathrm {Hocolim}}_{(x,n,a) \in \Delta (C/F)}\underline{h}^{x} \longrightarrow F \end{aligned}$$

est une équivalence. Ainsi, le morphisme \(\underline{h}^{X} \longrightarrow F\) possède une section dans \({{\mathrm {Ho}}}(SPr(M^{op}))\). Le foncteur \(F\) est donc un rétracte d’un représentable et donc est lui-même représentable par un facteur direct (dans \({{\mathrm {Ho}}}(M)\)) de \(X\). \(\square \)

Notons au passage un résultat que nous avons utilisé lors de la preuve du la partie \((1)\) de la proposition précédente: pour une \(\infty \)-catégorie \(A_{0}\) qui est \(\mathbb {U}\)-petite et pour \(B\) toute \(\infty \)-catégorie qui possède des \(\mathbb {U}\)-colimites, le morphisme de restriction

$$\begin{aligned} \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\widehat{A_{0}},B) \longrightarrow \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(A_{0},B) \end{aligned}$$

induit un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\)

$$\begin{aligned} \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}^{c} (\widehat{A_{0}},B) \longrightarrow \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(A_{0},B), \end{aligned}$$

\(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}^{c}(\widehat{A_{0}},B)\) désigne la sous-\(\infty \)-catégorie pleine de \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\widehat{A_{0}},B)\) formée des \(\infty \)-foncteurs qui commutent aux colimites. \(\square \)

2.5 \(\infty \)-Topos

Définition 2.10

  1. 1.

    Un \(\mathbb {U}-\infty \) -topos est une \(\infty \)-catégorie \(T\) tel qu’il existe une \(\infty \)-catégorie \(\mathbb {U}\)-petite \(T_{0}\) et un \(\infty \)-foncteur pleinement fidèle

    $$\begin{aligned} i : T \longrightarrow \widehat{T_{0}} \end{aligned}$$

    possèdant un adjoint à gauche qui commute aux limites finies (c’est à dire aux produits fibrés et aux produits finis).

  2. 2.

    Un \(\infty \) -topos est un \(\mathbb {U}-\infty \)-topos pour un univers \(\mathbb {U}\).

  3. 3.

    Si \(T\) et \(T'\) sont deux \(\infty \)-topos, un morphisme géométrique \(f : T \longrightarrow T'\), est un \(\infty \)-foncteur qui commute aux colimites et dont l’adjoint à gauche commute aux limites finies.

La \(\infty \) -catégorie des \(\mathbb {U}-\infty \) -topos est la sous-\(\infty \)-catégorie (non pleine) de \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}\) formée des \(\mathbb {U}-\infty \)-topos et des morphismes géométriques. Elle sera notée \(\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{\mathbb {U}}\) (ou \(\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}\) si l’on ne souhaite pas mentioner univers \(\mathbb {U}\)).

Par définition les \(\mathbb {U}-\infty \)-topos sont des \(\infty \)-catégories presques \(\mathbb {U}\)-localement présentables. Nous verrons que sous une hypothèse additionnelle de complètude ils sont en fait \(\mathbb {U}\)-localement présentables.

Tout comme le cas des topos les \(\infty \)-topos sont caractérisables par des axiomes de type Giraud (voir [24, 48, 50]). Pour un \(\infty \)-topos \(T\) fixé nous retiendrons les propriétés caractéristiques suivantes.

  1. 1.

    Il existe une sous-\(\infty \)-catégorie \(T_{0}\subset T\) qui est \(\mathbb {U}\)-petite et telle que le \(\infty \)-foncteur induit

    $$\begin{aligned} T \longrightarrow \widehat{T_{0}} \end{aligned}$$

    soit pleinement fidèle (on dit aussi que \(T_{0}\) engendre \(T\) par épimorphismes stricts).

  2. 2.

    La \(\infty \)-catégorie \(T\) possède des \(\mathbb {U}\)-limites et des \(\mathbb {U}\)-colimites.

  3. 3.

    Les \(\mathbb {U}\)-colimites dans \(T\) sont universelles: si \(x : I \longrightarrow T\) est un diagramme d’objets de \(T\), augmenté au-dessus d’un objet \(z\in T\), alors pour tout \(y \rightarrow z\) dans \(T\), le morphisme naturel

    $$\begin{aligned} colim_{I}(y\times _{z}x_{i}) \rightarrow y\times _{z}(colim_{I}x_{i}) \end{aligned}$$

    est un isomorphisme dans \([T]\).

  4. 4.

    Les sommes sont disjointes dans \(T\): si \(\{x_{i}\}_{i\in I}\) est une famille d’objets dans \(T\), de somme \(\coprod _{i\in I}x_{i}=:x\), alors pour tout \(i\ne j\) les morphimes

    $$\begin{aligned} x_{i} \longrightarrow x_{i}\times _{x}x_{i} \qquad \emptyset \longrightarrow x_{i} \times _{x}x_{j} \end{aligned}$$

    sont des isomorphismes dans \([T]\).

  5. 5.

    Les relations d’équivalences sont effectives: si \(X_{*} : \Delta ^{op} \longrightarrow T\) est un groupoïde de Segal dans \(T\) (voir [48, 50]), alors le morphisme naturel

    $$\begin{aligned} X_{1} \longrightarrow X_{0}\times _{colim_{\Delta } X_{*}}X_{0} \end{aligned}$$

    est un isomorphisme dans \([T]\).

Notons aussi que les propriétés \((3)-(5)\) peuvent aussi s’exprimer de manière uniforme par la propriété de conservation. Cette propriété apparait dans [31] et peut se traduire de la façon suivante. Pour l’énoncer nous aurons besoin de la notion de \(\infty \)-catégorie comma: si \(T\) est une \(\infty \)-catégorie et \(x\in T\) est un objet nous noterons \(T/x\) la \(\infty \)-catégorie définie comme la fibre homotopique en \(x\) du morphisme

$$\begin{aligned} \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\Delta ^{1},T) \longrightarrow T, \end{aligned}$$

\(\Delta ^{1}\) est la catégorie classifiant les morphismes (\(\Delta ^{1}:=\left( 0 \rightarrow 1 \right) \)), et le morphisme ci-dessus est l’évaluation en l’objet \(1 \in \Delta ^{1}\). Soit maintenant \(x : I \longrightarrow T\) un diagramme d’objet de \(T\) avec \(I\) une catégorie \(\mathbb {U}\)-petite. On considère \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(I,T)\) la \(\infty \)-catégorie des \(I\)-diagrammes dans \(T\) et \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(I,T)/x\) la \(\infty \)-catégorie des diagrammes au-dessus de \(x\). Lorsque \(T\) possède des colimites on dispose du \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} colim_{I} : \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(I,T)/x \longrightarrow T/|x|, \end{aligned}$$

\(|x|\) est la colimite du diagramme \(x\). Lorsque \(T\) possède des limites finies ce foncteur possède un adjoint à droite

$$\begin{aligned} -\times _{|x|}x : T/|x| \longrightarrow \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(I,T)/x. \end{aligned}$$

La propriété de conservation affirme alors que le foncteur \(-\times _{|x|}x\) est pleinement fidèle et que son image essentiellement consiste en des diagrammes \(y : I \longrightarrow T\), augmentés sur \(x\), et tel que pour tout \(i\rightarrow j\), morphisme dans \(I\), le morphisme

$$\begin{aligned} y_{i} \longrightarrow (x_{i})\times _{(x_{j})}(y_{j}) \end{aligned}$$

est un isomorphisme dans \([T]\). En d’autres termes, le foncteur

$$\begin{aligned} colim_{I} : \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(I,T)/x \longrightarrow T/|x|, \end{aligned}$$

restreint à la sous-catégorie des diagrammes \(y \rightarrow x\) vérifiant la propriété ci-dessus, est une équivalence.

Soit \(T\) un \(\infty \)-topos. Un objet \(x\in T\) est \(n\) -tronqué si pour tout \(y\in T\) l’ensemble simplicial \(T(y,x)\) est \(n\)-tronqué. De manière équivalente, \(x\) est \(n\)-tronqué si pour tout \(i>n\) le morphisme naturel \(x \longrightarrow x^{S^{i}}\) est un isomorphisme dans \([T]\). La sous-\(\infty \)-catégorie pleine des objets \(n\)-tronqués de \(T\) sera notée \(T_{\le n} \subset T\). Les \(\infty \)-foncteurs d’inclusion \(T_{\le n} \longrightarrow T\) possèdent des adjoints à gauche \(t_{n} : T \longrightarrow T_{\le n}\). Nous dirons alors que \(T\) est t-complet si et seulement si tout objet \(x\in T\) tel que \(t_{n}(x) \simeq *\) pour tout \(n\) est tel que \(x\simeq *\). En d’aurtes termes, \(T\) est t-complet s’il n’existe aucun objet non trivial qui soit \(n\)-connexe pour tout \(n\). Les \(\infty \)-topos t-complets se décrivent alors à l’aide d’une notion de \(\infty \)-topologie. On montre plus précisément que pour une \(\infty \)-catégorie \(T_{0}\) fixée, il existe une bijection entre les classes d’équivalences de sous-\(\infty \)-topos t-complets de \(\widehat{T_{0}}\) et les topologie de Grothendieck sur la catégorie \([T_{0}]\) (voir [50, Thm. 3.8.3]). Ceci implique en particulier un procédé de construction des \(\infty \)-topos à l’aide d’une notion de \(\infty \) -site, c’est à dire à l’aide de couple \((T_{0},\tau )\), formés d’une \(\infty \)-catégorie \(T_{0}\) est d’une topologie sur \([T_{0}]\). En effet, pour un tel \(\infty \)-site, avec \(T_{0}\) strict, on peut construire une catégorie de modèles \(SPr_{\tau }(T_{0})\) qui est une localisation de Bousfield à gauche pour une notion d’équivalences locale dans \(SPr(T_{0})\) (voir [50, §3.4]). La \(\infty \)-catégorie \(L(SPr_{\tau }(T_{0}))\) est alors un \(\infty \)-topos t-complet, que l’on notera \(T_{0}^{\sim ,\tau }\). Une conséquence de cela est que tout \(\infty \)-topos t-complet est de la forme \(LM\) pour \(M\) un topos de modèles t-complet. En particulier tout \(\infty \)-topos t-complet est \(\mathbb {U}\)-localement présentable.

Champs à valeurs dans une \(\infty \) -catégorie. Pour finir, soit \((T_{0},\tau )\) un \(\infty \)-site qui est de plus \(\mathbb {U}\)-petit et considérons le \(\infty \)-topos \(T:=T_{0}^{\sim ,\tau }\) associé. C’est la sous-\(\infty \)-catégorie pleine de \(\widehat{T_{0}}\) formée des \(\infty \)-foncteurs \(T_{0}^{op} \longrightarrow \mathbb {T}_{\mathbb {U}}\) qui possède la propriété de descente pour les hyper-recouvrements (voir [50, Cor. 3.4.7]). Le \(\infty \)-foncteur d’inclusion \(i : T \hookrightarrow \widehat{T_{0}}\) possède un adjoint à gauche exact

$$\begin{aligned} a : \widehat{T_{0}} \longrightarrow T \end{aligned}$$

(c’est le \(\infty \)-foncteur de faisceautisation aussi appelé champ associé). Le composé du plongement de Yoneda \(h: T_{0} \longrightarrow \widehat{T_{0}}\) et de \(a\) définit un \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} h^{\sim } : T_{0} \longrightarrow T \end{aligned}$$

qui n’est plus pleinement fidèle en général (par définition il l’est si la topologie \(\tau \) est sous-canonique). Soit maintenant \(A\) une \(\infty \)-catégorie qui possède des \(\mathbb {U}\)-limites. On dispose alors d’un morphisme de restriction

$$\begin{aligned} \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}^{l}(T^{op},A) \longrightarrow \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(T_{0},A), \end{aligned}$$

\(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}^{l}(T^{op},A)\) est la sous-\(\infty \)-catégorie pleine de \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(T^{op},A)\) formée des \(\infty \)-foncteurs qui commutents aux limites. On vérifie que ce \(\infty \)-foncteur est pleinement fidèle. Son image dans \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(T_{0},A)\) est appelé par définition la \(\infty \)-catégorie des champs sur \(T_{0}\) à valeurs dans \(A\). Cette image se caractérise de la façon suivante: un \(\infty \)-foncteur \(F : T_{0}^{op} \longrightarrow A\) est un champ s’il possède la propriété de descente par rapport aux hyper-recouvrements. Nous posons la définition suivante.

Définition 2.11

Pour un \(\mathbb {U}-\infty \)-topos \(T\) et une \(\infty \)-catégorie \(A\) possédant des \(\mathbb {U}\)-limites, la \(\infty \) -catégorie des champs sur \(T\) à valeurs dans \(A\) (aussi appelée la \(\infty \) -catégorie des \(A\) -champs sur \(T\)) est \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}^{l}(T^{op},A)\). Elle sera noté \(Ch(T,A)\).

Notons pour finir que le foncteur d’inclusion

$$\begin{aligned} \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}^{l}(T^{op},A) \longrightarrow \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(T_{0}^{op},A), \end{aligned}$$

possède lui aussi un adjoint à gauche exact. Cet adjoint à gauche est construit en composant l’équivalence

$$\begin{aligned} \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(T_ {0}^{op},A)^{op}\simeq \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(T_{0},A^{op})\simeq \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}^{c}(\widehat{T_{0}},A^{op}) \end{aligned}$$

avec le \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} a_{!} : \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}^{c}(\widehat{T_{0}},A^{op}) \longrightarrow \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}^{c}(T,A^{op})\simeq \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}^{l}(T^{op},A)^{op}, \end{aligned}$$

adjoint à gauche de la restriction suivant \(a\). où \(a : \widehat{T_{0}} \longrightarrow T\) est le \(\infty \)-foncteur champ associé.

3 Structures monoidales

Dans cette seconde section nous présentons la théorie des \(\infty \)-catégories monoïdales symétriques. Nous adopterons le point de vue qui était utilisé par le premier auteur dans [43], et de nombreuses notions et constructions sont tirés de ce texte. L’équivalence entre la théorie des \(\infty \)-catégories cofibrées sur \(\Gamma \) et celle des \(\infty \)-foncteurs de \(\Gamma \longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}\) implique que notre approche est aussi équivalente à celle utilisée récemment par J. Lurie (voir [25] par exemple).

En dehors des aspects définitionels cette section contient essentiellement deux résultats fondamentaux. Tout d’abord le Théorème 3.10 qui affirme l’existence de \(\infty \)-catégories monoïdales symétriques rigides librement engendrée par des \(\infty \)-catégories. Une conséquence de ce fait est la Proposition 3.17 affirmant l’existence et l’unicité des morphismes de traces dans les \(\infty \)-catégories monoïdales symétriques rigides. Le second résultat (Cor. 3.19 et Def. 3.20) affirme de plus que cette trace possède une propriété d’invariance cyclique qui sera pour nous cruciale pour la construction du caractère de Chern. Nous n’avons pas trouvé de preuve directe raisonnable à ce second résultat, et nous montrons qu’il s’agit d’une conséquence de la solution à l’hypothèse du cobordisme ([25]). Ce second résultat est de toute évidence le théorème le plus important de cette section, voire de cet article. Nous terminerons cette partie en montrant que, comme il se doit, la trace est multiplicative par rapport au la structure monoïdale.

3.1 Théorie homotopique des \(\infty \)-catégories monoïdales symétriques

Nous considérons la catégorie des ensembles finis pointés et applications pointées. Par soucis de petitesse nous nous restreindrons à un squelette de de cette catégorie, noté \(\Gamma \), formé des ensembles \(\{0, \dots , n\}\), pointés en \(0\), pour tout \(n\ge 0\). L’objet \(\{0, \dots , n\}\) sera noté \([n]\).

Pour un tel objet \([n] \in \Gamma \), nous disposons de \(n\)-morphismes canoniques

$$\begin{aligned} s_{i} : [n] \longrightarrow [1], \end{aligned}$$

pour \(0<i\le n\), définis par \(s_{i}(j)=\delta _{ij}\) (i.e. \(s_{i}\) envoie tout sur \(0\) sauf \(i\)). Les morphismes \(s_{i}\) sont généralement appelés les morphismes de Segal.

Définition 3.1

  1. 1.

    Une \(\infty \) -catégorie prémonoïdale symétrique (nous dirons aussi \(\infty \) -CPS) est la donnée d’un foncteur

    $$\begin{aligned}A : \Gamma \longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}.\end{aligned}$$
  2. 2.

    Une \(\infty \)-CPS \(A\) est une \(\infty \) -catégorie monoïdale symétrique (nous dirons aussi \(\infty \) -CMS) si pour tout entier \(n\ge 0\) le morphisme

    $$\begin{aligned} \prod _{1\le i\le n}s_{i} : A([n]) \longrightarrow A([1])^{n} \end{aligned}$$

    est une équivalence de \(\infty \)-catégories.

Un morphisme de \(\infty \)-CPS (resp. de \(\infty \)-CMS) est une transformation naturelle de foncteurs \(\Gamma \longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}\).

Notons que la condition d’être une \(\infty \)-CMS implique que \(A([0])\) est équivalente à la \(\infty \)-catégorie ponctuelle \(*\) (c’est le cas \(n=0\) dans la condition de la définition).

La catégorie des \(\infty \)-CPS est par définition la sous-catégorie pleine de la catégorie des foncteurs \(\infty - {\mathbf {Cat}}^{\Gamma }\) formée des \(\infty \)-CPS. De même, la catégorie des \(\infty \)-CMS est la sous-catégorie pleine de la catégorie des \(\infty \)-CPS formée des \(\infty \)-CMS. Ces deux catégories seront notées respectivement

$$\begin{aligned} \infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }\qquad \infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }\end{aligned}$$

(ou encore \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }_{\mathbb {U}}\), \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }_{\mathbb {U}}\) si fixer des univers il nous faut). Les morphismes de \(\infty \)-CPS et de \(\infty \)-CMS sont par définitions les transformations naturelles de \(\Gamma \)-diagrammes. Les morphismes entre \(\infty \)-CMS seront appelés des \(\otimes -\infty \) -foncteurs.

On dispose sur \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }\) de la structure de modèles projective pour laquelle les équivalences (resp. les fibrations) sont les morphismes \(A \longrightarrow B\) tels que \(A([n]) \longrightarrow B([n])\) soit une équivalence (resp. une fibration) pour tout \(n\). Nous noterons \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes })\) la catégorie homotopique correspondante, et \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }) \subset {{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes })\) la sous-catégorie pleine des \(\infty \)-CMS. Par extension les morphismes de \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes })\) seront aussi appelés des \(\otimes -\infty \)-foncteurs. Nous verrons par la suite que \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes })\) s’identifie naturellement à la catégorie homotopique d’une structure de modèles localisée sur \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }\) dont les objets locaux sont exactement les \(\infty \)-CMS. Mais avant cela nous présentons quelques exemples.

– Premiers exemples de \(\infty \) -CMS –

  1. 1.

    Monoïdes abéliens. La sous-catégorie pleine de \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }\) formée des foncteurs \(A : \Gamma \longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}\) tels que \(A([n])\) soit un ensemble (vu comme \(\infty \)-catégorie discrète) pour tout \(n\) est équivalente à la catégorie des monoïdes commutatifs (associatifs et unitaires). Pour voir cela on construit un foncteur \(\Gamma ^{op} \longrightarrow CMon\), de \(\Gamma ^{op}\) vers la catégorie \(CMon\) des monoïdes commutatifs de la façon suivante. L’objet \([n]\) est envoyé sur \(Hom^{0}([n],\mathbb {N})\), l’ensemble des applications \(f : [n] \longrightarrow \mathbb {N}\) telles que \(f(0)=0\), muni de sa structure de monoïde induite par la structure additive de \(\mathbb {N}\). Ceci définit un foncteur de manière évidente \(\Gamma ^{op} \longrightarrow CMon\), en envoyant un morphisme \([n] \rightarrow [m]\) sur le morphisme \(Hom^{0}([m],\mathbb {N}) \longrightarrow Hom^{0}([n],\mathbb {N})\) obtenu par composition. Pour un monoïde commutatif \(E \in CMon\) on définit alors un foncteur \(N_{\Gamma }(E) : \Gamma \longrightarrow Ens\) en précomposant le foncteur \(Hom(-,E)\) avec \(\Gamma ^{op} \longrightarrow CMon\). En d’autres termes on a \(N_{\Gamma }(E)([n])=E^{n}\), et pour \(u : [n] \rightarrow [m]\) dans \(\Gamma \) le morphisme induit

    $$\begin{aligned} u_{!} : E^{n} \longrightarrow E^{m} \end{aligned}$$

    est donné pour \(x=(x_{i}) \in E^{n}\) par la formule

    $$\begin{aligned} u_{!}(x)_{j}:=\Sigma _{i\in u^{-1}(j)}x_{i}. \end{aligned}$$

    On vérifie alors que le foncteur \(E \mapsto N_{\Gamma }(E)\) est une équivalence de \(CMon\) vers la sous-catégorie de \(\infty \)-CMS formée des foncteurs qui prennent leurs valeurs dans les ensembles.

  2. 2.

    Catégories monoïdales symétriques (voir aussi [22, Def. 3.3.7]). L’exemple précédent se généralise au cas des catégories monoïdales symétriques de la façon suivante. Notons \({\mathbf {Cat}}^{\otimes }\) la catégorie des catégories monoïdales symétriques et des foncteurs monoïdaux symétriques. Notons \(Fin\) la catégorie dont les objets sont les ensembles \(\{1, \dots , n\}\) et dont les morphimes sont les applications bijectives. La catégorie \(Fin\) est munie de sa structure monoïdale symétrique usuelle induite par la somme disjointe d’ensembles (en identifiant \(\{1, \dots , n\} \coprod \{1, \dots , m\}\) avec \(\{1, \dots , n+m\}\) par concaténation). On construit un foncteur \(\Gamma ^{op} \longrightarrow {\mathbf {Cat}}^{\otimes }\) en envoyant \([n]\) sur \(Hom^{0}([n],Fin)\), la catégorie monoïdale symétrique des foncteurs \([n] \longrightarrow Fin\) qui envoient \(0\) sur \(\{1\}\). Ainsi, pour une catégorie monoïdale symétrique \(\mathcal {A}\), on peut précomposer le foncteur \(\underline{Hom}^{\otimes }(-,\mathcal {A})\), qui envoie \(\mathcal {B}\) sur la catégorie des foncteurs monoïdaux symétriques de \(\mathcal {B}\) dans \(\mathcal {A}\), pour obtenir

    $$\begin{aligned} N_{\Gamma }(\mathcal {A}) : \Gamma \longrightarrow {\mathbf {Cat}}. \end{aligned}$$

    On identifie alors \({\mathbf {Cat}}\) à la sous-catégorie pleine de \(\infty -{\mathbf {Cat}}\) formée des \(\infty \)-catégories dont les ensembles simpliciaux de morphismes sont discrets, et on voit ainsi \(N_{\Gamma }(\mathcal {A})\) comme un objet de \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }\). On vérifie alors que \(N_{\Gamma }(\mathcal {A})\) est une \(\infty \)-CMS: en effet, pour tout \([n]\) la catégorie monoïdale symétrique \(Hom^{0}([n],Fin)\) s’ëcrit comme une somme, dans la \(2\)-catégorie des catégories monoïdales symétriques

    $$\begin{aligned} \coprod _{s_{i} : [n] \rightarrow [1]} Hom^{0}([1],Fin) \simeq Hom^{0}([n],Fin). \end{aligned}$$

    Ceci implique donc que pour tout \(n\) le morphisme

    $$\begin{aligned} N_{\Gamma }(\mathcal {A})([n]) \longrightarrow N_{\Gamma }(\mathcal {A})([1])^{n} \end{aligned}$$

    est une équivalence de catégories. Nous avons donc construit ainsi un foncteur \(N_{\Gamma }\), de la catégorie des catégories monoïdales symétriques vers la sous-catégorie de \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }\) formée des foncteurs qui sont niveaux par niveaux des catégories. Ce foncteur induit alors un foncteur sur les catégories homotopiques

    $$\begin{aligned} N_{\Gamma } : {{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {Cat}}^{\otimes }) \longrightarrow {{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }). \end{aligned}$$

    On peut montrer (nous le ferons pas) que ce foncteur est pleinement fidèle et que son image essentielle consiste en toute les \(\infty \)-CMS \(A\) telles que \(A([1])\) soit équivalente à une catégorie. Une construction dans l’autre sens, fournissant un inverse du foncteur \(N_{\Gamma }\), sera présentée plus loin.

  3. 3.

    Spectres connectifs. Soit \(M\) une catégorie de modèles pointée et engendrée par cofibrations et \(X\in M\) un objet. On définit un foncteur

    $$\begin{aligned} \Gamma ^{op} \longrightarrow M \end{aligned}$$

    en envoyant \([n]\) sur l’objet \(X^{[n]}\), où \(X^{[n]}\) désigne l’exponentielle de \(X\) par l’ensemble pointé \([n]\). En d’autre termes, ce foncteur envoie \([n]\) sur \(X^{n}\), et un morphisme \(u : [n] \longrightarrow [m]\) sur le morphisme \(u^{*} : X^{m} \longrightarrow X^{n}\) obtenu en envoyant la composante \(i\) sur la composante \(u(i)\) (en prenant comme convention que cette composante est \(*\) lorsque \(u(i)=0\)). Fixons un foncteur de résolution fibrante \(id \rightarrow R_{*}\) sur \(M\) (au sens de [17, §5]). On définit alors, pour \(Y \in M\) un foncteur

    $$\begin{aligned} \Gamma&\longrightarrow {\mathbf {SEns}} \\ n&\mapsto Hom(Q(X^{[n]}),R_{*}(Y)), \end{aligned}$$

    \(Q\) est un foncteur de remplacement cofibrant dans \(M\). On composant avec le foncteur \(\Pi _{\infty } : {\mathbf {SEns}} \longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}\) on trouve un foncteur

    $$\begin{aligned} M(X,Y) : \Gamma&\longrightarrow {\mathbf {SEns}} \\ [n]&\mapsto \Pi _{\infty }(Hom(X^{[n]},R_{*}(Y))). \end{aligned}$$

    Cette construction définit un foncteur

    $$\begin{aligned} M(X,-) : M \longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }. \end{aligned}$$

    Lorsque \(M\) est une catégorie de modèles stable alors le foncteur ci-dessus \(M(X,-)\) se factorise par la sous-catégorie \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }\). En effet, pour \(Y\in M\), sa valeur en \([n]\in \Gamma \) est alors

    $$\begin{aligned} M(X,Y)([n])&= Hom(Q(X^{[n]}),R_{*}(Y)) \simeq \Pi _{\infty }(Map([n]\vee ^{\mathbb {L}} X,Y))\\&\simeq \Pi _{\infty }(Map(X,Y))^{n}, \end{aligned}$$

    comme cela se voit en utilisant le fait que les sommes homotopiques finies sont aussi des produits homotopiques finis dans \(M\). On trouve ainsi un foncteur bien défini

    $$\begin{aligned} M(X,-) : {{\mathrm {Ho}}}(M) \longrightarrow {{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }). \end{aligned}$$

    Appliquons cela à \(M=Sp^{\Sigma }\) la catégorie de modèles des spectres symétriques, et \(X=S\) l’unité pour structure monodïdale \(\wedge \) sur \(M\) (voir [16]). On trouve ainsi un foncteur

    $$\begin{aligned} {{\mathrm {Ho}}}(Sp^{\Sigma }) \longrightarrow {{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }). \end{aligned}$$

    On peut vérifier que ce foncteur est pleinement fidèle lorsqu’on le restreint à la sous-catégorie pleine des spectres connectifs. De plus, son image essentielle consiste en toutes les \(\infty \)-SMS \(A\) vérifiant les deux conditions suivantes:

    1. (a)

      La catégorie \([A([1])]\) est un groupoïde.

    2. (b)

      Le foncteur \(\Gamma \longrightarrow Ens\) qui à \([n]\) associe l’ensemble des classes d’isomorphismes de \([A([n])]\) est le nerf d’un groupe abélien (i.e. de la forme \(N_{\Gamma }(E)\) pour \(E\) un groupe abélien, voir notre exemple \(1\)).

    Tout ceci découle de la relation bien connue entre \(\Gamma \)-espaces très spéciaux et spectres connectifs (voir [28]), ainsi que de la relation entre ensembles simpliciaux et \(\infty \)-groupoïdes rappelée à la fin de notre §2.1.

Une \(\infty \)-CMS \(A\) possède deux objets sous-jacents fondamentaux. Tout d’abord la \(\infty \)-catégorie \(A([1])\), qui est appelée la \(\infty \)-catégorie sous-jacente à \(A\). Notons que \(A([1])\) est naturellement muni d’une structure de monoïde commutatif dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\). En effet, la loi de monoïde est induite par le diagramme suivant

où le morphisme de gauche est \(s_{1}\times s_{2}\), et le morphisme de droite est induit par \(p : [2] \rightarrow [1]\) qui envoie \(1\) et \(2\) sur \(1\). Ce diagramme induit un morphisme bien défini dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\)

$$\begin{aligned} A([1]) \times A([1]) \longrightarrow A([1]). \end{aligned}$$

On vérifie, à l’aide des valeurs de \(A\) sur \([3]\) et de ses fonctorialités, que cette loi de monoïde est associative, unitaire et commutative.

Le second objet sous-jacent à \(A\) est le foncteur \([A] : \Gamma \longrightarrow {\mathbf {Cat}}\). Ce foncteur est encore une \(\infty \)-CMS car \(A \mapsto [A]\) commute aux produits finis. Ainsi, d’après le second exemple ci-dessus \([A]\) s’écrit comme \(N_{\Gamma }(\mathcal {A})\) pour une catégorie monoïdale symétrique \(\mathcal {A}\). Donnons une description plus détaillée de cette structure. Pour cela on peut clairement supposer que \(A=[A]\) (cela simplifie les notations). On choisit des adjoints à droite des équivalences

$$\begin{aligned} c : A([2]) \longrightarrow A([1])^{2} \qquad a : A([3]) \longrightarrow A([1]). \end{aligned}$$

Ces adjoints seront notés respectivement \(d\) et \(b\), et leurs counités

$$\begin{aligned} k : c\circ d \Rightarrow id \qquad h : b\circ a \Rightarrow id. \end{aligned}$$

On définit le foncteur \(-\otimes - : A([1]) \times A([1]) \longrightarrow A([1])\) par la composition

\(p : [2] \rightarrow [1]\) est tel que \(p(1)=p(2)=1\). Par définition le morphisme \(p\) est \(\Sigma _{2}\)-invariant, et \(d\) est l’adjoint à droite de \(A([2]) \longrightarrow A([1])\times A([1])\) qui est lui aussi \(\Sigma _{2}\)-invariant (au sens strict). Ainsi, \(d\) est muni d’une unique structure de foncteur \(\Sigma _{2}\)-équivariant de sorte à ce que la counité \(k\) soit \(\Sigma _{2}\)-invariante. Ceci muni la loi \(\otimes -\) d’une contrainte de commutativité bien déterminée et ne dépendant que des choix de \(d\) et de \(k\). Pour la contrainte d’associativité on considère le diagramme commutatif suivant

Le morphisme \(q\) est induit par \(q : [3] \rightarrow [2]\) avec \(q(1)=1\), \(q(2)=q(3)=2\), et le morphisme \(a'\) est induit par \([3] \rightarrow [2]\) qui envoie \(3\) sur \(0\) et \([3] \rightarrow [1]\) qui envoie \(1\) et \(2\) sur \(0\). Le foncteur \((-\otimes -)\otimes - : A([1])^{3} \longrightarrow A([1])\) est par définition \(p\circ d\circ (p\times id)\circ (d\times id)\). De plus, l’adjoint \(b\) définit un unique adjoint à droite \(b\)’ de \(a'\), donné par la composition \(b':=b\circ (c\times id)\), et avec l’unique counité \(l : a'\circ b' \rightarrow id\) telle que \((c\times id).l = h.(c\times id)\). De cette façon, on obtient un isomorphisme

$$\begin{aligned} m : d\circ (p\times id) \longrightarrow q\circ b', \end{aligned}$$

adjoint de \(p\times id \longrightarrow c\circ q\circ b'=(p\times id)\circ a'\circ b'\), lui-même induit par l’unité \(l^{-1} : id \rightarrow a'\circ b'\). On construit de cette façon un isomorphisme

En d’autre termes, nous avons construit un isomorphisme

$$\begin{aligned} (-\otimes -)\otimes - \simeq p\circ q\circ b, \end{aligned}$$

qui ne dépend cette fois que du choix de \(b\), \(d\), \(k\) et \(h\). De façon duale on construit un isomorphisme

$$\begin{aligned} -\otimes (-\otimes -) \simeq p\circ q\circ b. \end{aligned}$$

En composant ces deux isomorphismes on trouve une contrainte d’associativité

$$\begin{aligned} (-\otimes -)\otimes - \simeq -\otimes (-\otimes - ) \end{aligned}$$

uniquement déterminée par les choix de \(b\), \(d\), \(h\) et \(k\). On vérifie alors que ces contraintes de commutativité et d’associativité munissent \(A([1])\) d’une structure monoïdale symétrique. Une unité pour cette structure est alors donnée par le choix d’un objet de \(A([1])\) dans l’image du foncteur \(A([0]) \rightarrow A([1])\). Nous laissons les détails restant aux lecteurs (c’est à dire de vérifier l’axiome du pentagone et les compatibilités entre toutes les contraintes ainsi construites). Nous laissons aussi le soin au lecteur de montrer qu’un \(\otimes -\infty \)-foncteur \(f : A \longrightarrow B\) induit une structure monoïdale symétrique sur le foncteur induit \([f] : [A([1])] \longrightarrow [B([1])]\).

Venons-en maintenant à la structure de modèles localisée sur \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }\). Nous appellerons cette structure la structure de modèles spéciale sur \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }\), pour rappeler que ces objets locaux ne sont autre que l’analogue des \(\Gamma \)-espaces spéciaux de [32].

Proposition 3.2

Il existe sur \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }\) une unique structure de modèles, appelée la structure spéciale, vérifiant les conditions suivantes.

  1. 1.

    Les cofibrations sont celles de la structure projective niveaux par niveaux de \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }\).

  2. 2.

    Un morphisme \(A \longrightarrow B\) est une équivalence pour la structure spéciale si et seulement si pour toute \(\infty \)-CMS \(C\) le morphisme induit

    $$\begin{aligned} Map(B,C) \longrightarrow Map(A,C) \end{aligned}$$

    est un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\) (où les espaces de morphismes sont ici calculés pour la structure niveaux par niveaux).

Preuve

Il s’agit d’un argument standard de localisation de Bousfield à gauche. Pour cela, notons \(I=\{X \rightarrow Y\}\) un ensemble de cofibrations génératrices pour la catégorie de modèles \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}\) (voir §2.1, p. 10). Pour \([n]\in \Gamma \) nous notons \(h^{n} : \Gamma \longrightarrow Ens\) le foncteur coreprésenté par \([n]\) (\(h^{n}([m]):=\Gamma ([n],[m])\)). On dispose d’un morphisme dans \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }\)

$$\begin{aligned} \coprod _{1\le i\le n}h^{1} \longrightarrow h^{n} \end{aligned}$$

qui est induit par les \(n\) morphismes \(s_{i} : [n] \longrightarrow [1]\). Pour \(n=0\) ce morphisme n’est autre que \(\emptyset \rightarrow h^{0}=*\).

On considère alors l’ensemble de morphismes dans \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }\)

$$\begin{aligned} S:=\left\{ \left( X\rightarrow Y \right) \Box \left( \coprod _{1\le i\le n}h^{1} \longrightarrow h^{n} \right) \right\} , \end{aligned}$$

pour tout \(n\ge 0\) et \(X \rightarrow Y\) dans \(I\) (voir [17] pour la définition du \(\Box \) de deux morphismes). La catégorie de modèles \(\infty -{\mathbf {Cat}}\) étant combinatoire il en est de même de \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }\). On peut donc considérer la structure de modèles localisée à gauche \(L_{S}^{B}\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }\). Il nous reste à montrer que \(L_{S}^{B}\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }\) vérifie les deux conditions de la proposition. La première est claire par définition de la structure localisée. Quant à la seconde, il suffit de montrer que les objets \(S\)-locaux dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes })\) ne sont autre que les \(\infty \)-CMS. Or, un objet \(C\in {{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes })\) est \(S\)-local si et seulement si pour tout \(f : A \rightarrow B\) élément de \(S\) le morphisme \(Map(B,C) \longrightarrow Map(A,C)\) est une équivalence. Mais par définition des morphismes de \(S\) les objets \(S\)-locaux sont donc les \(C\) tels que pour tout \(n\) et toute cofibration génératrice \(X\rightarrow Y\) de \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}\) le morphisme

$$\begin{aligned}&Map_{\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}}(Y,C([n])) \longrightarrow Map_{\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}}(Y,C([1])^{n})\\&\quad \times ^{h}_{Map_{\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}}(X,C([1])^{n}}Map_{\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}}(X,C([n])) \end{aligned}$$

est une équivalence. Comme les cofibrations \(X\rightarrow Y\) engendrent \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}\) ceci est bien équivalent au fait que pour tout \(n\) le morphisme

$$\begin{aligned} C([n]) \longrightarrow C([1])^{n} \end{aligned}$$

soit une équivalence de \(\infty \)-catégories. \(\square \)

Remarquons que les objets fibrants de la structure de modèles localisée de la proposition précédente sont les foncteurs \(\Gamma \longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}\) qui sont d’une part des \(\infty \)-CMS et d’autre part fibrant niveau par niveau.

Définition 3.3

La catégorie \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }\), munie de sa structure de modèles spéciale, sera notée \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }_{sp}\). Pour les distinguer, les espaces de morphismes de \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }\) seront notés \(Map^{pr-\otimes }\), et ceux de \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }_{sp}\) seront notés \(Map^{\otimes }\).

En d’autres termes, la définition précédente nous dit

$$\begin{aligned} Map^{\otimes }(A,B):=Map^{pr-\otimes }(A,RB) \end{aligned}$$

\(RB\) est un remplacement fibrant de \(B\) pour la structure spéciale.

L’adjonction de Quillen \(id : \infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }\longleftrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }_{sp} : id\) induit un foncteur pleinement fidèle

$$\begin{aligned} {{\mathrm {Ho}}}\left( \infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }_{sp}\right) \longrightarrow {{\mathrm {Ho}}}\left( \infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }\right) \end{aligned}$$

qui identifie le membre de gauche à la sous-catégorie pleine de \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes })\) formée des \(\infty \)-CMS. Nous identifierons toujours \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }_{sp})\) à cette sous-catégorie pleine, et ce de façon implicite par la suite. De plus, le foncteur de remplacement fibrant \(R\) de \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }_{sp}\) induit un adjoint à gauche au foncteur d’inclusion

$$\begin{aligned} R : {{\mathrm {Ho}}}\left( \infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }\right) \longrightarrow {{\mathrm {Ho}}}\left( \infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }_{sp}\right) . \end{aligned}$$

Ainsi, pour tout foncteur \(A : \Gamma \longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}\), le morphisme d’adjonction \(A \longrightarrow R(A)\), vu comme morphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes })\), exhibe \(R(A)\) comme la \(\infty \) -CMS engendrée par \(A\), au sens où elle est universelle recevant un morphisme de \(A\). Ceci permet de construire de nombreux exemples de \(\infty \)-CMS à partir de la simple donné d’un diagramme de \(\infty \)-catégories parametré par \(\Gamma \).

Définition 3.4

La \(\infty \) -catégorie des \(\infty \) -CMS est \(L(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }_{sp})\). Elle sera notée \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\) (ou encore \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{\mathbb {U}}\) si l’on se restreint aux \(\infty \)-CMS \(\mathbb {U}\)-petites).

Notons immédiatement que \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{\mathbb {U}}\) est une \(\infty \)-catégorie \(\mathbb {V}\)-petite (pour \(\mathbb {U}\in \mathbb {V}\)) et \(\mathbb {U}\)-localement présentable. Les critères d’existence d’adjoints de notre proposition 2.9 s’appliquent donc. De plus, on sait que \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}_{\mathbb {U}}\) possède toutes les \(\mathbb {U}\)-limites et \(\mathbb {U}\)-colimites.

A titre indicatif, le foncteur d’évaluation en \([1]\) induit un \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}. \end{aligned}$$

Ce foncteur étant induit par le foncteur de Quillen à droite \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }\longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}\) (évaluation en \([1]\)), on voit que le \(\infty \)-foncteur ci-dessus possède un adjoint à gauche

$$\begin{aligned} Fr^{\otimes }(-) : \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}\longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\end{aligned}$$

appelé \(\infty \) -CMS libre. Explicitement ce \(\infty \)-foncteur est induit en localisation par la construction qui prend une \(\infty \)-catégorie \(A\) et qui l’envoie sur \(R(h^{1}\times A)\), où \(h^{1} : \Gamma \longrightarrow Ens\) est coreprésenté par \([1]\), et où \(R\) est un foncteur de remplacement fibrant dans \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }_{sp}\).

Localisation des catégories monoïdales symétriques. Terminons cette première partie en donnant un procédé relativement efficace de construction de \(\infty \)-CMS. On se donne une catégorie monoïdale symétrique \(C\), munie d’un ensemble de morphismes \(W\) (et contenant les isomorphismes). On suppose que la structure monoïdale \(\otimes : C\times C \longrightarrow C\) envoie \(W\times W\) dans \(W\). On construit alors une \(\infty \)-CMS \(LC\) de la façon suivante. Par le foncteur \(N_{\Gamma } : {\mathbf {Cat}}^{\otimes } \longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }\) la catégorie monoïdale symétrique \(C\) donne lieu à un foncteur \(\Gamma \longrightarrow {\mathbf {Cat}}\), qui est de plus une \(\infty \)-CMS. Le sous-ensemble de morphismes \(W\) en lui-même envoyé sur un sous-foncteur de \(N_{\Gamma }\) (c’est à dire pour tout \([n]\) on a \(W_{n}\) en ensemble de morphismes dans \(N_{\Gamma }\), fonctoriel en \([n]\)). En appliquant une version fonctorielle de la localisation (par exemple celle définie par push-out, voir §2.2), on trouve un nouveau foncteur

$$\begin{aligned} L_{W}^{\otimes }C : \Gamma \longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}} \end{aligned}$$

qui en \([n]\) vaut \(L_{W_{n}}N_{\Gamma }(C)\). Le fait que \(L\) soit compatible aux produits finis (voir §2.2) implique de plus que \(L_{W}^{\otimes }C\) est un \(\infty \)-CMS, qui est de plus \(\mathbb {U}\)-petite si \(C\) l’est. Par construction on dispose d’un morphisme \(l : C \longrightarrow L_{W}^{\otimes }C\) dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes })\), et il n’est pas difficile de voir que ce morphisme vérifie la propriété universelle suivante: pour tout \(A\in {{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes })\), le morphisme

$$\begin{aligned}{}[L_{W}^{\otimes }C,A] \longrightarrow [C,A] \end{aligned}$$

est injectif et son image consiste en tous les \(\otimes -\infty \)-foncteurs \(f : C \longrightarrow A\) tels que \(f([1]) : C([1])\simeq C \longrightarrow A([1])\) envoie \(W\) dans les isomorphismes de \([A([1])]\).

La construction \((C,W) \mapsto L_{W}^{\otimes }C\) fournit donc un foncteur de la catégorie homotopique des catégories monoïdales symétriques munies d’un ensemble de morphismes \(W\) compatible à la structure monoïdale, vers la catégorie homotopique des \(\infty \)-CMS. Nous appliquerons cette construction à la situation suivante. Soit \(M\) une catégorie de modèles monoïdale symétrique. Soit \(C_{0} \subset M^{c}\) une sous-catégorie pleine d’objets cofibrants qui est de plus stable par la structure monoïdale ainsi que par équivalences dans \(M\), mais qui ne contient pas forcément l’unité. Soit alors \(C\) la sous-catégorie pleine de \(M\) formée de \(C_{0}\) et de l’unité (noter que cette dernière n’est pas forcément cofibrante). Notons \(W\) la trace des équivalences de \(M\) sur \(C\). Alors \(W \otimes W \subset W\) et on peut donc appliquer la construction précédente (voir [21] pour des détails sur le traitement de l’unité). On obtient ainsi une \(\infty \)-CMS \(L_{W}^{\otimes }C\). En particulier, toute catégorie de modèles monoïdale symétrique \(M\) donne lieu, en partant de \(C_0 =M^{c}\) dans la construction précédente, à une \(\infty \)-CMS notée par \(L_{W}^{\otimes }M^{c}\). La \(\infty \)-catégorie sous-jacente de \(L_{W}^{\otimes }M^{c}\) est naturellement équivalente à la localisée de \(M^{c}\), la sous-catégorie des objets cofibrants dans \(M\). Comme le foncteur d’inclusion et le remplacement cofibrant induisent des isomorphismes inverses l’un de l’autre dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\) entre \(LM^{c}\) et \(LM\), on voit que la \(\infty \)-catégorie sous-jacente à \(L_{W}^{\otimes }M^{c}\) est naturellement équivalente à \(LM\). En d’autres termes, \(L_{W}^{\otimes }M^{c}\) fournit une structure de \(\infty \)-CMS sur \(LM\).

Définition 3.5

Pour une catégorie de modèles monoïdale symétrique \(M\) nous noterons \(L^{\otimes }M:=L^{\otimes }_{W}M^{c} \in \infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }\) (en gardant les notations précédentes).

3.2 \(\infty \)-Catégories monoïdales rigides

Pour une \(\infty \)-CMS \(A\) nous noterons \([A]\) le foncteur induit \(\Gamma \longrightarrow {\mathbf {Cat}}\) qui envoie \([n]\) sur \([A([n])]\). Comme nous l’avons expliqué au paragraphe précédent ce foncteur permet de construire une structure monoïdale symétrique sur la catégorie \([A([1])]\). Par abus de notation cette catégorie monoïdale symétrique sera notée \([A]\). Nous utiliserons en particulier les contraintes d’associativité, de commutativité et d’unité pour \([A]\), et souvent de façon implicite. Notons aussi que le foncteur \(\otimes \) possède un relèvement naturel en un \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} -\otimes - : A([1]) \times A([1]) \longrightarrow A([1]), \end{aligned}$$

défini comme le composé

avec \(d\) un adjoint à droite de l’équivalence \(A([2]) \longrightarrow A([1])^{2}\). Par la suite nous utiliserons à plusieurs reprises le \(\infty \)-foncteur \(\otimes \) défini sur \(A([1])\).

Proposition 3.6

Soit \(A\) une \(\infty \)-catégorie monoïdale symétrique et \(x\in A\) un objet de \(A([1])\). Les conditions suivantes sont équivalentes.

  1. 1.

    Il existe un objet \(y\in A([1])\), et un morphisme \(t : x\otimes y \rightarrow {\mathbf {1}}\) dans \([A([1])]\), tel que pour tout objet \(z,z'\in A([1])\) le morphisme

    soit un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\).

  2. 2.

    Il existe un objet \(y\in A([1])\), et un morphisme \(t : x\otimes y \rightarrow {\mathbf {1}}\) dans \([A([1])]\), tel que pour tout objet \(z,z'\in A([1])\) l’application

    soit une bijection.

  3. 3.

    Il existe un objet \(y\in A([1])\), et deux morphismes \(t : x\otimes y \rightarrow {\mathbf {1}}\), et \(u : {\mathbf {1}} \longrightarrow y\otimes x\), tels que les morphismes composés suivants

    soient des identités dans \([A([1])]\).

  4. 4.

    Il existe un objet \(y\in A([1])\), et un morphisme \(u : {\mathbf {1}} \rightarrow y\otimes x\) dans \([A([1])]\), tel que pour tout objet \(z,z'\in A([1])\) le morphisme

    soit un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\).

  5. 5.

    L’objet \(x\) est rigide dans la catégorie monoïdale symétrique \([A]\).

Preuve

\((1) \Rightarrow (2)\) est clair, il suffit de prendre les \(\pi _{0}\) des ensembles simpliciaux de morphismes dans \(A([1])\). Pour voir que \((2)\) implique \((3)\) on applique la bijection \([z,y\otimes z'] \simeq [x\otimes z,z']\) de l’énoncé au cas \(z={\mathbf {1}}\) et \(z'=x\). L’identité dans \([x,x]\) induit alors un élément \(u \in [{\mathbf {1}},y\otimes x]\). Il est facile de voir par construction que \(u\) vérifie les conditions de \((3)\). Pour voir que \((3)\) implique \((4)\) on construit un morphisme en sens inverse en considérant le morphisme composé

Les conditions sur \(u\) et \(t\) impliquent que ces deux morphismes sont inverses l’un de l’autre dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\). Un argument symétrique à celui que l’on vient de donner pour \((1) \Rightarrow (4)\) montre aussi que \((1) \Rightarrow (4)\). Enfin, \((5)\) est par définition une réécriture de la condition \((3)\). \(\square \)

Définition 3.7

Soit \(A\) une \(\infty \)-CMS. Un objet \(x\in A([1])\) est rigide, ou encore dualisable, s’il vérifie les conditions équivalentes de la proposition 3.6.

Les objets rigides possèdent les propriétés formelles suivantes.

Proposition 3.8

Soit \(A\) une \(\infty \)-CMS.

  1. 1.

    Les objets rigides sont stables par isomorphismes dans \([A([1])]\).

  2. 2.

    L’unité \({\mathbf {1}}\) est un objet rigide.

  3. 3.

    Tout objet inversible pour la structure monoïdale \(\otimes \) est un objet rigide.

  4. 4.

    Les objets rigides sont stables par la structure monoïdale \(\otimes \).

  5. 5.

    Si \(f : A \longrightarrow B\) est un \(\otimes -\infty \)-foncteur, alors l’image par \(f\) d’un objet rigide est rigide.

  6. 6.

    Pour un objet rigide fixé \(x\) de \(A\), les données de \(y\), \(t\) et \(u\) comme dans la proposition 3.6 \((3)\) sont uniques à isomorphisme unique près dans \([A]\).

Preuve

Pour voir ces propriétés on utilise le point \((5)\) de la proposition 3.6. La proposition 3.8 sont alors des faits bien connus pour les objets rigides dans une catégorie monoïdale symétrique. \(\square \)

Comme il en est l’usage, pour un objet \(x\) rigide fixé dans une \(\infty \)-CMS \(A\), nous noterons \(x^{\vee }:=y\) un objet dual comme dans la proposition 3.6. Lorsque nous utiliserons \(x^{\vee }\) il est sous-entendu que les unités et counités \(t\) et \(u\) satisfaisant 3.6 \((3)\) ont aussi été fixées. En d’autres termes, l’expression soit \(x^{\vee }\) un dual de \(x\) sera synonyme de soit \((y,u,t)\) un triplet comme dans la proposition 3.6 \((3)\).

D’après la proposition 3.8 les objets rigides dans une \(\infty \)-CMS \(A\) forment à leur tour une sous-\(\infty \)-SMC \(A^{rig} \subset A\). La définition précise de \(A^{rig}\) est la suivante: pour \([n] \in \Gamma \), \(A^{rig}([n])\) est la sous-\(\infty \)-catégorie pleine de \(A([n])\) formée des objets dont toutes les images dans \(A([1])\) par les morphismes \(s_{i} : [n] \rightarrow [1]\) sont des objets rigides. Ceci définit un sous-foncteur \(A^{rig}\) de \(A\) qui est encore une \(\infty \)-CMS. De plus, cette construction est fonctorielle pour les \(\otimes -\infty \)-foncteurs et définit donc un endofoncteur \(A \mapsto A^{rig}\) de la catégorie \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }\). Cet endofoncteur est muni d’une transformation naturelle vers l’identité. De plus, le morphisme naturel \((A^{rig})^{rig} \rightarrow A^{rig}\) est l’identité.

Définition 3.9

  1. 1.

    Une \(\infty \)-CMS est rigide si tous ses objets sont rigides.

  2. 2.

    La sous-catégorie pleine des \(\infty \)-CMS rigides sera notée \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }_{rig}\).

  3. 3.

    La sous-\(\infty \)-catégorie pleine de \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\) formée des \(\infty \)-CMS rigides sera notée \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{rig}\).

Le principal résultat de ce paragraphe est le suivant. Il sera fondamental dans l’étude et la construction de morphismes de traces du paragraphe suivant.

Théorème 3.10

Le \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\end{aligned}$$

qui à \(A\) associe \(A^{rig}\) possède un adjoint à gauche.

Preuve

Fixons nous l’univers ambiant \(\mathbb {U}\), et considérons le \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} (-)^{rig} : \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{\mathbb {U}} \longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{\mathbb {U}}. \end{aligned}$$

Comme \(\underline{\infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }}_{\mathbb {U}}\simeq L(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }_{sp,\mathbb {U}})\), \((-)^{rig}\) est un \(\infty \)-foncteur entre deux \(\infty \)-catégorie \(\mathbb {U}\)-localement présentables. Nous pouvons donc appliquer le critère de la proposition 2.9. Pour démontrer le théorème il nous suffit donc de montrer que le \(\infty \)-foncteur \(A \mapsto A^{rig}\) commute aux \(\mathbb {U}\)-limites. Pour cela il suffit de montrer indépendamment qu’il commute aux produits (éventuellement infinis) et aux produits fibrés. De manière équivalente, il faut montrer que le foncteur \(A \mapsto A^{rig}\), commute aux produits et aux produits fibrés homotopiques dans \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }\).

Pour voir que \(A \mapsto A^{rig}\) commute aux produits il suffit de vérifier que pour une famille de \(\infty \)-CMS \(\{A_{\alpha }\}\), un objet \((x_{\alpha })\in \prod _{\alpha }A_{\alpha }\) est rigide si et seulement si \(x_{\alpha }\in A_{\alpha }\) est rigide pour tout \(\alpha \), et la proposition 3.6 \((3)\) montre que tel est le cas. Il nous reste donc à montrer que \(A \rightarrow A^{rig}\) commute aux produits fibrés homotopiques dans \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }\). Soit donc un diagramme dans \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }\), et supposons que \(A \rightarrow C\) soit une fibration dans \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }\) (c’est à dire une fibration niveau par niveau). Notons \(D:=A\times _{C}B\) le produit fibré dans \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }\) du diagramme ci-dessus. On commence par remarquer que le morphisme induit \(A^{rig} \rightarrow C^{rig}\) est encore une fibration, ce qui se déduit aisément du fait que pour tout \([n]\) la sous-\(\infty \)-ctaégorie pleine \(A([n])^{rig} \subset A([n])\) soit stable par équivalences dans \(A([n])\). Il nous faut donc montrer que le morphisme induit

$$\begin{aligned} D^{rig} \longrightarrow A^{rig}\times _{C^{rig}}B^{rig} \end{aligned}$$

est une équivalence. Comme il s’agit d’un morphisme de \(\infty \)-CMS il suffit de montrer que le \(\infty \)-foncteur de \(\infty \)-catégories

$$\begin{aligned} \phi : D([1])^{rig} \longrightarrow A([1])^{rig}\times _{C([1])^{rig}}B([1])^{rig} \end{aligned}$$

est une équivalence. Or, le morphisme \(\phi \) est un \(\infty \)-foncteur pleinement fidèle, comme cela se voit en considérant le diagramme commutatif suivant

Il nous reste donc à montrer que \(\phi \) est essentiellement surjectif. Pour cela on considère le diagramme commutatif suivant de catégories monoïdales symétriques

D’après la proposition 3.6 \((5)\) ce diagramme est équivalent au diagramme

On remarque alors que le foncteur \([A^{rig} \times _{C^{rig}}B^{rig}] \longrightarrow [A]^{rig} \times _{[C]^{rig}}[B]^{rig}\) induit une bijection sur les ensembles de classes d’isomorphismes d’objets. Ainsi, il nous suffit de montrer que le foncteur induit

$$\begin{aligned}{}[D]^{rig} \longrightarrow [A]^{rig} \times _{[C]^{rig}}[B]^{rig} \end{aligned}$$

est essentiellement surjectif. Ce foncteur se factorise par le foncteur naturel

$$\begin{aligned}{}[A\times _{C}B]^{rig}=[D]^{rig} \longrightarrow ([A]\times _{[C]}[B])^{rig}. \end{aligned}$$

On voit donc qu’il nous reste à montrer que le foncteur

$$\begin{aligned} ([A]\times _{[C]}[B])^{rig} \longrightarrow [A]^{rig} \times _{[C]^{rig}}[B]^{rig} \end{aligned}$$

est essentiellement surjectif. En d’autres termes on s’est ramenés au cas où \(A\), \(B\) et \(C\) sont des catégories monoïdales symétriques. Dans ce cas notons \(p : A \longrightarrow C\) et \(q : B \longrightarrow C\) les deux projections. Pour deux objets \(x \in A\) et \(y\in B\), possédant la même image, \(z \in C\), choisissons des duaux \(x^{\vee }\), \(y^{\vee }\), et des unités

$$\begin{aligned} u : {\mathbf {1}} \rightarrow x^{\vee }\otimes x \qquad v : {\mathbf {1}} \rightarrow y^{\vee }\otimes y. \end{aligned}$$

L’unicité des duaux implique l’existence d’un unique isomorphisme \(\alpha : p(x^{\vee }) \simeq q(y^{\vee })\), dans \(C\), compatible avec \(p(u)\) et \(q(v)\). Comme \(A \longrightarrow C\) est une fibration on peut trouver un isomorphisme \(\beta : x^{\vee } \simeq x'\) dans \(A\) avec \(p(\beta )=\alpha \). Dans ce cas, \(x'\), muni de l’unité composée

est un dual de \(x\) dans \(A\). Comme on a \(p(x')=q(y^{\vee })\), les objets \(x'\) et \(y^{\vee }\) se recollent en un objet \((x',y^{\vee }) \in C\). On vérifie facilement que cet objet, et le morphisme

$$\begin{aligned} (u',v) : ({\mathbf {1}},{\mathbf {1}}) \longrightarrow (x'\otimes x,y^{\vee },\otimes y) = (x',y^{\vee }) \otimes (x,y), \end{aligned}$$

est un dual de \((x,y) \in C\). Ceci montre que \((x,y) \in C^{rig}\) est un antécédent de \((x,y) \in A^{rig}\times _{C^{rig}}B^{rig}\), et termine donc la preuve du théorème. \(\square \)

L’adjoint à gauche du foncteur \(A \mapsto A^{rig}\) sera noté \(A \mapsto Fr^{rig}(A)\). La \(\infty \)-CMS \(Fr^{rig}(A)\) est la \(\infty \)-CMS rigide engendrée \(A\). On dispose d’un morphisme bien défini dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes })\)

$$\begin{aligned} A \longrightarrow (Fr^{rig}(A))^{rig} \end{aligned}$$

qui est tel que pour toute \(\infty \)-CMS \(B\) le morphisme induit

$$\begin{aligned} Map^{\otimes }(Fr^{rig}(A),B) \longrightarrow Map^{\otimes }(Fr^{rig}(A)^{rig},B^{rig}) \longrightarrow Map^{\otimes }(A,B^{rig}) \end{aligned}$$

doit un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\).

Lemme 3.11

Pour toute \(\infty \)-CMS \(A\), la \(\infty \)-CMS \(Fr^{rig}(A)\) est rigide.

Preuve

La propriété universelle du morphisme \(A \longrightarrow Fr^{rig}(A)^{rig}\) rappelée ci-dessus implique en particulier le fait suivant: pour toute \(\infty \)-CMS \(B\), et \(f : A \longrightarrow B\) un morphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes })\), le morphisme \(f\) se factorise par \(B^{rig} \subset B\) si et seulement si \(f\) se factorise, dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes })\), par le morphisme \(A \rightarrow Fr^{rig}(A)^{rig} \subset Fr^{rig}(A)\)

Lorsque cette factorisation existe elle est alors unique, car le morphisme induit

$$\begin{aligned}{}[Fr^{rig}(A),B] \simeq [A,B^{rig}] \subset [A,B] \end{aligned}$$

est injectif. Appliqué à \(B=Fr^{rig}(A)^{rig}\) et au morphisme d’adjonction \(A \rightarrow Fr^{rig}(A)^{rig}\) on trouve l’existence d’un diagramme commutatif

Le diagramme commutatif

et l’unicité de la factorisation pour \(B=Fr^{rig}(A)\) implique que \(i\circ r=id\). Ceci montre que l’inclucion \(Fr^{rig}(A)^{rig} \subset Fr^{rig}(A)\) possède une section et est donc une équivalence. Ceci montre que \(Fr^{rig}(A)\) est rigide. \(\square \)

Le lemme précédent et la propriété universelle implique donc que le \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} Fr^{rig} : \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\end{aligned}$$

se factorise par la sous-\(\infty \)-catégorie des \(\infty \)-CMS rigides, et fournit alors un adjoint à gauche du \(\infty \)-foncteur d’inclusion \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{rig} \hookrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\).

Corollaire 3.12

La sous-\(\infty \)-catégorie \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{rig} \subset \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\) est stable par limites et colimites.

Preuve

En effet le \(\infty \)-foncteur d’inclusion \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{rig} \subset \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\) possède un adjoint à gauche \(Fr^{rig}\). Il possède de plus un adjoint à droite \((-)^{rig}\). \(\square \)

Corollaire 3.13

La \(\infty \)-catégorie \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{rig,\mathbb {U}}\) est presque \(\mathbb {U}\)-localement présentable.

Preuve

En effet le \(\infty \)-foncteur d’inclusion \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{rig,\mathbb {U}} \hookrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{\mathbb {U}}\) possède un adjoint à gauche et \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{\mathbb {U}}\) est une elle même \(\mathbb {U}\)-localement présentable. \(\square \)

Nous allons maintenant voir que \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{rig,\mathbb {U}}\) est en réalité une \(\infty \)-catégorie \(\mathbb {U}\)-localement présentable. Pour cela, notons \(\mathbb {F}:=Fr^{\otimes }(*)\) la \(\infty \)-catégorie libre engendrée par un générateur. On considère alors le morphisme

$$\begin{aligned} u : \mathbb {F} \longrightarrow Fr^{rig}(\mathbb {F}). \end{aligned}$$

La catégorie de modèles spéciale \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }_{sp}\) étant \(\mathbb {U}\)-combinatoire, nous pouvons la localiser à gauche le long du seul morphisme \(u\). Cette localisation sera notée

$$\begin{aligned} \infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }_{sp,rig}:=L^{B}_{u}\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }_{sp}. \end{aligned}$$

Proposition 3.14

Il existe un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}(\infty -{\mathbf {Cat}})\)

$$\begin{aligned} \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{rig}\simeq L(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }_{sp,rig}). \end{aligned}$$

Preuve

A la vue des définitions des \(\infty \)-catégories en jeu il suffit de montrer que les \(\infty \)-CMS \(A\) qui sont \(u\)-locales sont exactement les \(\infty \)-catégories rigides. Or, une telle \(A\) est \(u\)-locale si et seulement si le morphisme

$$\begin{aligned} Map^{\otimes }(Fr^{rig}(\mathbb {F}),A) \longrightarrow Map^{\otimes }(\mathbb {F},A) \end{aligned}$$

est un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\). Par adjonction ce morphisme est lui-même isomorphe au morphisme

$$\begin{aligned} Map_{\infty -{\mathbf {Cat}}}(*,A^{rig}([1])) \longrightarrow Map_{\infty -{\mathbf {Cat}}}(*,A([1])). \end{aligned}$$

Ceci implique en particulier que l’inclusion \([*,A^{rig}([1])] \hookrightarrow [*,A([1])]\) est bijective, où encore que \([A^{rig}([1])] \hookrightarrow [A([1])]\) est essentiellement surjectif. En d’autres termes \(A\) est rigide si et seulement si elle est \(u\)-locale. \(\square \)

Corollaire 3.15

La \(\infty \)-catégorie \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{rig,\mathbb {U}}\) est \(\mathbb {U}\)-localement présentable.

3.3 Traces et traces cyliques

Soit \(A\) une \(\infty \)-CMS et \(x\) un objet rigide de \(A\). Notons \(x^{\vee }\) un dual de \(x\) dans \(A\), muni de morphismes dans \([A]\)

$$\begin{aligned} u : {\mathbf {1}} \longrightarrow x\otimes x^{\vee } \qquad t : x^{\vee } \otimes x \longrightarrow {\mathbf {1}}, \end{aligned}$$

vérifiant les identités triangulaires de la proposition 3.6 \((3)\). On dispose alors d’un morphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\)

Ce morphisme est bien défini dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\), et ne dépend pas des choix de \(x^{\vee }\), \(u\) et \(t\) (car un tel choix est unique à isomorphisme unique près dans \([A]\)).

Définition 3.16

Pour \(x\) un objet rigide dans une \(\infty \)-CMS \(A\) le morphisme défini ci-dessus est le morphisme trace en \(x\). Il sera noté

$$\begin{aligned} Tr_{x} : A([1])(x,x) \longrightarrow A([1])({\mathbf {1}},{\mathbf {1}}). \end{aligned}$$

Il est facile de voir que l’image du dual \(x^{\vee }\) d’un objet \(x\) par un \(\otimes -\infty \)-foncteur \(f\) est un dual de \(f(x)\). Cela implique en particulier que pour tout \(\otimes -\infty \)-foncteur \(f : A \longrightarrow B\), et tout objet \(x\) de \(A([1])\) le diagramme suivant

commute dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\).

Fonctorialité des traces. Dans le reste de ce paragraphe nous nous attacherons à montrer comment les morphismes traces de la définition ci-dessus peuvent être rendus fonctoriels en \(x\) et en \(A\). Nous allons commencer par montrer qu’il existe une unique façon de construire de tels morphismes, fonctoriel en \(x\) et \(A\) à la fois. Cependant, notre première approche montrera que cette unicité est elle-même déterminée à des isomorphismes non-uniques près. En d’autres termes nous montrerons que l’espace des traces est connexe sans pour autant montrer qu’il est contractile. Pour montrer que cet espace est effectivement contractile nous aurons besoin d’une conséquence d’un théorème de Hopkins-Lurie ([25, Thm. 2.4.18]) concernant les \(\infty \)-catégories de bordismes orientés. La contractibilité de l’espace des traces sera alors utilisée pour construire des traces cycliques, construction fondamentale dans le caractère de Chern que nous présenterons dans la prochaine section.

Nous définissons deux \(\infty \)-foncteurs

$$\begin{aligned} \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{rig} \longrightarrow \mathbb {T}, \end{aligned}$$

Le premier envoie une \(\infty \)-CMS rigide \(A\) sur \(Map(S^{1},\mathcal {I}(A([1]))\), où \(\mathcal {I}\) est le foncteur espace sous-jacent décrit dans §2.1. Le second envoie une \(\infty \)-CMS rigide \(A\) sur l’ensemble simplicial \(A([1])({\mathbf {1}},{\mathbf {1}})\) des endomorphismes de l’unité. Comme l’unité \({\mathbf {1}}\) n’est pas bien défini dans \(A([1])\) il nous faut préciser cette construction. Pour cela on identifiera, à équivalences naturelles près, \(A([1])({\mathbf {1}},{\mathbf {1}})\) avec le produit fibré homotopique

$$\begin{aligned} Map_{\infty -{\mathbf {Cat}}}(\Delta ^{1},A([1])) \times _{Map_{\infty -{\mathbf {Cat}}}(0\coprod 1,A([1]))}^{h}Map_{\infty -{\mathbf {Cat}}}\left( 0\coprod 1,A([0])\right) , \end{aligned}$$

\(0\coprod 1 \subset \Delta ^{1}\) est l’inclusion des deux objets de la catégorie \(\Delta ^{1}\). En prenant des modèles fonctoriels des \(Map_{\infty -{\mathbf {Cat}}}\) et du produit fibré homotopique on construit ainsi un \(\infty \)-foncteur \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\longrightarrow \mathbb {T}\), que nous noterons symboliquement \(A \mapsto A([1])({\mathbf {1}},{\mathbf {1}})\).

On dispose ainsi de deux \(\infty \)-foncteurs

$$\begin{aligned} \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{rig} \longrightarrow \mathbb {T}, \end{aligned}$$

notés respectivement

$$\begin{aligned} A \mapsto \mathcal {LI}(A) \qquad A \mapsto End_{A}({\mathbf {1}}). \end{aligned}$$

Notons que \(\mathcal {LI}(A)\) s’identifie à l’espace des objets de \(A([1])\) munis d’autoéquivalences. En particulier, on dispose pour tout \(x\in A([1])\) d’un morphisme bien défini dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\)

$$\begin{aligned} A([1])(x,x)^{eq} \longrightarrow \mathcal {LI}(A) \end{aligned}$$

de l’espace des autoéquivalences de \(x\) dans \(\mathcal {LI}(A)\).

Proposition 3.17

Il existe une transformation naturelle

$$\begin{aligned} Tr : \mathcal {LI} \longrightarrow End_{-}({\mathbf {1}}) \end{aligned}$$

telle que pour tout \(A\in \infty -{\mathbf {Cat}}_{rig}\) et tout objet \(x\in A([1])\), le morphisme induit

$$\begin{aligned} A([1])(x,x)^{eq} \longrightarrow End_{A}({\mathbf {1}}) \end{aligned}$$

sur l’espace des autoéquivalences de \(x\) soit égal, dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\), au morphisme \(Tr_{x}\) défini dans la définition 3.16. De plus, un tel morphisme \(Tr\) est unique dans la catégorie \([\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{rig},\mathbb {T})]\).

Preuve

Pour \(X\in {\mathbf {SEns}}\) on pose

$$\begin{aligned} \mathbb {B}(X):=Fr^{rig}(Fr^{\otimes }(\Pi _{\infty }(X))) \in \infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }_{rig}, \end{aligned}$$

la \(\infty \)-CMS rigide libre sur le \(\infty \)-groupoïde fondamental de \(X\). Par définition, la \(\infty \)-CMS rigide \(\mathbb {B}(S^{1})\) coreprésente le \(\infty \)-foncteur \(\mathcal {LI}\). Ainsi, le lemme de Yoneda implique qu’il existe un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\)

$$\begin{aligned} Map(\mathcal {LI},End_{-}({\mathbf {1}}))\simeq End_{\mathbb {B}(S^{1})}({\mathbf {1}}). \end{aligned}$$

Le morphisme d’adjonction \(S^{1} \longrightarrow \mathcal {LI}(\mathbb {B}(S^{1}))\) défini un \(\infty \)-foncteur \(B\mathbb {Z} \longrightarrow \mathbb {B}(S^{1})([1])\), et donc un couple \((x,u)\), où \(x\) est un objet de \(\mathbb {B}(S^{1})([1])\) et \(u : x \simeq x\) est un autoéquivalence de \(x\). Notons \(Z:=Tr_{x}(u) \in End_{\mathbb {B}(S^{1})}({\mathbf {1}})\). On vérifie alors que la transformation naturelle définie par \(Z\) (à travers l’équivalence rappelée ci-dessus) satisfait aux conditions de la proposition. \(\square \)

Théorème 3.18

Notons \(Tr \in Map(\mathcal {LI},End_{-}({\mathbf {1}}))\) un morphisme comme dans la proposition 3.17. Alors

$$\begin{aligned} \pi _{i}(Map(\mathcal {LI},End_{-}({\mathbf {1}})),Tr)=0 \; \forall \; i>0. \end{aligned}$$

Preuve

Comme dans la preuve de la proposition 3.17, on a

$$\begin{aligned} Map(\mathcal {LI},End_{-}({\mathbf {1}}))\simeq End_{\mathbb {B}(S^{1})}({\mathbf {1}}). \end{aligned}$$

Il s’agit donc de montrer que

$$\begin{aligned} \pi _{i}(End_{\mathbb {B}(S^{1})}({\mathbf {1}}),Z)=0, \end{aligned}$$

\(Z\) est défini par \(Tr_{x}(u)\) comme dans la preuve de la proposition 3.17. Ceci est alors une conséquence du théorème de Hopkins-Lurie sur la propriété universelle des \(\infty \)-catégories monoïdales symétriques de bordismes (voir [25, 2.4.18]). Nous allons à montrer comment cette propriété universelle de la \(\infty \)-catégorie \({\mathbf {Bord}}_{1}^{X}\), des \(1\)-bordismes orientés au-dessus d’un espace \(X\), implique notre résultat.

Le théorème [25, 2.4.18] nous dit que la \(\infty \)-catégorie \(\mathbb {B}(X)([1])\) est naturellement équivalente à la \(\infty \)-catégorie \({\mathbf {Bord}}_{1}^{X}\), des \(1\)-bordismes orientés au-dessus de \(X\) (où l’on prend \(\zeta \) le fibré trivial de rang \(1\) sur \(X\)). L’unité \({\mathbf {1}}\) de \(\mathbb {B}(X)([1])\) correspond à travers cette équivalence au bordisme vide \(\emptyset \rightarrow X\). De plus, l’espace des endomorphismes de cet objet \(Map(\emptyset ,\emptyset )\) s’identifie naturellement à l’espace classifiant des variétés compactes, orientées de dimension \(1\), munis de morphismes vers \(X\). En d’autres termes on dispose d’une projection

$$\begin{aligned} \pi : Map(\emptyset ,\emptyset ) \longrightarrow \coprod _{n\ge 0}(B(\Sigma _{n}\ltimes (S^{1})^{n}), \end{aligned}$$

\(B(\Sigma _{n}\ltimes (S^{1})^{n})\) est l’espace classifiant des variétés orientées isomorphes à \(\{1, \dots , n\}\times S^{1}\), une réunion disjointe de \(n\) copies de \(S^{1}\) (pou \(n=0\) cet espace est un point). De plus, la fibre homotopique de \(\pi \) en un point correspondant à un entier \(n\ge 1\), est naturellement équivalente à l’espace des morphismes \(Map(\{1, \dots , n\}\times S^{1},X)\), et l’action induit de \(\Sigma _{n}\ltimes (S^{1})^{n}\) est celle induite par l’action naturelle sur \(\{1, \dots , n\}\times S^{1}\).

La catégorie monoïdale \([{\mathbf {Bord}}_{1}^{X}]\simeq [\mathbb {B}(X)]\) se décrit comme suit. Ses objets sont des variétés compactes orientés de dimension \(0\) et munies d’applications continues vers \(|X|\) (où l’on note ici \(|X|\) la réalisation géométrique de \(X\)). Il s’agit en d’autres termes d’une suite finie non ordonnée \(M=(x_{1}^{\pm }, \dots , x_{n}^{\pm })\), éventuellement vide, de points de \(X\) décorés d’un signe \(+\) ou \(-\). L’ensemble des morphismes entre deux tels objets \(M\) et \(M'\), est l’ensembles des classes de difféomorphismes orientés de variétés compactes orientées \(B\) de dimension \(1\), munies d’applications continues \(B \longrightarrow |X|\) ainsi que d’identification \(\partial B \longrightarrow |X|\) avec le morphisme \(\bar{M}\coprod M \longrightarrow |X|\) (où \(\bar{M}\) est la variété \(M\) munie de son orientation opposée). La structure monoïdale sur \([{\mathbf {Bord}}_{1}^{X}]\) est induite naturellement par la somme disjointe des variétés orientées. Dans le cas où \(X=S^{1}=B\mathbb {Z}\), le morphisme d’adjonction \(B\mathbb {Z} \longrightarrow \mathbb {B}(S^{1})\) classifie un objet \(x \in [{\mathbf {Bord}}_{1}^{S^{1}}]\) muni d’un automorphisme \(u\). Cet objet est le point de base \(x \in S^{1}\) (disons l’unité de la structure de groupe sur \(S^{1}\)), positivement orienté, et \(u\) est l’automorphisme correspondant au morphisme

$$\begin{aligned} u : [0,1] \longrightarrow |S^{1}|=|B\mathbb {Z}| \end{aligned}$$

qui est un représentant du générateur de \(\pi _{1}(|B\mathbb {Z}|,x)\simeq \mathbb {Z}\) (où \([0,1]\) est muni de son orientation positive usuelle). Pour calculer la trace de cette automorphisme \(u : x^{+} \simeq x^{+}\), on commence par décrire le morphisme induit

$$\begin{aligned} v : x^{+} \coprod x^{-} \rightarrow \emptyset \end{aligned}$$

par la bijection

$$\begin{aligned}{}[x^{+}\coprod x^{-},y]\simeq [x^{+},x^{+}\coprod y]. \end{aligned}$$

Le morphisme \(v\) est quand à lui toujours représenté par le morphisme \(u : [0,1] \longrightarrow |S^{1}|\), mais maintenant considéré comme un morphisme de \(x^{+}\coprod x^{-}\) vers \(\emptyset \). En précomposant \(v\) par le morphisme \(\emptyset \rightarrow x^{+} \coprod x^{-}\), correspondant maintenant à l’identité de \(x^{+}\), on trouve le morphisme

$$\begin{aligned} Z:=Tr_{x^{+}}(u) : \emptyset \longrightarrow \emptyset . \end{aligned}$$

Ce morphisme correspond à l’application continue

$$\begin{aligned}{}[0,1]/0=1 \longrightarrow |S^{1}| \end{aligned}$$

induite par \(u\).

Notons maintenant \(Map_{Z}(\emptyset ,\emptyset )\) la composante connexe de \(Map(\emptyset ,\emptyset )\), pour \(\emptyset \in {\mathbf {Bord}}_{1}^{S^{1}}\), contenant \(Z\). On a \(Map_{Z}(\emptyset ,\emptyset ) \subset Map_{1}(\emptyset ,\emptyset )\), où \(Map_{1}(\emptyset ,\emptyset )\) est la réunion des composantes connexes de \(Map(\emptyset ,\emptyset )\) formée des variétés \(B \rightarrow X\), avec \(B\) isomorphe à un cercle. On dispose d’une suite exacte de fibration

$$\begin{aligned} Map(S^{1},S^{1}) \longrightarrow Map_{1}(\emptyset ,\emptyset ) \longrightarrow BSO(2), \end{aligned}$$

qui montre que \(\pi _{0}(Map(S^{1},S^{1})) \longrightarrow \pi _{0}(Map_{1}(\emptyset ,\emptyset ))\) est bijectif. En particulier, la composante connexe contenant \(Z\) correspond à la composante connexe contenant l’identité de \(S^{1}\). Ceci implique que l’on dispose d’une suite exacte de fibration

$$\begin{aligned} Map_{id}(S^{1},S^{1}) \longrightarrow Map_{Z}(\emptyset ,\emptyset ) \longrightarrow BSO(2)\simeq BS^{1}. \end{aligned}$$

Plus précisément, \(Map_{Z}(\emptyset ,\emptyset )\) est équivalent au quotient homotopique de \(Map_{id} (S^{1},S^{1})\) par l’action naturelle de \(S^{1}\). Comme \(Map_{id}(S^{1},S^{1})\) est équivalent à \(S^{1}\), en tant qu’ensemble simplicial \(S^{1}\)-équivariant, on trouve finalement que \(Map_{Z}(\emptyset ,\emptyset )\) est contractile. Ceci implique bien que

$$\begin{aligned} \pi _{i}(End_{\mathbb {B}(X)}({\mathbf {1}}),Z)=0 \qquad \forall \; i>0, \end{aligned}$$

et termine donc la preuve du théorème. \(\square \)

La conséquence du théorème 3.18 que nous retiendrons par la suite est la suivante. Afin de l’énoncer, nous noterons \(S^{1}-\mathbb {T}\) la \(\infty \)-catégorie des ensembles simpliciaux \(S^{1}\)-équivariant. Elle peut-être définie par exemple par la formule suivante

$$\begin{aligned} S^{1}-\mathbb {T}:=\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(BS^{1},\mathbb {T}), \end{aligned}$$

\(BS^{1}\) désigne ici le \(\infty \)-groupoïde avec un unique objet ayant \(S^{1}\) comme groupe simplicial d’endomorphismes. On a une équivalence

$$\begin{aligned} S^{1}-\mathbb {T} \simeq Int({\mathbf {SEns}}^{S^{1}})\simeq L({\mathbf {SEns}}^{S^{1}})\simeq \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(BS^{1},\mathbb {T}), \end{aligned}$$

\({\mathbf {SEns}}^{S^{1}}\) est la catégorie de modèles des ensembles simpliciaux munis d’une action du groupe simplicial \(S^{1}=B\mathbb {Z}\), et \(BS^{1}\) est la \(\infty \)-catégorie avec un unique objet et \(S^{1}\) comme groupe simplicial d’endomorphismes.

Traces cycliques. On construit alors deux \(\infty \)-foncteurs \(\widetilde{\mathcal {LI}}\) et \(\widetilde{End}_{-}({\mathbf {1}})\). Le \(\infty \)-foncteur \(\widetilde{End}_{-}({\mathbf {1}})\) est simplement le composé

\(c\) est le \(\infty \)-foncteur action triviale. Le second \(\infty \)-foncteur \(\widetilde{\mathcal {LI}}\) est le composé

\(\mathcal {L}\) envoie un ensemble simplicial \(X\) sur son espace de lacets \(Map(S^{1},X)\), muni de l’action induite par \(S^{1}\). Ces deux \(\infty \)-foncteurs, sont des relèvements de \(End_{-}({\mathbf {1}})\) et \(\mathcal {LI}\) en des foncteurs à valeurs dans \(S^{1}-\mathbb {T}\). On dispose en particulier d’un morphisme d’oubli de l’action de \(S^{1}\)

$$\begin{aligned} Map(\widetilde{\mathcal {LI}},\widetilde{End}_{-}({\mathbf {1}})) \longrightarrow Map(\mathcal {LI},End_{-}({\mathbf {1}})), \end{aligned}$$

dont la fibre homotopique en le morphisme \(Tr\) de la proposition 3.17 sera notée

$$\begin{aligned} Map_{Tr}(\widetilde{\mathcal {LI}},\widetilde{End}_{-}({\mathbf {1}})). \end{aligned}$$

Corollaire 3.19

On a

$$\begin{aligned} Map_{Tr}(\widetilde{L\mathcal {I}},\widetilde{End}_{-}({\mathbf {1}}))\simeq *. \end{aligned}$$

Preuve

En effet, \(S^{1}\) opère naturellement sur l’ensemble simplicial \(Map(\mathcal {LI}, End_{-}({\mathbf {1}}))\), car il opère sur les \(\infty \)-foncteurs \(\mathcal {LI}\) et \(End_{-}({\mathbf {1}})\). De plus, le morphisme d’oubli

$$\begin{aligned} Map(\widetilde{\mathcal {LI}},\widetilde{End}_{-}({\mathbf {1}})) \longrightarrow Map(\mathcal {LI},End_{-}({\mathbf {1}})), \end{aligned}$$

est alors isomorphe dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\) au morphisme naturel

$$\begin{aligned} Map(\mathcal {LI},End_{-}({\mathbf {1}}))^{hS^{1}} \longrightarrow Map(\mathcal {LI},End_{-}({\mathbf {1}})), \end{aligned}$$

\(Map(\mathcal {LI},End_{-}({\mathbf {1}}))^{hS^{1}}\) désigne les points fixes homotopiques de \(S^{1}\). Ainsi, \(Map_{Tr}(\widetilde{\mathcal {LI}},\widetilde{End}_{-}({\mathbf {1}}))\) s’identifie à la fibre homotopique du morphisme

$$\begin{aligned} Map_{Tr}(\mathcal {LI},End_{-}({\mathbf {1}}))^{hS^{1}} \longrightarrow Map_{Tr}(\mathcal {LI},End_{-}({\mathbf {1}})), \end{aligned}$$

\(Map_{Tr}\) désigne la composante connexe contenant le morphisme \(Tr\) de la proposition 3.17. Mais le théorème 3.18 implique que \(Map_{Z}(\mathcal {LI},End_{-}({\mathbf {1}}))\) est discret, et donc que le morphisme

$$\begin{aligned} Map_{Z}(\mathcal {LI},End_{-}({\mathbf {1}}))^{hS^{1}} \longrightarrow Map_{Z}(\mathcal {LI},End_{-}({\mathbf {1}})) \end{aligned}$$

est automatiquement une équivalence. Ceci montre la contractibilité de \(Map_{Tr} (\widetilde{LI},\widetilde{End}_{-}({\mathbf {1}}))\). \(\square \)

Définition 3.20

Une transformation naturelle

$$\begin{aligned} \widetilde{LI} \longrightarrow \widetilde{End}_{-}({\mathbf {1}}) \end{aligned}$$

dans \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{rig},S^{1}-\mathbb {T})\), qui relève la trace \(Tr\) de la proposition 3.17, sera appelée une trace cylique. Elle sera notée \(Tr^{S^{1}}\).

Notons que le corollaire 3.19 implique que l’espace des traces cyliques est contractile, et donc que la trace cylique est unique (à isomorphismes unique près, y compris supérieurs). Nous parlerons donc de la trace cylique.

3.4 Additivité des traces

Dans ce paragraphe nous montrons que la trace cyclique \(Tr^{S^{1}}\) de la définition 3.20 est additive lorsque l’on se restreint aux \(\infty \)-catégories monoïdales symétriques semi-additives. Cette propriété d’additivité n’est pas la plus générale, car l’on pourrait aussi démontrer l’additivité pour les triangles distingués dans le cadre des \(\infty \)-catégories stables (voir [26, §2]). Cependant, cette forme plus restrictive, qui est plus facile à démontrer, suffira pour les applications que nous avons en perspective. Elle sera utilisée en particulier pour comparer notre construction générale du caractère de Chern avec le caractère de Chern usuel des fibrés vectoriels sur des variétés algébriques lisses (voir §5.2.1).

Nous commencerons par les notions de \(\infty \)-catégories et de \(\infty \)-CMS semi-additives.

Définition 3.21

  1. 1.

    Une \(\infty \)-catégorie \(A\) est semi-additive si elle vérifie les trois conditions suivantes.

    1. (a)

      La \(\infty \)-catégorie \(A\) possède des sommes et des produits finis.

    2. (b)

      Le morphisme naturel

      $$\begin{aligned} \emptyset \longrightarrow *, \end{aligned}$$

      de l’objet initial vers l’objet final, est une équivalence.

    3. (c)

      Pour toute paire d’objets \((x,y)\) dans \(A\), le morphisme

      $$\begin{aligned} x\coprod y \longrightarrow x\times y, \end{aligned}$$

      induit par les deux projections

      $$\begin{aligned} x\coprod y \longrightarrow x\coprod * \simeq x \qquad x\coprod y \longrightarrow *\coprod x \simeq y, \end{aligned}$$

      est une équivalence.

  2. 2.

    Un \(\infty \)-foncteur \(f : A \longrightarrow B\) entre deux \(\infty \)-catégories est semi-additif s’il commute aux produits finies.

Pour une \(\infty \)-catégorie \(A\), l’\(\infty \)-foncteur naturel \(A \longrightarrow [A]\) est conservatif et commute aux sommes et produits finis. Ainsi, on voit qu’une \(\infty \)-catégorie \(A\) est semi-additive si et seulement si sa catégorie homotopique \([A]\) l’est.

Pour une \(\infty \)-catégorie \(A\), possédant des produits finis, nous pouvons introduire la \(\infty \)-catégorie \(CMon(A)\), des monoïdes commutatifs dans \(A\).

Définition 3.22

Soit \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\Gamma ,A)\), l’\(\infty \)-catégorie des \(\infty \)-foncteurs de \(\Gamma \) vers \(A\). On définit \(CMon(A)\) comme la sous-\(\infty \)-catégorie pleine de \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\Gamma ,A)\) formée des \(\infty \)-foncteurs

$$\begin{aligned} H : \Gamma \longrightarrow A \end{aligned}$$

tels que pour tout \(n\) (y compris \(n=0\)) le morphisme naturel

$$\begin{aligned} H([n]) \longrightarrow H([1])^{n} \end{aligned}$$

soit une équivalence dans \(A\).

Les objets de \(CMon(A)\) sont appelés les monoïdes commutatifs dans \(A\).

On renvoie au § 3.1 pour des commentaires qui expliquent cette terminologie.

Nous pouvons maintenant caractériser les \(\infty \)-catégories semi-additives comme étant celles équivalentes à leurs \(\infty \)-catégories de monoïdes commutatifs. Cet énoncé formalise l’idée intuitive qu’une \(\infty \)-catégorie est semi-additive lorsque tous ses objets possèdent une structure de monoïdes commutatifs naturelle.

Proposition 3.23

Soit \(A\) une \(\infty \)-catégorie possèdant des produits finis. Les deux assertions suivantes sont équivalentes.

  1. 1.

    L’\(\infty \)-foncteur d’évaluation en \([1]\)

    $$\begin{aligned} CMon(A) \longrightarrow A \end{aligned}$$

    est une équivalence d’\(\infty \)-catégories.

  2. 2.

    L’\(\infty \)-catégorie \(A\) est semi-additive.

Preuve

Pour montrer que \((1)\) implique \((2)\), il suffit de montrer que \(CMon(A)\) est une \(\infty \)-catégorie semi-additive au sens de la définition 3.21. On considère \(CMon(A)\) comme naturellement plongée dans \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\Gamma ,A)\). C’est une sous-\(\infty \)-catégorie pleine stable par limites, et donc stables par produits finis. On voit ainsi que \(CMon(A)\) possède des produits finis, et que ceux-ci se calculent dans \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\Gamma ,A)\). L’objet final de \(CMon(A)\) est donc le \(\infty \)-foncteur ponctuel \(* : \Gamma \longrightarrow A\), qui n’est autre que le \(\infty \)-foncteur coreprésenté par \([0] \in \Gamma \). Cet objet final est aussi initial, car on a, d’après le lemme de Yoneda, pour tout monoïde commutatif \(M : \Gamma \longrightarrow A\)

$$\begin{aligned} Map(*,M)\simeq M([0]) \simeq *. \end{aligned}$$

Soient \(M\) et \(N\) deux monoïdes commutatifs dans \(A\), et montrons que les morphismes naturels

font de \(M\times N\) la somme de \(M\) et de \(N\) dans \(CMon(A)\). Pour cela, il suffit de montrer que pour tout \(P \in [CMon(A)]\), l’application induite

est bijective. Pour cela, on construit une application inverse \(\psi \) de la façon suivante. Nous définissons un nouveau monoïde commutatif \(P\wedge P : \Gamma \longrightarrow A\), dont la valeur sur \([n] \in \Gamma \) est par définition \(P([n+n])\), et sur un morphisme \(a : [n] \rightarrow [m]\) est \(P(a+a) : P([n+n]) \longrightarrow P([m+m])\) (on remarquera que \([n+n]\) est la somme de \([n]\) avec \([n]\) dans la catégorie \(\Gamma \)). L’objet \(P\wedge P\) vient avec une équivalence

$$\begin{aligned} P \wedge P \longrightarrow P\times P, \end{aligned}$$

qui est induite par les morphismes

$$\begin{aligned} P([n+n]) \longrightarrow P([n])\times P([n]) \end{aligned}$$

provenant des deux morphismes de projection \([n+n] \longrightarrow [n]\). D’autre part, nous avons un morphisme de monoïdes commutatifs

$$\begin{aligned} + : P\wedge P \longrightarrow P \end{aligned}$$

qui est induit par le morphisme

$$\begin{aligned} P([n+n]) \longrightarrow P([n]) \end{aligned}$$

provenant du morphisme \([n+n] \longrightarrow [n]\) égal à l’identité sur chaque copie de \([n]\) dans \([n+n]\). Ainsi, dans \([CMon(A)]\), on dispose d’un morphisme naturel

$$\begin{aligned} + : P\times P \simeq P\wedge P \longrightarrow P. \end{aligned}$$

On définit alors

$$\begin{aligned} \psi : [M,P] \times [N,P] \longrightarrow [M\times N,P] \end{aligned}$$

qui à deux morphismes \(f : M \rightarrow P\) et \(g : N \rightarrow P\) associe

$$\begin{aligned} f+g:=(+)\circ (f\times g) : [M,P] \times [N,P] \rightarrow [M\times N,P\times P] \rightarrow [M\times N,P]. \end{aligned}$$

On laisse le soin au lecteur de vérifier que \(\psi \) ainsi construit est l’inverse de \(\phi \).

Réciproquement, supposons que \(A\) soit semi-additive. Considérons \(CMon(A)\) comme plongée dans \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}_{*}(\Gamma ,A)\), où \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}_{*}(\Gamma ,A)\) est la sous-\(\infty \)-catégorie pleine de \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\Gamma ,A)\) formée des \(\infty \)-foncteurs qui envoient \([0]\) sur \(* \in A\). Le \(\infty \)-foncteur d’évaluation en \([1]\)

$$\begin{aligned} ev_{1} : \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}_{*}(\Gamma ,A) \longrightarrow A, \end{aligned}$$

possède un adjoint à gauche

$$\begin{aligned} L : A \longrightarrow \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\Gamma ,A) \end{aligned}$$

qui à \(a \in A\) associe le \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} L(a) : [n] \mapsto \coprod _{\Gamma ([1],[n])-*} \wedge a, \end{aligned}$$

\(* : [1] \rightarrow [n]\) est l’application constante. Comme \(A\) est semi-additive, on vérifie que \(L(a)\) est un objet de \(CMon(A)\). Ainsi, le \(\infty \)-foncteur d’évaluation en \(1\)

$$\begin{aligned} CMon(A) \longrightarrow A \end{aligned}$$

possède \(L\) comme adjoint à gauche. L’unité de cette adjonction, pour \(a\in A\), est le morphisme

$$\begin{aligned} \coprod _{\Gamma ([1],[1])-*}a \longrightarrow a \end{aligned}$$

qui est une équivalence dans \(A\) car \(\Gamma ([1],[1])-*\simeq *\). \(\square \)

Soit \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{ad}\) la sous-\(\infty \)-catégorie, non pleine, de \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}\) formé des \(\infty \)-catégories semi-additives et des \(\infty \)-foncteurs qui commutent aux produits finis. On dispose d’un plongement naturel

$$\begin{aligned} j : \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{ad} \longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}. \end{aligned}$$

Proposition 3.24

  1. 1.

    Le \(\infty \)-foncteur \(j\) ci-dessus possède un adjoint à gauche

    $$\begin{aligned} (-)^{ad} : \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}\longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}_{ad}. \end{aligned}$$
  2. 2.

    Pour tout \(A\in \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}\), le morphisme d’ajonction

    $$\begin{aligned} f : A \longrightarrow A^{ad} \end{aligned}$$

    est tel que pour tout \(a\) et tout \(b\) objet de \(A\), on ait

    $$\begin{aligned} Map(f(a),f(b)) \simeq \coprod _{n \ge 0}(Map(a,b)^{n})_{h\Sigma _{n}}. \end{aligned}$$

    En d’autres termes, \(Map(f(a),f(b))\) est le monoïde commutatif libre dans \(\mathbb {T}\) engendré par \(Map(a,b)\).

Preuve

Nous allons démontrer simultanément \((1)\) et \((2)\) en construisant explicitement l’adjoint à gauche en question. Soit \(A \in \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}\) une \(\infty \)-catégorie, et \(\widehat{A}\) l’\(\infty \)-catégorie des préfaisceaux. On considère le plongement de Yoneda

$$\begin{aligned} h : A \hookrightarrow \widehat{A}. \end{aligned}$$

Soit \(CMon(\widehat{A})\) l’\(\infty \)-catégorie des monoïdes commutatifs dans \(\widehat{A}\), et \(CMon(\widehat{A}) \longrightarrow \widehat{A}\) le foncteur d’évaluation en \([1]\). L’adjoint à gauche de ce foncteur est noté

$$\begin{aligned} L : \widehat{A} \longrightarrow CMon(\widehat{A}). \end{aligned}$$

On considère le foncteur composé

$$\begin{aligned} \phi :=L\circ h : A \longrightarrow \widehat{A} \longrightarrow CMon(\widehat{A}). \end{aligned}$$

On définit \(A^{ad}\) comme étant la sous-\(\infty \)-catégorie pleine de \(CMon(\widehat{A})\) des objets qui sont des produits finis d’objets de l’image essentielle du \(\infty \)-foncteur \(\phi \). L’\(\infty \)-foncteur \(\phi \) nous donne un \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} j : A \longrightarrow A^{ad}. \end{aligned}$$

Il nous faut montrer que \(A^{ad}\) est semi-additive et que le \(\infty \)-foncteur \(j\) induit, pour tout \(B\in \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}_{ad}\), une bijection

$$\begin{aligned} j^{*} : [A^{ad},B]^{ad} \simeq [A,B], \end{aligned}$$

où le membre de droite (resp. de gauche) désigne l’ensemble des morphismes dans la catégorie \([\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}_{ad}]\) (resp. \([\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}]\)).

Pour montrer cela nous définissons une application inverse

$$\begin{aligned} p : [A,B] \longrightarrow [A^{ad},B]^{ad} \end{aligned}$$

de la façon suivante. Soit \(f : A \longrightarrow B\) un \(\infty \)-foncteur, qui induit un \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} f^{*} : CMon(\widehat{B})\simeq \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(B^{op},CMon) \longrightarrow \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(A^{op},CMon) \simeq CMon(\widehat{A}), \end{aligned}$$

où l’on note \(CMon:=CMon(\mathbb {T})\). L’adjoint à gauche de \(f^{*}\) est noté

$$\begin{aligned} f_{!} : CMon(\widehat{A}) \longrightarrow CMon(\widehat{B}). \end{aligned}$$

Le \(\infty \)-foncteur \(f_{!}\) est caractérisé par, d’une part la propriété de commuter aux colimites et d’autre part la propriété de rendre le diagramme suivant commutatif

Les \(\infty \)-catégories \(CMon(\widehat{A})\) et \(CMon(\widehat{B})\) sont semi-additives, et le \(\infty \)-foncteur \(f_{!}\) commute aux sommes finies et est donc semi-additif. Il envoie donc la sous-\(\infty \)-catégorie \(A^{ad} \subset CMon(\widehat{A})\) dans \(B^{ad} \subset CMon(\widehat{B})\), et définit ainsi un \(\infty \)-foncteur semi-additif

$$\begin{aligned} f^{ad} : A^{ad} \longrightarrow B^{ad}. \end{aligned}$$

Cependant, \(B\) étant elle-même semi-additive, le \(\infty \)-foncteur \(\phi : B \longrightarrow CMon(\widehat{B})\) est une équivalence (proposition 3.23), et ainsi le \(\infty \)-foncteur \(j : B \longrightarrow B^{ad}\) est une équivalence. On trouve ainsi un \(\infty \)-foncteur semi-additif

$$\begin{aligned} p(f) : A^{ad} \longrightarrow B. \end{aligned}$$

Par construction, il est facile de vérifier que \(f \mapsto p(f)\) définit un inverse de l’application \(j^{*} : [A^{ad},B]^{ad} \rightarrow [A,B]\).

Ceci termine l’existence de l’adjoint \(A \mapsto A^{ad}\), avec de plus une description explicite de \(A^{ad}\) comme étant la sous-\(\infty \)-catégorie pleine de \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(A ^{op},CMon)\) formée des produits finis de \(\infty \)-foncteurs de la forme \(L(h_{a})\) pour \(a\in A\). Ainsi, pour démontrer la seconde assertion de la proposition il nous suffit de calculer, pour deux objets \(a\) et \(b\) dans \(A\), l’espace des morphismes

$$\begin{aligned} Map_{A^{ad}}(j(a),j(b))\simeq Map_{\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(A^{op},CMon)}(L(h_{a}),L(h_{b})). \end{aligned}$$

Mais on a

$$\begin{aligned} Map_{\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(A^{op},CMon)}(L(h_{a}),L(h_{b})) \simeq Map_{\widehat{A}}(h_{a},L(h_{b}))\simeq L(h_{b})(a). \end{aligned}$$

Par définition, \(L(h_{b})(a)\) est le monoïde commutatif dans \(\mathbb {T}\) libre sur l’objet \(Map_{A}(a,b)\). Ce monoïde commutatif libre est décrit dans [33, Prop. 3.6], et est naturellement équivalent à

$$\begin{aligned} \coprod _{n\in \mathbb {N}} (Map_{A}(a,b)^{n})_{h\Sigma _{n}}. \end{aligned}$$

\(\square \)

Nous allons maintenant nous intérésser au cas des \(\infty \)-catégories monoïdales symétriques et de leur semi-additivisation.

Définition 3.25

  1. 1.

    Une \(\infty \) -catégorie monoïdale symétrique semi-additive est une \(\infty \)-catégorie monoïdale symétrique \(T\) vérifiant les deux propriétés suivantes:

    1. (a)

      La \(\infty \)-catégorie sous-jacente à \(T\) est semi-additive.

    2. (b)

      Pour tout objet \(x\in T\), le \(\infty \)-foncteur

      $$\begin{aligned} x\otimes - : T \longrightarrow T \end{aligned}$$

      est semi-additif.

  2. 2.

    Un \(\infty \)-foncteur monoïdal symétrique entre \(\infty \)-catégories monoïdales symétriques semi-additives est semi-additif s’il l’est en tant que \(\infty \)-foncteur entre \(\infty \)-catégories semi-additives.

Nous noterons \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{ad}\) la sous-\(\infty \)-catégorie (non pleine) de \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\) formée des \(\infty \)-catégories monoïdales symétriques semi-additives et des \(\infty \)-foncteurs monoïdaux symétriques semi-additifs. On dispose de \(\infty \)-foncteurs d’oubli

$$\begin{aligned} \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{ad} \longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}_{ad} \qquad \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}, \end{aligned}$$

qui commutent aux inclusions \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{add} \subset \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\) et \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}_{ad} \subset \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}\).

Proposition 3.26

  1. 1.

    Le \(\infty \)-foncteur d’inclusion \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{ad} \hookrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\) possède un adjoint à gauche

    $$\begin{aligned} (-)^{\otimes -ad} : \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{ad}. \end{aligned}$$
  2. 2.

    Le diagramme suivant

    commute à équivalence près.

Preuve

Nous allons décrire explicitement l’adjoint à gauche \((-)^{\otimes -ad}\). Pour cela, soit \(T : \Gamma \longrightarrow \infty -Cat\) une \(\infty \)-catégorie monoïdale symétrique. Notons

$$\begin{aligned} p : \mathcal {T}:=\int \limits _{\Gamma } T \longrightarrow \Gamma \end{aligned}$$

l’\(\infty \)-catégorie cofibrée sur \(\Gamma \) correspondante. Pour simplifier les notations nous supposerons que \(T\) est à valeur dans les \(\infty \)-catégories strictes.

Nous commençons par définir une \(\infty \)-catégorie \(\mathcal {C}\), bi-fibrée au-dessus de \(\Gamma \), de la façon suivante. Les objets de \(\mathcal {C}\) sont des couples \((I,x)\) où:

  • \(I\) est un objet de \(\Gamma \)

  • \(x\) est un objet de l’\(\infty \)-catégorie \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(T([1])^{op},CMon)^{I^{0}}\), où \(CMon\) est l’\(\infty \)-catégorie des monoïdes commutatifs dans \(\mathbb {T}\), et \(I^{0}\) est l’ensemble \(I\) privé de son point de base. L’objet \(x\) sera représenté par une famille de \(\infty \)-foncteur \(x_{i} : T([1])^{op} \rightarrow CMon\) pour \(i\in I^{0}\).

Ci-dessus, nous prendrons un modèle strict bien précis pour \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(T([1])^{op}, CMon)\). Nous noterons \(\Gamma -SEns_{sp}^{f}\) la catégorie des \(\Gamma \)-espaces fibrants et spéciaux (voir Prop. 3.2, dans laquelle il faut remplacer la catégorie de modèles des catégories de Segal par \(SEns\)). La catégorie \(\Gamma -SEns_{sp}^{f}\) est telle que sa localisée de Dwyer-Kan vérifie

$$\begin{aligned} L(\Gamma -SEns_{sp}^{f}) \simeq CMon. \end{aligned}$$

Ainsi, un modèle strict explicite pour \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(T([1])^{op},CMon)\) est

$$\begin{aligned} L((\Gamma -SEns_{sp}^{f})^{T[1]^{op}})\simeq \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(T([1])^{op},CMon). \end{aligned}$$

Les objets de \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(T([1])^{op},CMon)\) seront donc identifiés à des \(\infty \)-foncteurs stricts

$$\begin{aligned} T([1])^{op} \longrightarrow \Gamma -SEns_{sp}^{f}. \end{aligned}$$

Les espaces de morphismes dans \(\mathcal {C}\) sont définis de la façon suivante. Soient \((I,x)\) et \((J,y)\) deux objets, on pose

$$\begin{aligned} \mathcal {C}((I,x),(J,y)):= \coprod _{u : I \rightarrow J}Map_{\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(T([I])^{op},CMon)}(s_{I}^{*}(x),u^{*}s_{J}^{*}(y)). \end{aligned}$$

Dans cette expression, \(u\) parcourt l’ensemble des morphismes \(I \rightarrow J\) dans \(\Gamma \), et

$$\begin{aligned} u^{*} : \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(T([J])^{op},CMon) \longrightarrow \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(T([I])^{op},CMon) \end{aligned}$$

est le morphisme induit. L’objet \(s_{I}^{*}(x)\), qui est un \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} T([I])^{op} \longrightarrow CMon, \end{aligned}$$

est le composé

\(\boxtimes x\) est le \(\infty \)-foncteur produit des \(x_{i}\). La composition des morphismes dans \(\mathcal {C}\) se fait de manière naturelle.

On dispose d’une projection \(\pi : \mathcal {C} \longrightarrow \Gamma \), et on vérifie facilement que cela fait de \(\mathcal {C}\) une \(\infty \)-catégorie (stricte) bi-fibrée sur \(\Gamma \). Il existe une sous-\(\infty \)-catégorie pleine \(\mathcal {C}_{0}\) de \(\mathcal {C}\) qui consiste à se restreindre aux objets de la forme \((I,x)\), avec chaque \(x_{i} \in \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(T([1])^{op},CMon)\) qui est équivalent à un produit fini de représentables. On vérifie que \(\mathcal {C}_{0}\) est encore cofibrée sur \(\Gamma \) (mais elle n’est plus fibrée), et définit ainsi par la proposition 2.4 un foncteur

$$\begin{aligned} \Gamma \longrightarrow \infty -Cat. \end{aligned}$$

Par construction, la valeur de se foncteur en \(I\) est naturellement équivalente à \((T([1])^{ad})^{I^{0}}\), et on voit sans peine qu’il définit une \(\infty \)-catégorie monoïdale symétrique semi-additive que l’on notera \(T^{\otimes -ad}\). La \(\infty \)-catégorie sous-jacente est équivalente à \(T([1])^{ad}\). Pour démontrer la proposition, il nous reste donc à vérifier que \(T \mapsto T^{\otimes -ad}\) est bien adjoint à gauche de l’inclusion \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{ad} \hookrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\), ce que nous laissons aux lecteurs. \(\square \)

Nous sommes maintenant en mesure de démontrer le caractère additif des traces cycliques. Pour cela, nous introduisons \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{ad,rig}\), la sous-\(\infty \)-catégorie pleine formée des objets dont la \(\infty \)-catégorie monoïdale symétrique est sous-jacente est rigide. En précomposant par le \(\infty \)-foncteur d’oubli de la semi-additivité

$$\begin{aligned} \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{ad,rig} \longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{rig}, \end{aligned}$$

les \(\infty \)-foncteurs \(\widetilde{\mathcal {LI}}\) et \(\widetilde{End}_{-}({\mathbf {1}})\) du paragraphe §3.3 induisent deux nouveaux \(\infty \)-foncteurs

$$\begin{aligned} \widetilde{\mathcal {LI}}_{ad}, \widetilde{End}_{-}({\mathbf {1}})_{ad} : \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{ad,rig} \longrightarrow S^{1}-\mathbb {T}. \end{aligned}$$

De même, en oubliant l’action du cercle nous avons deux \(\infty \)-foncteurs

$$\begin{aligned} \mathcal {LI}_{ad}, End_{-}({\mathbf {1}})_{ad} : \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{ad,rig} \longrightarrow \mathbb {T}. \end{aligned}$$

La proposition 3.26 nous dit que le \(\infty \)-foncteur \(\mathcal {LI}_{ad}\) est correprésenté par \(\mathbb {B}(S^{1})^{\otimes -ad}\), dont la \(\infty \)-catégorie semi-additive sous-jacente est \(\mathbb {B}(S^{1})^{ad}\). De même, le \(\infty \)-foncteur \(\mathcal {LI}_{ad}\times \mathcal {LI}_{ad}\) est coreprésenté par \(\mathbb {B}(S^{1}\coprod S^{1})^{\otimes -ad}\). Ainsi, l’espace des transformations naturelles de \(\mathcal {LI}_{ad}\times \mathcal {LI}_{ad}\) vers \(End_{-}({\mathbf {1}})_{ad}\) est donné par

$$\begin{aligned} Map(\mathcal {LI}_{ad}^{2},End_{-}({\mathbf {1}})_{ad})\simeq End_{\mathbb {B}(S^{1}\coprod S^{1})^{ad}}({\mathbf {1}}). \end{aligned}$$

D’après la proposition 3.24, on trouve que \(Map(\mathcal {LI}_{ad}^{2},End_{-}({\mathbf {1}})_{ad})\) est équivalent au monoïde commutatif libre sur l’espace \(End_{\mathbb {B}(S^{1}\coprod S^{1})}({\mathbf {1}})\). L’action de \(S^{1}\) sur l’espace \(Map(\mathcal {LI}^{2}_{ad},End_{-}({\mathbf {1}})_{ad})\) est quand à elle induite par l’action naturelle sur \(End_{\mathbb {B}(S^{1}\coprod S^{1})}({\mathbf {1}})\).

Nous allons maintenant considérer deux transformations naturelles \(S^{1}\)-équivariantes

$$\begin{aligned} f,g : \mathcal {LI}_{ad}^{2} \Rightarrow End_{-}({\mathbf {1}})_{ad}, \end{aligned}$$

et montrer qu’elles sont équivalentes, et ce de manière \(S^{1}\)-équivariante. La première, \(f\) est le composé

\(Tr\) est la transformation naturelle de la proposition 3.17 restreinte à la sous-\(\infty \)-catégorie \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{ad,rig}\). La transformation naturelle \(\times \) est quand à elle induite par le produit direct dans la \(\infty \)-catégorie sous-jacente, qui existe par hypothèse de semi-additivité. En utilisant le coreprésentabilité de \(\mathcal {LI}_{ad}^{2}\), la transformation naturelle \(\times \) correspond à un couple \((x,\beta )\), formé d’un objet \(x\) muni d’une auto-équivalence \(\beta \) dans \(\mathbb {B}(S^{1}\coprod S^{1})_{ad}\). En identifiant \([\mathbb {B}(S^{1}\coprod S^{1})_{ad}]\) avec la catégorie semi-additive engendrée par \([{\mathbf {Bord}}_{1}^{S^{1}\coprod S^{1}}]\), la catégorie des \(1\)-bordismes au-dessus de \(S^{1}\coprod S^{1}\) (voir la preuve du théorème 3.18), le couple \((x,\beta )\) s’identifie à la somme directe \((x_{1}^{+},u_{1})\), \((x_{2}^{+},u_{2})\), où \(x^{+}_{i}\) est un point, orienté positivement, au-dessus de la \(i\)-ème copie de \(S^{1}\), et \(u_{i}\) est l’automorphisme canonique de \(x_{i}^{+}\) qui couvre la \(i\)-ème copie de \(S^{1}\)

$$\begin{aligned} (x,u)=(x_{1}^{+},u_{1}) \oplus (x_{2}^{+},u_{2}). \end{aligned}$$

Ainsi, la transformation naturelle \(f\) est représenté par un élément \(Z(f)\) de

$$\begin{aligned} End_{\mathbb {B}(S^{1}\coprod S^{1})_{ad}}({\mathbf {1}}), \end{aligned}$$

qui est la trace de \((x_{1}^{+},u_{1}) \oplus (x_{2}^{+},u_{2})\). Notons \(X:=End_{\mathbb {B}(S^{1}\coprod S^{1})}({\mathbf {1}})\), de sorte que d’après la proposition 3.24 on ait

$$\begin{aligned} End_{\mathbb {B}(S^{1}\coprod S^{1})_{ad}}({\mathbf {1}}) \simeq \coprod _{n\ge 0} X^{n}_{h\Sigma _{n}}. \end{aligned}$$

Dans \(X\), nous disposons des éléments \(Z_{1}\) et \(Z_{2}\), qui sont les endomorphismes de de l’unité \(\emptyset \rightarrow S^{1}\coprod S^{1}\) représentés par les inclusions canoniques \(S^{1}\) dans l’un des deux facteurs. L’élément \(Z(f)\) est alors le couple

$$\begin{aligned} (Z_{1},Z_{2}) \in X^{2}_{h\Sigma _{2}} \subset End_{\mathbb {B}(S^{1}\coprod S^{1})_{ad}}({\mathbf {1}}). \end{aligned}$$

Cet élément est de plus naturellement \(S^{1}\)-équivariant, car \(Z_{1}\) et \(Z_{2}\) le sont en tant qu’endomorphismes dans \(\mathbb {B}(S^{1}\coprod S^{1})\). On peut-être plus précis ici, car l’action de \(S^{1}\) sur la composante connexe de \(X^{2}_{h\Sigma _{2}}\) qui contient \((Z_{1},Z_{2})\) est en réalité triviale d’après le théorème 3.18, et la structure de \(S^{1}\)-point fixe est alors la structure canonique.

Passons maintenant à la transformation naturelle \(g\). Elle est définie comme le composé

\(\times \) est encore induite par le caractère semi-additif qui assure que l’objet \(\mathbb {1}\) est canoniquement un monoïde commutatif, ce qui induit une structure de monoïde commutatif naturelle sur \(End_{-}({\mathbf {1}})_{ad}\). Si l’on utilise la coreprésentabilité de \(\mathcal {LI}_{ad}^{2}\) par \(\mathbb {B}(S^{1}\coprod S^{1})_{ad}\), on trouve que la transformation naturelle \(g\) est elle aussi donnée par le couple

$$\begin{aligned} (Z_{1},Z_{2}) \in X^{2}_{h\Sigma _{2}} \subset End_{\mathbb {B}(S^{1}\coprod S^{1})_{ad}}({\mathbf {1}}), \end{aligned}$$

qui est aussi \(S^{1}\)-équivariant car l’action de \(S^{1}\) est triviale sur la composante contenant ce couple.

La conclusion de cette discussion est le corollaire suivant, qui est la forme de l’additivité des traces cycliques dont nous aurons besoin par la suite (mais qui n’est pas la forme la plus générale qui existe).

Corollaire 3.27

Les deux transformations naturelles définies précédemment

$$\begin{aligned} f,g : \mathcal {LI}_{ad}^{2} \Rightarrow End_{-}({\mathbf {1}})_{ad} \end{aligned}$$

sont équivalentes en tant que transformations naturelles \(S^{1}\)-équivariantes.

En particulier, on trouve le corollaire suivant.

Corollaire 3.28

Soit \(T\) une \(\infty \)-catégorie monoïdale symétrique semi-additive. Alors le morphisme de trace cyclique

$$\begin{aligned} Tr^{S^{1}} : \pi _{0}(\mathcal {LI}(T)) \longrightarrow \pi _{0}(End_{T}(1)^{hS^{1}}) \end{aligned}$$

est un morphisme de monoïdes commutatifs, pour les lois de monoïdes induites par le caractère semi-additif de \(T\).

3.5 Muliplicativité des traces

Terminons par la propriété de multiplicativité de la trace et de la trace cylique. Pour cela nous allons commencer par construire un \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} \mathcal {M} : \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\longrightarrow \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\Gamma ,\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }). \end{aligned}$$

On commence par construire un foncteur au niveau des catégories de modèles

$$\begin{aligned} \infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }\longrightarrow (\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes })^{\Gamma }, \end{aligned}$$

qui envoie un objet \(A\) sur le foncteur

$$\begin{aligned} \mathcal {M}(A) : \Gamma \longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}^{pr-\otimes }\end{aligned}$$

défini par

$$\begin{aligned} \mathcal {M}(A)([n]) : \Gamma&\longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}^{pr} \\ [m]&\mapsto A([nm]). \end{aligned}$$

Notons que l’on utilise ici le fait que \(\Gamma \) soit naturellement munie d’une structure de catégorie monoïdale symétrique dont la loi monoïdale est défini par \([n]\otimes [m]=[nm]\). Les cohérences d’associativité et d’unité sont alors des identités. Les cohérences de commutativité sont elles induites par l’automorphisme \(\alpha _{n,m} : [nm] \simeq [nm]\) qui est un ”shuffle” de type \((n,m)\). On vérifie alors que si \(A\) est une \(\infty \)-CMS il en est de même de \(\mathcal {A}([n])\) pour tout \([n] \in \Gamma \). On a ainsi construit un foncteur

$$\begin{aligned} \infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }\longrightarrow (\infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes })^{\Gamma } \end{aligned}$$

qui par localisation induit un \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} \mathcal {M} : \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\longrightarrow \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\Gamma ,\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }). \end{aligned}$$

En composant ce foncteur avec \(\widetilde{\mathcal {LI}}\) et \(\widetilde{End}_{-}({\mathbf {1}})\) en trouve deux \(\infty \)-foncteurs

$$\begin{aligned} \widetilde{\mathcal {LI}}\circ \mathcal {M}, \widetilde{End}_{-}({\mathbf {1}}) \circ \mathcal {M} : \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\longrightarrow \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\Gamma ,S^{1}-\mathbb {T}). \end{aligned}$$

Comme \(\widetilde{\mathcal {LI}}\) et \(\widetilde{End}_{-}({\mathbf {1}})\) commutent avec les produits finis il est facile de voir que ces les deux foncteurs \(\widetilde{\mathcal {LI}}\circ \mathcal {M}\) et \(\widetilde{End}_{-}({\mathbf {1}})\circ \mathcal {M}\) se factorisent à travers la sous-\(\infty \)-catégorie pleine de \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\Gamma ,S^{1}-\mathbb {T})\) formée des \(\infty \)-foncteurs \(F\) vérifiant que pour tout \(n\) le morphisme

$$\begin{aligned} F([n]) \longrightarrow F([1])^{n} \end{aligned}$$

est une équivalence dans \(S^{1}-\mathbb {T}\). En d’autres termes, ces deux \(\infty \)-foncteurs sont à valeurs dans la \(\infty \)-catégorie des monoïdes commutatifs \(S^{1}\) -équivariants dans \(\mathbb {T}\). Il suffit alors de précomposer la transformation naturelle \(Tr^{S^{1}}\) avec le \(\infty \)-foncteur \(\mathcal {M}\) pour trouver une transformation naturelle

$$\begin{aligned} Tr_{\otimes }^{S^{1}} : \widetilde{\mathcal {LI}}\circ \mathcal {M} \Rightarrow \widetilde{End}_{-}({\mathbf {1}})\circ \mathcal {M}. \end{aligned}$$

On note qu’évaluée en \([1] \in \Gamma \) cette transformation naturelle n’est autre que \(Tr^{S^{1}}\). On peut vérifier (nous ne le ferons pas) que \(Tr_{\otimes }^{S^{1}}\) est l’unique extension de \(Tr^{S^{1}}\) en une transformation naturelle entre \(\widetilde{\mathcal {LI}}\circ \mathcal {M}\) et \(\widetilde{End}_{-}({\mathbf {1}})\circ \mathcal {M}\).

Définition 3.29

La trace cyclique multiplicative est la transformation naturelle

$$\begin{aligned} Tr_{\otimes }^{S^{1}} : \widetilde{\mathcal {LI}}\circ \mathcal {M} \longrightarrow \widetilde{End}_{-}({\mathbf {1}})\circ \mathcal {M} \end{aligned}$$

définie ci-dessus.

4 \(\infty \)-Topos monoïdelés et catannelés

Le but de cette section est de construire le caractère de Chern à proprement parlé. Pour cela nous commecerons par décrire la notion de \(\infty \) -topos catannelé, qui sont aux \(\infty \)-catégories monoïdales symétriques ce que sont les topos annelés aux anneaux. En d’autres termes, un \(\infty \)-topos catannelé est la donné d’un couple \((T,\mathcal {A})\), formé d’un \(\infty \)-topos \(T\) et d’un champ en \(\infty \)-catégories monoïdales symétriques \(\mathcal {A}\) sur \(T\). Un tel couple sera dit rigide si les valeurs de \(\mathcal {A}\) sont rigides. Nous définissons pour tout \(\infty \)-topos catannelé \((T,\mathcal {A})\) une notion d’homologie de Hochschild et d’homologie cyclique relativement à \(\mathcal {A}\). Lorsque \((T,\mathcal {A})\) est rigide nous construisons alors quatres transformations naturelles: une pré-trace, une trace, un pré-caractère de Chern et un caractère de Chern. Les deux morphismes de traces sont construits en utilisant l’existence de traces prédit par la proposition 3.17 et sont à valeurs dans l’homologie de Hochschild: il s’agit d’une version extrèmement générale du morphisme Trace de Dennis utilisé en K-théorie (voir [23, 8.4]). Les deux morphismes de caractère de Chern sont construits à l’aide de l’existence de traces cycliques de 3.20 et sont à valeurs dans l’homologie cyclique: il s’agit de généralisation du caractère de Chern à valeurs dans l’homologie cyclique négative utilisé en K-théorie ([23, 11.4]).

4.1 La \(\infty \)-catégorie des \(\infty \)-Topos structurés

Soit \(A \in \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}\) une \(\infty \)-catégorie fibrante. Nous allons commencer par définir la \(\infty \)-catégorie \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}_{//A}\) des \(\infty \)-catégories fibrantes au-dessus de \(A\). Pour cela notons \(\underline{Hom}^{\Delta }\) les Hom simpliciaux de la catégorie de modèles \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}\) (voir [15]), et \(\Delta ^{n}\) la catégorie classifiant les chaines de \(n\) morphismes composables. Rappelons que la structure simpliciale sur \(\infty -{\mathbf {Cat}}^{pr}\) n’est pas donnée par \(n \mapsto \Delta ^{n}\), mais pas sa complétion en groupoïdes \(n \mapsto \overline{\Delta }^{n}\). Ainsi, pour deux pré-catégories de Segal \(A\) et \(B\), l’ensemble des \(n\)-simplexes de \(\underline{Hom}^{\Delta }(A,B)\) est l’ensemble des morphismes

$$\begin{aligned} \underline{\Delta }^{n} \times A \longrightarrow B. \end{aligned}$$

On a ainsi

$$\begin{aligned} \mathbb {R}\underline{Hom}^{\Delta }(A,B) \simeq \mathcal {I}(\mathbb {R}\underline{Hom}(A,B)). \end{aligned}$$

Les objets de \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}_{//A}\) sont par définition les morphismes de \(\infty \)-catégories fibrantes \(f : B \longrightarrow A\). Pour \(f : B \longrightarrow A\) et \(g : C \longrightarrow A\) deux tels objets on définit

$$\begin{aligned} Map_{\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}//A}(f,g):=\underline{Hom}^{\Delta }(B\times \Delta ^{1},C) \times _{\underline{Hom}^{\Delta }(A,C)\times \underline{Hom}^{\Delta }(A,C)} \underline{Hom}^{\Delta }(B,C), \end{aligned}$$

où d’une part le morphisme

$$\begin{aligned} \underline{Hom}^{\Delta }(B\times \Delta ^{1},C) \longrightarrow \underline{Hom}^{\Delta }(A,C)\times \underline{Hom}^{\Delta }(A,C) \end{aligned}$$

est induit par la restriction à \(0\coprod 1 \subset \Delta ^{1}\), et d’autre part le morphisme

$$\begin{aligned} \underline{Hom}^{\Delta }(B,C) \longrightarrow \underline{Hom}^{\Delta }(A,C)\times \underline{Hom}^{\Delta }(A,C) \end{aligned}$$

est le composé

Plus généralement, si \(\{f_{i} : B_{i} \longrightarrow A\}_{2\le i\le n}\) est une famille finie d’objets de \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}/A\), on définit \((\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}_{//A})(f_{1}, \dots , f_{n})\) comme étant le produit fibré suivant

$$\begin{aligned}&\underline{Hom}^{\Delta }(B\times \Delta ^{n},C) \times _{\underline{Hom}^{\Delta }(B,C)^{n+1}}(\underline{Hom}^{\Delta }(B_{1},B_{2})\\&\quad \times \underline{Hom}^{\Delta }(B_{2},B_{3})\times \dots \times \underline{Hom}^{\Delta }(B_{n-1},B_{n})). \end{aligned}$$

Les ensembles simpliciaux \((\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}_{//A})(f_{1}, \dots , f_{n})\) s’orgnisent alors naturellement en une \(\infty \)-catégorie que nous noterons \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}_{//A}\). Il faut garder à l’esprit que les morphismes entre \(f : B \longrightarrow A\) et \(g : C \longrightarrow A\) dans \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}_{//A}\) sont des paires \((u,h)\), où \(u : B \longrightarrow C\) est un \(\infty \)-foncteur et \(h\) est une transformation naturelle de \(g\circ u\) dans \(f\). La \(\infty \)-catégorie \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}_{//A}\) n’est donc pas la \(\infty \)-catégorie comma \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}_{/A}\) au sens usuel. Cette dernière s’identifie en réalité à la sous-\(\infty \)-catégorie (non pleine) de \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}_{//A}\) formée des morphismes \((u,h)\) comme ci-dessus avec \(h\) une équivalence.

Définition 4.1

Soit \(A\) une \(\infty \)-catégorie fibrante possédant des \(\mathbb {U}\)-limites. La \(\infty \) -catégorie des \(\mathbb {U}-\infty \) -topos \(A\) -pré-structurés (resp. \(A\) -structurés) est la sous-\(\infty \)-catégorie (non pleine) de \(\infty -{\mathbf {Cat}}_{//A}\) dont

  1. 1.

    les objets sont les \(f : T^{op} \longrightarrow A\) avec \(T\) un \(\mathbb {U}-\infty \)-topos et \(f\) un \(\infty \)-morphisme (resp. \(\infty \)-morphisme qui commute aux \(\mathbb {U}\)-limites),

  2. 2.

    les morphismes sont ceux induisant des \(\infty \)-foncteurs géométriques sur les \(\mathbb {U}-\infty \)-topos sous-jacents.

Cette \(\infty \)-catégorie sera notée \(\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{pr,\mathbb {U}}_{/A}\) (resp. \(\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{\mathbb {U}}_{/A}\)) (ou \(\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{pr}_{/A}\) (resp. \(\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{/A}\)) lorsque l’univers \(\mathbb {U}\) est sous-entendu).

Revenons sur la définition des espaces de morphismes dans \(\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{/A}\). Il s’agit, pour deux \(\infty \)-topos \(A\)-structurés \(f : T_{1}^{op} \rightarrow A\) et \(g : T_{2}^{op} \rightarrow A\) de considérer la projection naturelle

$$\begin{aligned} Map_{\infty -{\mathbf {Cat}}//A}(f,g) \longrightarrow Map_{\infty -{\mathbf {Cat}}}(T_{1}^{op},T_{2}^{op})\simeq Map_{\infty -{\mathbf {Cat}}}(T_{1},T_{2}). \end{aligned}$$

Par définition l’ensemble simplicial \(Map_{\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{/A}}(f,g)\) est le produit fibré

\(Map^{geom}_{\infty -{\mathbf {Cat}}}(T_{1},T_{2})\) désigne la réunion des composantes connexes correspondantes aux morphismes géométriques. Ainsi, \(Map_{\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{/A}}(f,g)\) est aussi une réunion de composante connexe dans \(Map_{\infty -{\mathbf {Cat}}//A}(f,g)\).

Il existe un \(\infty \)-foncteur d’oubli

$$\begin{aligned} \infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{/A} \longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Top}}}\end{aligned}$$

qui à un objet \(f : T^{op} \longrightarrow A\) associe le \(\infty \)-topos \(T\). La fibre homotopique de ce \(\infty \)-foncteur d’oubli, pris en un \(\infty \)-topos fixé \(T\), est naturellement équivalente à la \(\infty \)-catégorie \(Ch(T,A)\), des champs sur \(T\) à valeurs dans \(A\) (voir définition 2.11).

Nous allons maintenant spécifier deux \(\infty \)-catégories \(A\) et obtenir ainsi deux notions de \(\infty \)-topos structurés qui seront pour nous fondamentaux.

Nous avons déjà défini la \(\infty \)-catégorie \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\) des \(\infty \)-catégories monoïdales symétriques, ainsi que la sous-\(\infty \)-catégorie pleine \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{rig} \subset \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\) des \(\infty \)-CMS rigides. Si on fixe un univers \(\mathbb {U}\) et que l’on se restreint aux \(\infty \)-CMS \(\mathbb {U}\)-petites, alors \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{rig}\) et \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\) sont toutes deux \(\mathbb {U}\)-localement présentables, et en particulier possède des \(\mathbb {U}\)-limites.

Nous définissons aussi une \(\infty \)-catégorie \(\infty -\underline{CMon}\), de la façon suivante. Notons \({\mathbf {SEns}}^{\Gamma }\) la catégorie des foncteurs de \(\Gamma \) dans \({\mathbf {SEns}}\). On considère la sous-catégorie pleine \({\mathbf {SEns}}^{\Gamma }_{sp}\) des foncteurs spéciaux, c’est à dire des foncteurs \(F\) qui vérifient que pour tout \(n\) le morphisme

$$\begin{aligned} F([n]) \longrightarrow F([1])^{n} \end{aligned}$$

est une équivalence. On pose alors

$$\begin{aligned} \infty -\underline{CMon} := L({\mathbf {SEns}}^{\Gamma }_{sp}), \end{aligned}$$

où la localisation est effectuée le long des équivalences niveaux par niveaux dans la catégorie des foncteurs \({\mathbf {SEns}}^{\Gamma }\). Tout comme nous l’avons fait pour \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\) dans §3.1 (voir la définition 3.4) on montre que \(\infty -\underline{CMon}\) est une \(\infty \)-catégorie \(\mathbb {U}\)-localement présentable (si l’on se restreint aux foncteurs \(\Gamma \longrightarrow {\mathbf {SEns}}_{\mathbb {U}}\)).

Définition 4.2

  1. 1.

    La \(\infty \)-catégorie des \(\mathbb {U}-\infty \) -topos pré-catannelés (resp. catannelés) est

    $$\begin{aligned}&\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{pr,\mathbb {U}}_{\otimes }:=\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{pr,\mathbb {U}}_{/\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{\mathbb {U}}}\\ (resp.\!\!&\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{\mathbb {U}}_{\otimes }:=\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{\mathbb {U}}_{/\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{\mathbb {U}}}. \end{aligned}$$
  2. 2.

    La \(\infty \)-catégorie des \(\infty \) -topos pré-catannelés rigides (resp. catannelés rigides) est

    $$\begin{aligned}&\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{pr,\mathbb {U}}_{\otimes ,rig}:=\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{pr,\mathbb {U}}_{/\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{\mathbb {U},rig}}\\&(resp. \; \infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{\mathbb {U}}_{\otimes ,rig}:=\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{\mathbb {U}}_{/\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{\mathbb {U},rig}}). \end{aligned}$$
  3. 3.

    La \(\infty \)-catégorie des \(\mathbb {U}-\infty \) -topos pré-monoïdelés (resp. monoïdés) est

    $$\begin{aligned}&\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{pr,\mathbb {U}}_{Mon}:=\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{pr,\mathbb {U}}_{/\infty -\underline{{\mathbf {Mon}}}_{\mathbb {U}}}\\&(resp. \; \infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{\mathbb {U}}_{Mon}:=\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{\mathbb {U}}_{/\infty -\underline{{\mathbf {Mon}}}_{\mathbb {U}}}). \end{aligned}$$

Comme nous en avons l’habitude nous noterons simplement

$$\begin{aligned}&\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{pr}_{\otimes } \qquad \infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{pr}_{\otimes ,rig} \qquad \infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{pr}_{Mon}\\&\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{\otimes } \qquad \infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{\otimes ,rig} \qquad \infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{Mon} \end{aligned}$$

lorsqu’il n’est pas nécessaire de spécifier l’univers \(\mathbb {U}\).

Afin de rappeler les notations utilisées pour la notion d’espaces annelés les objets d’une des \(\infty \)-catégories précédentes seront notés sous forme de couple \((T,\mathcal {A})\). Une telle notation désigne un \(\mathbb {U}-\infty \)-topos \(T\), fibrant comme \(\infty \)-catégorie, et un \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} \mathcal {A} : T^{op} \longrightarrow A \end{aligned}$$

(qui éventuellement commute aux \(\mathbb {U}\)-limites), où \(A\) est l’une des \(\infty \)-catégories \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{\mathbb {U}}\), \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{\mathbb {U},rig}\), \(\infty -\underline{{\mathbf {Mon}}}\).

Nous utiliserons la proposition suivante qui permet de construire des exemples de \(\infty \)-topos structurés par le procédé de champs associé à partir de \(\infty \)-topos pré-structurés.

Proposition 4.3

Le \(\infty \)-foncteur d’inclusion

$$\begin{aligned} i : \infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{/A} \longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{pr}_{/A} \end{aligned}$$

possède un adjoint à gauche

$$\begin{aligned} a : \infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{pr}_{/A} \longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{/A}. \end{aligned}$$

Preuve

Soit \((T,\mathcal {A})\) un objet de \(\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{pr}_{/A}\). On considère le \(\infty \)-foncteur \(\mathcal {A} : T^{op} \longrightarrow A\) comme un objet de \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(T^{op},A)\). On considère alors son champ associé \(a(\mathcal {A}) \in Ch(T,A)\) (voir la définition 2.11), ce qui fournit un nouveau \(\infty \)-foncteur \(a(\mathcal {A}) : T^{op} \longrightarrow A\) muni d’une transformation naturelle \(h : \mathcal {A} \rightarrow a(\mathcal {A})\). Ceci définit un morphisme \(h : (T,\mathcal {A}) \longrightarrow (T,a(\mathcal {A}))\) dans \(\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{pr}_{/A}\).

Soit maintenant \((T',\mathcal {A}')\) un objet de \(\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{/A}\) et considérons le morphisme

$$\begin{aligned} h^{*} : Map((T,a(\mathcal {A})),(T',\mathcal {A}')) \longrightarrow Map((T,\mathcal {A}),(T',\mathcal {A}')). \end{aligned}$$

Il s’agit de montrer que le morphisme \(h^{*}\) est un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\). En effet, ceci montrera que pour tout \((T,\mathcal {A})\), le \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} Map((T,\mathcal {A}),-) : \infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{/A} \longrightarrow \mathbb {T}\end{aligned}$$

est coreprésentable, et donc que \(i\) possède un adjoint à gauche.

On dispose d’un diagramme commutatif dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\)

Fixons \(u : T \longrightarrow T'\) un morphisme géométrique. Le morphisme induit par \(h^{*}\) sur les fibres homotopiques en \(u\) s’identifie au morphism

$$\begin{aligned} h^{*} : Map_{\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(T^{op},A)}(a(\mathcal {A}),u^{*}(\mathcal {A}')) \longrightarrow Map_{\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(T^{op},A)}(\mathcal {A},u^{*}(\mathcal {A}')). \end{aligned}$$

Ce morphisme est bien un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\) par la propriété universelle de \(a(\mathcal {A})\) comme objet dans \(\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(T^{op},A)\). \(\square \)

Dans la suite de ce travail nous nous intéresserons uniquement aux catégories \([\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{/A}^{pr}]\) et \([\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{/A}]\). Cela simplifiera largement les détails techniques, bien que nous négligerons de la sorte des données de fonctorialité supérieures. Ces catégories possèdent une description explicite relativement simple. Donnons la description de \([\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{/A}]\) à titre d’exemples, le cas des \(\infty \)-topos pré-structurés se décrivant de façon similaire en ométant la condition de commutation aux limites. Les objets de \([\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{/A}]\) sont les couples \((T,\mathcal {A})\), consistant en un (\(\mathbb {U}-\))\(\infty \)-topos \(T\) fibrant comme \(\infty \)-catégorie, et \(\mathcal {A} : T^{op} \rightarrow A\), un \(\infty \)-foncteur qui commute aux (\(\mathbb {U}\)-)limites. L’ensemble des morphismes \([(T,\mathcal {A}),(T',\mathcal {A}')]\) se décrit comme suit. Ses éléments sont les classes d’équivalence de couples \((u,h)\), avec \(u : T^{op} \longrightarrow (T')^{op}\) un morphisme géométrique et \(h : T^{op}\times \Delta ^{1} \longrightarrow A\) est un \(\infty \)-foncteur avec \(h_{0}=\mathcal {A}'\circ u\) et \(h_{1}=\mathcal {A}\). Deux tels couples \((u,h)\) et \((v,k)\) sont équivalents s’il existe deux \(\infty \)-foncteurs

$$\begin{aligned} \psi : T^{op}\times \overline{\Delta }^{1} \longrightarrow (T')^{op} \qquad \phi : T\times \Delta ^{2} \longrightarrow A \end{aligned}$$

tels que

$$\begin{aligned} \psi _{0}=u \qquad \psi _{1}=v \end{aligned}$$

et \(\phi \) est un élément dans \(\underline{Hom}(T^{op},A)([2])\) dont les trois projections dans \(\underline{Hom}(T^{op},A)([1])\) sont égales à \(h\), \(k\) et \(\mathcal {A}'\circ \psi \). En d’autres termes \(\phi \) est une \(2\)-cellule faisant commuter le diagramme suivant dans \(\underline{Hom}(T^{op},A)\)

La composition des morphismes dans \([\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{/A}]\) s’effectue de la façon suivante. Pour \((u,h) : (T,\mathcal {A}) \longrightarrow (T',\mathcal {A}')\) et \((v,k) : (T,\mathcal {A}) \longrightarrow (T',\mathcal {A}')\) deux tels morphismes on considère

$$\begin{aligned} (v,k)\circ (u,h):=(v\circ u,l) : (T,\mathcal {A}) \longrightarrow (T',\mathcal {A}') \end{aligned}$$

\(l : T^{op}\times \Delta ^{1} \longrightarrow A\) est un choix pour une composition \(k\circ h\) comme morphisme dans \(\underline{Hom}(T^{op},A)\). On vérifie que le morphisme \((v\circ u,l)\) ainsi défini est indépendant du choix de \(l\) et que cela définit une composition associative. \(\square \)

4.2 Homologie de Hochschild et homologie cyclique

Soit \((T,\mathcal {A})\) un \(\infty \)-topos catannelé. Nous allons construire deux \(\infty \)-topos monoïdelés \((T,HH^{\mathcal {A}})\) et \((T,HC^{\mathcal {A}})\), déduits de \((T,\mathcal {A})\) par les procédés suivants.

Nous commençons par considérer \(\underline{Hom}(T,T)\), la \(\infty \)-catégorie des endofoncteurs de \(T\) (rappelons que par définition \(T\) est une \(\infty \)-catégorie fibrante). La \(\infty \)-catégorie \(T\) possédant des \(\mathbb {U}\)-limites il en est de même de \(\underline{Hom}(T,T)\). Ainsi, pour tout ensemble simplicial \(K\) et tout objet \(f \in \underline{Hom}(T,T)\) on peut former l’objet \(f^{K}\in \underline{Hom}(T,T)\). Rappelons que cet objet vient avec un morphisme d’ensembles simpliciaux \(K \longrightarrow Map(f^{K},f)\), tel que pour tout \(g \in \underline{Hom}(T,T)\) le morphisme induit

$$\begin{aligned} Map(g,f^{K})&\longrightarrow Map_{{\mathbf {SEns}}}(Map(f^{K},f),\\Map(g,f))&\longrightarrow Map_{{\mathbf {SEns}}}(K,Map(g,f)) \end{aligned}$$

soit un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {SEns}})\). On applique cette construction avec \(f=id\) et \(K=S^{1}=B\mathbb {Z}\), et on obtient ainsi un \(\infty \)-foncteur \(id^{S^{1}} : T \longrightarrow T\), muni d’un morphisme \(S^{1} \longrightarrow Map(id^{S^{1}},id)\). D’autre part on dispose du \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} \mathcal {M}\circ \widetilde{\mathcal {LI}} : \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Mon}}}\end{aligned}$$

défini en fin de §3.3. Ainsi, on peut construire un nouvel objet \((T,\mathcal {M}\circ \widetilde{\mathcal {LI}}\mathcal {A}\circ id^{K})\) dans \([\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{Mon}^{pr}]\).

Définition 4.4

Pour un \(\infty \)-topos catannelé \((T,\mathcal {A})\), le \(\infty \)-topos pré-monoïdelé \((T,HH_{pr}^{\mathcal {A}})\) est défini par

$$\begin{aligned} (T,HH_{pr}^{\mathcal {A}}):=(T,\mathcal {M}\circ \widetilde{\mathcal {LI}}\mathcal {A}\circ id^{S^{1}}). \end{aligned}$$

Nous noterons

$$\begin{aligned} (T,HH^{\mathcal {A}}):=(T,a(HH_{pr}^{\mathcal {A}})) \end{aligned}$$

le \(\infty \)-topos monoïdelé associé.

En termes plus concrets le \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} HH_{pr}^{\mathcal {A}} : T^{op} \longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Mon}}}\end{aligned}$$

envoie un objet \(X\in T\) sur le \(\infty \)-monoïde \(End_{\mathcal {A}(X^{S^{1}})}({\mathbf {1}})\), des endomorphismes de l’unité dans la \(\infty \)-CMS \(\mathcal {A}(X^{S^{1}})\). Ce nouveau \(\infty \)-foncteur n’est en général plus un champ et son champ associé est \(HH^{\mathcal {A}}\).

Revenons au \(\infty \)-endofoncteur \(id^{S^{1}}\). On peut promouvoir cette construction en un \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} \mathbb {T}^{op} \longrightarrow \underline{Hom}(T,T) \end{aligned}$$

qui commute aux limites et qui envoie \(*\) sur l’objet \(id\). En effet, un tel \(\infty \)-foncteur existe et est unique dans \([\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}]\) car \(\mathbb {T}=\widehat{*}\) (voir §2.4). On trouve en particulier un morphisme bien défini

$$\begin{aligned} BS^{1}=K(\mathbb {Z},2) \longrightarrow \mathbb {T}\longrightarrow \underline{Hom}(T,T), \end{aligned}$$

qui envoie le point de base de \(BS^{1}=K(\mathbb {Z},2)\) sur l’objet \(id^{S^{1}}\). En d’autre termes, on dispose d’une action naturelle du groupe simplicial \(S^{1}\) sur le \(\infty \)-foncteur \(id^{S^{1}}\). Cette action est bien évidemment induite par l’action de \(S^{1}\) sur lui-même par translation. Ainsi, le \(\infty \)-foncteur composé

$$\begin{aligned} HH_{pr}^{\mathcal {A}} : T^{op} \longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Mon}}}\end{aligned}$$

possède un relèvement naturel

$$\begin{aligned} \widetilde{HH_{pr}^{\mathcal {A}}} : T^{op} \longrightarrow \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(BS^{1},\infty -\underline{{\mathbf {Mon}}})=:S^{1}-\infty -\underline{{\mathbf {Mon}}}, \end{aligned}$$

en un \(\infty \)-foncteur vers la \(\infty \)-catégorie des \(\infty \)-monoïdes \(S^{1}\)-équivariants. En composant avec le \(\infty \)-foncteur de champ associé, on trouve un relèvement

$$\begin{aligned} \widetilde{HH^{\mathcal {A}}} : T^{op} \longrightarrow \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(BS^{1},\infty -\underline{{\mathbf {Mon}}})=:S^{1}-\infty -\underline{{\mathbf {Mon}}}, \end{aligned}$$

du \(\infty \)-foncteur \(HH^{\mathcal {A}}\). En composant avec le \(\infty \)-foncteurs des points fixes homotopiques (qui est le \(\infty \)-foncteur \(lim_{BS^{1}}\))

$$\begin{aligned} (-)^{hS^{1}} : S^{1}-\infty -\underline{{\mathbf {Mon}}}\longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Mon}}}, \end{aligned}$$

on trouve deux nouveaux \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned}&HC_{pr}^{\mathcal {A}} : T^{op} \longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Mon}}}\\&HC^{\mathcal {A}} : T^{op} \longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Mon}}}. \end{aligned}$$

Par définition on a pour tout objet \(X \in T\)

$$\begin{aligned} HC_{pr}^{\mathcal {A}}(X)\simeq \widetilde{HH}_{pr}^{\mathcal {A}}(X)^{hS^{1}}\qquad HC^{\mathcal {A}}(X)\simeq \widetilde{HH}^{\mathcal {A}}(X)^{hS^{1}}. \end{aligned}$$

Définition 4.5

Pour un \(\infty \)-topos catannelé \((T,\mathcal {A})\), le \(\infty \)-topos pré-monoïdelé \((T,HC_{pr}^{\mathcal {A}})\) est défini par

$$\begin{aligned} \left( T,HC_{pr}^{\mathcal {A}}\right) :=\left( T,\left( \widetilde{HH}_{pr}^{\mathcal {A}}\right) ^{hS^{1}}\right) . \end{aligned}$$

Notons que la projection naturelle des points fixes sur le \(\infty \)-foncteur d’oubli induit des morphismes dans \([\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{Mon}]\)

$$\begin{aligned} \left( T,HH_{pr}^{\mathcal {A}}\right) \longrightarrow \left( T,HC_{pr}^{\mathcal {A}}\right) \qquad \left( T,HH^{\mathcal {A}}\right) \longrightarrow \left( T,HC^{\mathcal {A}}\right) . \end{aligned}$$

Pour \(X \in T\) peut écrire

$$\begin{aligned} HH_{pr}^{\mathcal {A}}\simeq End_{\mathcal {A}}(X^{S^{1}}) \qquad HC_{pr}^{\mathcal {A}}\simeq End_{\mathcal {A}}(X^{S^{1}})^{hS^{1}}. \end{aligned}$$

Plus généralement, il n’est pas difficile de voir que \((T,\mathcal {A}) \mapsto (T,HH_{pr}^{\mathcal {A}})\) et \((T,\mathcal {A}) \mapsto (T,HC_{pr}^{\mathcal {A}})\) définissent des foncteur

$$\begin{aligned} \left[ \infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{pr}_{\otimes ,rig}\right] \longrightarrow \left[ \infty -\underline{{\mathbf {Top}}}^{pr}_{Mon}\right] . \end{aligned}$$

De même, on dispose de deux foncteurs

$$\begin{aligned} \left[ \infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{\otimes ,rig}\right] \longrightarrow \left[ \infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{Mon}\right] . \end{aligned}$$

Ces foncteurs sont reliés par les morphismes

$$\begin{aligned} \left( T,HH_{pr}^{\mathcal {A}}\right) \longrightarrow \left( T,HC_{pr}^{\mathcal {A}}\right) \qquad \left( T,HH^{\mathcal {A}}\right) \longrightarrow \left( T,HC^{\mathcal {A}}\right) \end{aligned}$$

qui induisent des transformations naturelles.

Définition 4.6

Pour \((T,\mathcal {A})\) un \(\infty \)-topos catannelé et \(X \in T\) un objet.

  1. 1.

    Le \(\infty \) -monoïde de pré-homologie de Hochschild de \(X\) (resp. homologie de Hochschild) est

    $$\begin{aligned} HH_{pr}^{\mathcal {A}}(X) \qquad (resp. \; HH^{\mathcal {A}}(X)). \end{aligned}$$
  2. 2.

    Le \(\infty \) -monoïde de pré-homologie cyclique de \(X\) (resp. homologie de cyclique) est

    $$\begin{aligned} HC_{pr}^{\mathcal {A}}(X) \qquad (resp. \; HC^{\mathcal {A}}(X)). \end{aligned}$$

Nous expliquerons au §5.2 que notre définition de l’homologie cyclique est en réalité une généralisation de l’homologie cyclique négative et non de l’homologie cyclique au sens propre. Notre caractère de Chern sera construit à valeurs dans \(HC_{pr}\) et nous n’aurons jamais à considérer un analogue de l’homologie cyclique non négative. Cette dernière pourrait être définie en remplaçant les points fixes homotopiques par \(S^{1}\) par des coinvariants homotopiques (i.e. \(colim_{BS^{1}}\) au lieu de \(lim_{BS^{1}}\)). Nous ne voyons cependant pas la pertinence d’une telle définition dans le contexte général exposé ici. Ainsi, pour nous, homologie cyclique sera toujours une expression faisant référence à l’homologie cyclique négative.

4.3 Caractère de Chern

Soit \((T,\mathcal {A})\) un \(\infty \)-topos catannelé rigide. Nous avons déjà vu qu’on pouvait lui associer deux \(\infty \)-topos pré-monoïdelés \((T,HH_{pr}^{\mathcal {A}})\) et \((T,HC_{pr}^{\mathcal {A}})\). Nous allons maintenant en définir un troisième. Il s’agit de composer \(\mathcal {A}\) avec le foncteur

$$\begin{aligned} \mathcal {I}\circ \mathcal {M} : \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Mon}}}, \end{aligned}$$

pour obtenir un nouveau \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} \mathcal {I}\circ \mathcal {M} \circ \mathcal {A} : T^{op} \longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Mon}}}\end{aligned}$$

et donc un nouveau \(\infty \)-topos pré-monoïdelé que nous noterons \((T,|\mathcal {A}|)\).

Notons que \(|\mathcal {A}| : T^{op} \longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Mon}}}\) commute aux limites et donc est représentable par un objet \(\mathcal {E} \in \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\Gamma ,T)\). De même, le \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} \widetilde{\mathcal {LI}}\circ \mathcal {M}\circ \mathcal {A} : T^{op} \longrightarrow S^{1}-\infty -\underline{{\mathbf {Mon}}}\subset \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\Gamma \times BS^{1},\mathbb {T}) \end{aligned}$$

est représentable par l’objet

$$\begin{aligned} \mathcal {E}^{S^{1}} \in \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\Gamma \times BS^{1},T). \end{aligned}$$

Enfin, le morphisme de trace cyclique multiplicative \(Tr^{S^{1}}_{\otimes }\) (voir la définition 3.29) induit une transformation naturelle

$$\begin{aligned} \widetilde{\mathcal {LI}} \circ \mathcal {M} \circ \mathcal {A} \longrightarrow \widetilde{End}_{\mathcal {A}}({\mathbf {1}}). \end{aligned}$$

Cette transformation naturelle correspond à l’aide du lemme de Yoneda à un élément

$$\begin{aligned} Tr^{S^{1}}_{\otimes } \in \pi _{0}(End_{\mathcal {A}(\mathcal {E}^{S^{1}})}({\mathbf {1}})^{hS^{1}})= \pi _{0}(HC_{pr}^{\mathcal {A}}(\mathcal {E})). \end{aligned}$$

Par le lemme de Yoneda cet élément est lui-même donné par une transformation naturelle

$$\begin{aligned} Ch^{pr} : |\mathcal {A}| \longrightarrow HC_{pr}^{\mathcal {A}} \end{aligned}$$

bien définie dans \([\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(T^{op},\infty -\underline{{\mathbf {Mon}}})]\).

Définition 4.7

Soit \((T,\mathcal {A})\) un \(\infty \)-topos catannelé rigide.

  1. 1.

    Le pré-caractère de Chern du \(\infty \) -topos catannelé rigide \((T,\mathcal {A})\) est le morphisme

    $$\begin{aligned} Ch^{pr} : |\mathcal {A}| \longrightarrow HC_{pr}^{\mathcal {A}} \end{aligned}$$

    dans \([\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(T^{op},\infty -\underline{{\mathbf {Mon}}})]\).

  2. 2.

    Le caractère de Chern du \(\infty \) -topos catannelé rigide \((T,\mathcal {A})\) est le morphisme composé

  3. 3.

    La pré-trace du \(\infty \) -topos catannelé rigide \((T,\mathcal {A})\) est le morphisme composé

  4. 4.

    La trace du \(\infty \) -topos catannelé rigide \((T,\mathcal {A})\) est le morphisme composé

On vérifie sans peine que le caractère de Chern induit une transformation naturelle entre les deux foncteurs

$$\begin{aligned} \left[ \infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{rig}}\right] \longrightarrow \left[ \infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{\infty -\underline{{\mathbf {Mon}}}}\right] \end{aligned}$$

qui envoient \((T,\mathcal {A})\) sur \((T,|\mathcal {A}|)\) et sur \((T,HC^{\mathcal {A}})\) respectivement. En d’autres termes la construction de \(Ch\) est fonctorielle d’une part en \(\mathcal {A}\) et d’autre part en \(T\) (remarquons que la fonctorialité en \(T\) utilise l’exactitude à gauche des adjoints des morphismes géométriques afin de comparer les objets de la forme \(X^{S^{1}}\)). Nous laissons le soins au lecteur d’écrire les détails de ces fonctorialités.

5 Exemples et applications

Dans cette dernière section nous donnons quatres exemples de contextes d’applications du caractère de Chern construit dans la section précédente. Le premier est relativement formel et consiste à remarquer qu’un \(\infty \)-topos annelé donne lieu à deux \(\infty \)-topos catannelés, obtenus en considérant les groupes additifs et multiplicatifs sous-jacents au faisceau structural. Dans le second exemple nous revenons sur le caractère de Chern des fibrés vectoriels algébriques et plus généralement des complexes parfaits. Nous donnons la preuve détaillé de la comparaison avec le caractère de Chern usuel pour les fibrés vectoriels (Théorème 5.4). Les deux derniers exemples sont à nos yeux les plus importants car ils concernent le caractère de Chern d’une famille de dg-catégories dont l’existence avait été avancée dans [47]. Nous montrons tout d’abord comment on peut associer à toute famille algébrique de dg-catégories compactement engendrées sur une base \(X\) (disons un schéma ou plus généralement un champs algébrique) un complexe quasi-cohérent et \(S^{1}\)-équivariant sur l’objet des lacets \(LX\). Cet objet donne lieu à une sorte de \(\mathcal {D}_{X}\)-module filtré qu’il faut voir comme la variation de structures de Hodge non-commutatives induite sur l’homologie cyclique de la famille (au sens de [19]). Cette variation comprend en particulier la donnée d’une connexion de Gauss-Manin, ce qui nous permet de généraliser les constructions de [5, 12] au cas des familles de dg-catégories sur des bases très générales. Là encore, de nombreux énoncés de comparaison, par exemple entre quasi-cohérents \(S^{1}\)-équivariants sur \(LX\) et \(\mathcal {D}_{X}\)-modules, ne sont pas détaillés: nous reviendrons sur ces points, qui méritent un traitement séparé, dans un travail ultérieur. Enfin, lorsque la famille de dg-catégories en question est à fibres saturées nous expliquons comment on peut lui associer un caractère de Chern secondaire à valeurs dans une nouvelle théorie homologique que nous introduisons: l’homologie cyclique secondaire. Une étude plus approfondie de ce caractère de Chern secondaire fera l’objet d’un travail futur.

Avant de décrire ces exemples nous présentons notre \(\infty \)-topos favori, à savoir celui des champs dérivés, et qui sera utilisé pour tous nos exemples. Comme nous le signalons à plusieurs reprises on aurait tout aussi bien pu considérer les versions différentielles, ou complexes analytiques, de ce \(\infty \)-topos (voir [27, §4.4]). Le cadre algébrique est cependant plus simple et de plus rend compte de tous les phénomènes intéressants.

Fixons nous \(k\) un anneau commutatif. On considère \(sk-Comm\), la catégorie des \(k\)-algèbres commutatives simpliciales. En localisant les équivalences faibles, qui sont les morphismes induisant des équivalences faibles sur les ensembles simpliciaux sous-jacents, on trouve une \(\infty \)-catégorie \(L(sk-Comm)\). On pose alors

$$\begin{aligned} dAff_{k}:=L(sk-Comm)^{op}, \end{aligned}$$

que nous appellerons l’\(\infty \)-catégorie des k-schémas dérivés affines. Il existe sur la catégorie \([dAff_{k}]\) une topologie de Grothendieck, définie à l’aide des recouvrements étales (voir par exemple [51, §2.2]). Cette topologie définit une topologie sur l’\(\infty \)-catégorie \(dAff_{k}\) et donne ainsi lieu à un \(\infty \)-topos \(dAff_{k}^{\sim ,et}\), appelé l’\(\infty \) -topos des k-champs dérivés (il est noté \({\mathbf {dSt}}(k)\) dans [42, §4]). Notons que l’on a

$$\begin{aligned} dAff_{k}^{\sim ,et} \simeq L(k-D^{-}Aff^{\sim ,et}), \end{aligned}$$

\(k-D^{-}Aff^{\sim ,et}\) est le topos de modèles des champs pour la topologie étale sur \(k-D^{-}Aff=(sk-Comm)^{op}\).

L’\(\infty \)-catégorie \(dAff_{k}^{\sim ,et}\) possède la catégorie des \(k\)-schémas, et la \(2\)-catégorie des \(k\)-champs algébriques, comme sous-\(\infty \)-catégories pleines (voir [51, §2.2.4]). Ainsi, nous considérerons toujours les \(k\)-schémas et les k-champs algébriques comme des objets de \(dAff_{k}^{\sim ,et}\). Notons cependant que ces sous-\(\infty \)-catégories ne sont pas stables par limites, et en particulier par produit fibré. Tous les produits fibrés que nous considérerons seront construits dans \(dAff_{k}^{\sim ,et}\).

5.1 \(\infty \)-Topos annelés et \(\infty \)-Topos catannelés

Considérons \(Sp^{\Sigma }\) la catégorie de modèles des spectres symétriques de [16], munie de sa structure positive de [36]. Les monoïdes commutatifs dans cette catégorie de modèles forment une catégorie \(Comm(Sp^{\Sigma })\), dont les objets sont les anneaux en spectres symétriques commutatifs. Cette catégorie hérite d’une structure de modèles pour la quelle les fibrations et les équivalences sont définies sur les objets sous-jacents dans \(Sp^{\Sigma }\). Nous noterons \(\infty -\underline{{\mathbf {Comm}}}\) la \(\infty \)-catégorie obtenue par localisation

$$\begin{aligned} \infty -\underline{{\mathbf {Comm}}}:=L(Comm(Sp^{\Sigma })). \end{aligned}$$

Par définition un \(\infty \)-topos annelé est un \(\infty \)-topos structuré dans \(\infty -\underline{{\mathbf {Comm}}}\). La catégorie des \(\infty \)-topos annelés est donc \([\infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{\infty -\underline{{\mathbf {Comm}}}}]\). Nous allons construire deux \(\infty \)-foncteurs

$$\begin{aligned} \mathbb {G}_{a} : \infty -\underline{{\mathbf {Comm}}}\longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{rig} \qquad \mathbb {G}_{m} : \infty -\underline{{\mathbf {Comm}}}\longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{rig}, \end{aligned}$$

qui de plus commutent aux limites. Ils induiront ainsi deux foncteurs

$$\begin{aligned} \left[ \infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{\infty -\underline{{\mathbf {Comm}}}}\right] \longrightarrow \left[ \infty -\underline{{\mathbf {Top}}}_{\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{rig}}\right] \end{aligned}$$

qui envoient respectivement \((T,\mathcal {A})\) sur \((T,\mathbb {G}_{a}\circ \mathcal {A})\) et \((T,\mathbb {G}_{m}\circ \mathcal {A})\).

Pour ce qui est du \(\infty \)-foncteur \(\mathbb {G}_{a}\) (groupe additif sous-jacent), on commence par considérer le foncteur d’oubli \(Comm(Sp^{\Sigma }) \longrightarrow Sp^{\Sigma }\) qui induit un \(\infty \)-foncteur sur les localisés

$$\begin{aligned} \infty -\underline{{\mathbf {Comm}}}\longrightarrow L(Sp^{\Sigma }). \end{aligned}$$

On compose alors avec l’adjonction de Quillen

$$\begin{aligned} {\mathbf {SEns}}^{\Gamma } \longleftrightarrow Sp^{\Sigma } \end{aligned}$$

entre \(\Gamma \)-espaces et spectres symétriques (voir [28]). En composant avec \(\Pi _{\infty } : \mathbb {T}\longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}\) on trouve finalement un \(\infty \)-foncteur

Ce foncteur se factorise par la sous-\(\infty \)-catégorie \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\subset \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\Gamma ,\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}})\). De plus, \(\mathbb {G}_{a}(R)\) est une \(\infty \)-CMS dont la catégorie homotopique \([\mathbb {G}_{a}(R)]\) est un groupoïde muni d’une loi monoïdale pour la quelle tous les objets sont inversibles. La catégorie monoïdale symétrique \([\mathbb {G}_{a}(R)]\) est donc toujours rigide, et on obtient ainsi un \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} \mathbb {G}_{a} : \infty -\underline{{\mathbf {Comm}}}\longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{rig}. \end{aligned}$$

Une autre façon de voir ce \(\infty \)-foncteur est en utilisant l’équivalence entre spectres connectifs et \(\infty \)-CMS dont la loi monoïdale est inversible mentionnée au §3.1. Pour \(R \in \infty -\underline{{\mathbf {Comm}}}\), la \(\infty \)-CMS \(\mathbb {G}_{a}(R)\) est celle correspondant au revètement connectif du spectre sous-jacent à \(R\). Finalement, on voit par construction que \(\mathbb {G}_{a}\) est obtenu par composition de \(\infty \)-foncteurs qui commutent tous aux limites, il commute ainsi lui aussi avec les limites.

Construisons maintenant le \(\infty \)-foncteur \(\mathbb {G}_{m}\). Pour cela, on considère pour tout \(R \in Comm(Sp^{\Sigma })\) la catégorie \(R-Mod^{cof}\) des \(R\)-modules cofirants (toujours pour la structure positive de [36]). La catégorie \(R-Mod^{cof}\) est une catégorie monoïdale symétrique munie d’une notion compatible d’équivalence faible \(W\). On obtient ainsi un pseudo-foncteur \(Comm(Sp^{\Sigma }) \longrightarrow {\mathbf {Cat}}^{\otimes }\), qui envoie \(R\) sur \(R-Mod^{cof}\) et un morphisme \(R \longrightarrow R'\) sur le changement de base \(R'\wedge _{R}-\). On rectifie ce pseudo-foncteur en le remplaçant par le foncteur de ses sections cocartésiennes (voir §2.3 par exemple) pour obtenir un vrai foncteur

$$\begin{aligned} Comm(Sp^{\Sigma }) \longrightarrow {\mathbf {Cat}}^{\otimes }. \end{aligned}$$

Ce foncteur vient avec une notion d’équivalence faible induite, encore notée \(W\), et en localisant on obtient ainsi un foncteur

$$\begin{aligned} Comm(Sp^{\Sigma }) \longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }. \end{aligned}$$

Ce foncteur envoie lui-même équivalences dans \(Comm(Sp^{\Sigma })\) sur des équivalence dans \(\infty -{\mathbf {Cat}}\), car le changement de base par une équivalence induit une équivalence de Quillen entre catégorie de modules. On localise alors ce foncteur pour obtenir un \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} \mathcal {M}od(-) : \infty -\underline{{\mathbf {Comm}}}\longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }, \end{aligned}$$

qui, à équivalence près, envoie \(R \in \infty -\underline{{\mathbf {Comm}}}\) sur \(L^{\otimes }(R-Mod^{cof})=:\mathcal {M}od(R)\) (voir définition 3.5). On compose alors avec le \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} End_{-}({\mathbf {1}})\circ \mathcal {M} : \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Mon}}}\end{aligned}$$

puis avec

$$\begin{aligned} (-)^{inv} : \infty -\underline{{\mathbf {Mon}}}\longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Mon}}}\end{aligned}$$

qui à un \(\infty \)-monodïde commutatif \(E\) associe son sous-\(\infty \)-monoide des éléments inversibles défini par le produit fibré suivant dans \({\mathbf {SEns}}^{\Gamma }\)

Ceci permet d’obtenir le \(\infty \)-foncteur cherché

$$\begin{aligned} \mathbb {G}_{m} : \infty -\underline{{\mathbf {Comm}}}\longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Mon}}}. \end{aligned}$$

En termes imagés ce \(\infty \)-foncteur envoie \(R\) sur le sous-monoïde simplicial de \(\mathbb {R}\underline{End}_{R-Mod}(R,R)\) formé des autoéquivalences. La construction précédente explique comment ce monoïde est commutatif et comment il peut être rendu fonctoriel en \(R\) (il faut noter ici que \(R\) n’est pas cofibrant comme \(R\)-module en général, voir [36]).

Soit maintenant \((T,\mathcal {A})\) un \(\infty \)-topos annelé auquel nous associons les deux \(\infty \)-topos catannelés rigides construits précédemment

$$\begin{aligned} (T,\mathbb {G}_{a}(\mathcal {A})) \qquad (T,\mathbb {G}_{m}(\mathcal {A})). \end{aligned}$$

On peut ainsi considérer leur pré-trace que nous noterons respectivement

$$\begin{aligned} d : |\mathbb {G}_{a}(\mathcal {A})|&\longrightarrow HH_{pr}^{\mathbb {G}_{a}(\mathcal {A})}\\ dlog : |\mathbb {G}_{m}(\mathcal {A})|&\longrightarrow HH_{pr}^{\mathbb {G}_{m}(\mathcal {A})}. \end{aligned}$$

Pour un objet \(X \in T\), ces morphismes évalués en \(X\) donnent

$$\begin{aligned} d : |\mathbb {G}_{a}(\mathcal {A})|(X)&\longrightarrow HH_{pr}^{\mathbb {G}_{a}(\mathcal {A})}(X) \simeq \Omega _{*}|\mathbb {G}_{a}(\mathcal {A})|(X^{S^{1}})\\ dlog : |\mathbb {G}_{m}(\mathcal {A})|(X)&\longrightarrow HH_{pr}^{\mathbb {G}_{m}(\mathcal {A})}(X) \simeq \Omega _{*}|\mathbb {G}_{m}(\mathcal {A})|(X^{S^{1}}), \end{aligned}$$

\(\Omega _{*}\) désigne l’espace des lacets pris en élément neutre des monoïdes correspondants. Ici \(|\mathbb {G}_{a}(\mathcal {A})|(X)\) et \(|\mathbb {G}_{m}(\mathcal {A})|(X)\) ne sont autre que les monoïdes simpliciaux additifs et multiplicatifs sous-jacents à l’anneau en spectres \(\mathcal {A}(X)\). Nous allons voir maintenant, sans donner les détails cependant, que \(\Omega _{*}|\mathbb {G}_{a}(\mathcal {A})|(X^{S^{1}})\) et \(\Omega _{*}|\mathbb {G}_{m}(\mathcal {A})|(X^{S^{1}})\) sont des généralisations de l’espace des formes différentielles et formes différentielles logarithmiques, ce qui explique les notations \(d\) et \(dlog\) pour rappeler que ces morphismes sont des analogues des différentielles de de Rham et de Rham logarithmique de fonctions.

Soit \(k\) un anneau commutatif. Considérons \(sk-Comm\) la catégorie des \(k\)-algèbres commutatives simpliciales (pour bien faire les choses il faut fixer deux univers \(\mathbb {U} \in \mathbb {V}\) et ne considérer que les \(k\)-algèbres commutatives simplicials \(\mathbb {U}\)-petites. La catégorie \(sk-Comm\) est alors \(\mathbb {V}\)-petite). On dispose d’un foncteur

$$\begin{aligned} sk-Comm \longrightarrow Comm(Sp^{\Sigma }) \end{aligned}$$

qui envoie une \(k\)-algébre commutative simpliciale \(R\) sur \(HR\), le spectre d’Eleinberg-McLane correspondant (voir [16]). Ce foncteur préserve les équivalences et induit donc un \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} L(sk-Comm) \longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Comm}}}. \end{aligned}$$

Ceci définit un préchamp sur \(dAff_{k}=L(sk-Comm)^{op}\) à valeurs dans \(\infty -\underline{{\mathbf {Comm}}}\). Ce préchamp est de plus un champ pour la topologie étale sur \(dAff_{k}\) (voir [51, §2.2] par exemple) et fournit donc un \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} \mathcal {A} : (dAff_{k}^{\sim ,et})^{op} \longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Comm}}}, \end{aligned}$$

qui fait du \(\infty \)-topos \(dAff_{k}^{\sim ,et}\) un \(\infty \)-topos annelé (le champ \(\mathcal {A}\) est précisément à valeurs dans \(\infty -\underline{{\mathbf {Comm}}}_{\mathbb {V}}\), et \(dAff_{k}^{\sim ,et}\) est un \(\mathbb {V}\)-\(\infty \)-topos). Notons que le \(\infty \)-topos \(dAff_{k}^{\sim ,et}\) n’est autre que le \(\infty \)-topos des \(k\)-champs dérivés au sens de [42], et que \(\mathcal {A}\) est son faisceau structural (représenté par l’objet en anneau \(\mathbb {A}^{1}\)). Soit maintenant \(X\) un \(k\)-schéma, considéré comme un objet \(X \in dAff_{k}^{\sim ,et}\) (voir [51, §2.2.4]). L’objet \(X^{S^{1}}\) est alors équivalent au produit fibré \(X\times _{X\times X}X\). On a donc un isomorphisme naturel

$$\begin{aligned} \pi _{0}(\Omega _{*}|\mathbb {G}_{a}(\mathcal {A})|(X^{S^{1}}))\simeq \pi _{1}(|\mathbb {G}_{a}(\mathcal {A})|(X^{S^{1}}))\simeq Tor_{1}^{\mathcal {O}_{X\times X}}(\mathcal {O}_{X},\mathcal {O}_{X})\simeq \Omega ^{1}_{X}. \end{aligned}$$

Le morphisme construit ci-dessus

$$\begin{aligned} d : \pi _{0}(|\mathbb {G}_{a}(\mathcal {A})|(X))\simeq \mathcal {O}(X) \longrightarrow \pi _{0}(\Omega _{*}|\mathbb {G}_{a}(\mathcal {A})|(X^{S^{1}}))\simeq \Omega _{X}^{1} \end{aligned}$$

s’identifie alors à la différentielle de de Rham. De plus, il existe des isomorphismes naturels

$$\begin{aligned} \pi _{i}(|\mathbb {G}_{a}(\mathcal {A})|(X^{S^{1}}))\simeq \pi _{i}(|\mathbb {G}_{m}(\mathcal {A})|(X^{S^{1}})) \end{aligned}$$

pour tout \(i>0\). A travers ces isomorphismes on peut montrer que le morphisme

$$\begin{aligned} dlog : \pi _{0}(|\mathbb {G}_{m}(\mathcal {A})|(X))\simeq \mathcal {O}(X)^{*} \longrightarrow \pi _{0}(\Omega _{*}|\mathbb {G}_{m}(\mathcal {A})|(X^{S^{1}}))\simeq \Omega _{X}^{1} \end{aligned}$$

s’identifie à \(f \mapsto \frac{defn}{f}\), la différentielle de de Rham logarithmique.

Notons pour terminer que l’on pourrait aussi bien remplacer le \(\infty \)-topos \(dAff_{k}^{\sim ,et}\) par le \(\infty \)-topos des variétés \(\mathcal {C}^{\infty }\) dérivées (voir [37]), ou encore celui des espaces analytiques complexes dérivés (voir [27, §4.4]). Ces deux \(\infty \)-topos sont naturellement annelés par leur faisceaux structuraux respectifs (représentés dans les deux cas par la droite affine), et l’interprétation que l’on vient de donner des morphsmes \(d\) et \(dlog\) en termes de différentielle de de Rham reste valable.

5.2 Fibrés vectoriels et complexes parfaits

Dans cette section nous dècrivons notre caractére de Chern dans le cas où le \(\infty \)-topos \(dAff_{k}^{\sim ,et}\), dejà introduit au numéro précédent, est annelé par le champ (en \(\infty \)-CMS rigides) des complexes parfaits. En particulier on obtient une caractére de Chern defini pour tous les champs d’Artin qui genéralise celui connu pour les schémas et les champs de Deligne-Mumford. Quand à la comparaison avec le caractére de Chern classique, nous montrons (Théorème 5.4) l’équivalence dans le cas des fibrés vectoriels sur des varietés lisses sur un corps de caractéristique zero; la comparaison pour les complexes parfaits (qui peut bien se deduire du cas des fibrés vectoriels, comme esquissée au Remarque 5.7) sera preuvé dans un travail ultérieur

Considérons de nouveau le \(\infty \)-topos \(dAff_{k}^{\sim ,et}\), des \(k\)-schémas dérivés. Il peut être muni d’un champ en \(\infty \)-CMS rigides \(\underline{Parf}\), des complexes parfaits, de la façon suivante. Notons comme au paragraphe précédent \(sk-Comm\) la catégorie des \(k\)-algèbres commutatives simpliciales. Pour \(R \in sk-Comm\) on dispose d’une \(k\)-dg-algèbre commutative normalisée \(N(R)\), ainsi que la catégorie monoïdale symétrique \(N(R)-Mod\) des \(N(R)\)-dg-modules. On considère la sous-catégorie monoïdale pleine \(Parf(R)\) formés des \(N(R)\)-dg-modules qui sont d’une part cofibrants et d’autre part qui sont parfaits (c’est à dire dualisables dans \({{\mathrm {Ho}}}(N(R)-Mod)\), voir [46]). Pour un morphisme \(R \rightarrow R'\) dans \(sk-Comm\) on dispose d’un foncteur de changement de bases \(R'\otimes _{R} - : Parf(R) \longrightarrow Parf(R')\). Ceci définit un foncteur faible

$$\begin{aligned} Parf : sk-Comm \longrightarrow {\mathbf {Cat}}^{\otimes } \end{aligned}$$

de \(sk-Comm\) vers la \(2\)-catégorie des catégories monoïdales symétriques. De plus, ce foncteur est muni du sous-foncteur formé des quasi-isomorphismes de \(N(R)\)-dg-modules. Ainsi, en rectifiant ce foncteur faible, puis en localisant, on obtient un nouveau foncteur

$$\begin{aligned} sk-Comm \longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }. \end{aligned}$$

Ce foncteur envoie équivalences de \(k\)-algèbres simpliciales sur équivalences de \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\) et donne ainsi lieu à un \(\infty \)-foncteur après localisation

$$\begin{aligned} \underline{Parf} : L(sk-Comm)=dAff_{k}^{op} \longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }, \end{aligned}$$

qui est tel que \(\underline{Parf}(R)\) soit équivalent à \(L^{\otimes }(Parf(R))\) (voir définition 3.5). Le \(\infty \)-foncteur satisfait de plus à la condition de descente pour la topologie étale (voir [51, §2.2]) et donc fournit un champ

$$\begin{aligned} \underline{Parf} : dAff_{k}^{\sim ,et} \longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }. \end{aligned}$$

On obtient ainsi un \(\infty \)-topos catannelé \((dAff_{k}^{\sim ,et},\underline{Parf})\). Ce \(\infty \)-topos catannelé est de plus rigide, car d’une part, par définition tout objet de \(\underline{Parf}(R)\) est rigide, et d’autre part, tout objet \(X \in dAff_{k}^{\sim ,et}\) est une colimite d’objet représentable. La \(\infty \)-catégorie \(\underline{Parf}(X)\) peut ainsi s’écrire comme une limite (dans \(\infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }\)) de \(\infty \)-CMS rigides et est donc elle-même rigide d’après le théorème 3.10.

Cas des schémas. Soit maintenant \(X\) un \(k\)-schéma, considéré comme un objet de \(dAff_{k}^{\sim ,et}\). On a

$$\begin{aligned} X^{S^{1}}\simeq X \times _{X\times X} X, \end{aligned}$$

où ce produit fibré est pris dans les k-schémas dérivés. Ceci implique en particulier que l’on a

$$\begin{aligned} HH^{\underline{Parf}}_{pr}(X)\simeq \mathcal {O}(X^{S^{1}})\simeq \mathbb {HH}(X), \end{aligned}$$

\(\mathbb {HH}(X)\) est un modèle simplicial au complexe d’homologie de Hochschild de \(X\) (obtenu par exemple par la correspondance de Dold-Kan à partir du complexe de Hochschild de [20]). En particulier on a

$$\begin{aligned} \pi _{i}\left( HH^{\underline{Parf}}_{pr}(X)\right) \simeq HH_{-i}(X) \end{aligned}$$

pour tout \(i\ge 0\). La pré-trace de la définition 4.7 est donc un morphisme

$$\begin{aligned} Tr_{X} : [\underline{Parf}(X)]/iso \longrightarrow HH_{0}(X). \end{aligned}$$

Lorsque \(X\) est lisse sur \(k\) de caractéristique nulle on a \(HH_{0}(X)\simeq \oplus _{p}H^{p}(X,\Omega _{X}^{p})\) et on peut montrer que, pour un fibré vectoriel \(V\) sur \(X\), \(Tr_{X}(V)\) n’est autre que le caractère de Chern usuel ([35, Exp. V]) de \(V\) à valeurs en cohomologie de Hodge. Nous montrerons ci-dessous un résultat plus fine.

Revenons donc au cas général d’un \(k\)-schéma \(X\). Le groupe simplicial \(S^{1}\) opère naturellement sur la \(k\)-algèbre simpliciale \(\mathcal {O}(X^{S^{1}})\simeq \mathbb {HH}(X)\), et on peut montrer que cette action est donnée par l’opérateur de Connes sur le complexe d’homologie de Hochschild. En particulier, on trouve un isomorphisme naturel

$$\begin{aligned} \pi _{0}\left( HC_{pr}^{\underline{Parf}}(X)\right) \simeq HC_{0}^{-}(X), \end{aligned}$$

\(HC_{0}^{-}(X)\) est l’homologie cyclique négative du schéma \(X\) définie par exemple dans [20] (voir [49, Cor. 4.2 (4)] pour cette comparaison dans le cas lisse et de caractéristique nulle). On peut montrer alors que le caractère de Chern

$$\begin{aligned} Ch_{X} : [\underline{Parf}(X)]/iso \longrightarrow HC^{-}_{0}(X) \end{aligned}$$

de la définition 4.7 s’identifie au caractère de Chern à valeurs dans la cohomologie cyclique négative (voir par exemple [20]). Dans la prochaine sous-section nous prouvons ici ce résultat dans le cas des fibrés vectoriels sur des variétés quasi-projectives et lisses sur un corps de caractéristique \(0\) et reviendrons sur la comparaison génerale dans un travail ultérieur.

5.2.1 Comparaison avec le caractère de Chern pour les fibrés vectoriels sur des variétés quasi-projectives et lisses sur un corps de caractéristique \(0\)

Dans cette sous-section nous montrons comment le caractère de Chern introduit dans §5.2 induit une transformation naturelle \(Ch : K_0 \rightarrow H^{ev}_{{\mathrm {dR}}}\) de foncteurs de la catégorie des variétés quasi projectives et lisses sur un corps \(k\) de caractéristique nulle, et à valeurs dans la catégorie des anneaux commutatifs. Nous montrerons alors que cette transformation naturelle est égal au caractère de Chern usuel (Théorème 5.4).

Espace des lacets d’un groupe algébrique. Rappelons que pour tout champ \(X\) sur \(k\), \(\mathcal {L}X:=X^{S^{1}} \in {\mathbf {dSt}}_{k}\) est l’espace des lacets derivées de \(X\). Soit \(G\) un champ algébrique en groupes commutatifs sur le corps \(k\) et \({\mathrm {e}}:{\mathrm {Spec}}\, k \longrightarrow G\) sa section unité. L’espace \(\Omega _{{\mathrm {e}}}G\) des lacets pointés en \({\mathrm {e}}\) est defini par le carré homotopiquement cartésien dans \({\mathbf {dSt}}_{k}\)

La composition

\(\sigma \) etant induite par la multiplication à gauche de \(G\) sur lui-meme, induit un morphisme

$$\begin{aligned} \gamma _{{\mathrm {e}}}: \mathcal {L}G\longrightarrow \Omega _{{\mathrm {e}}}G \end{aligned}$$

Nous aurons besoin du résultat suivant

Proposition 5.1

Soit \(G\) un champ algébrique en groupes commutatifs sur le corps \(k\). Le morphisme

$$\begin{aligned} (\gamma _{{\mathrm {e}}}, {\mathrm {ev}}_{0}): \mathcal {L}G \longrightarrow \Omega _{{\mathrm {e}}}G \times G \end{aligned}$$

est un isomorphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {dSt}}_{k}/G)\).

Preuve

L’inverse est donné par la composition

\(\square \)

Corollaire 5.2

Si \(\mathbb {G}_{m}\) est le schéma en groupes multiplicatifs sur \(k\), on a des isomorphismes canoniques dans \({{\mathrm {Ho}}}(\mathbf dSt _{k})\)

$$\begin{aligned}&\mathcal {L}(\mathbb {G}_{m})\simeq \mathbb {G}_{m}\times \Omega _{1}\mathbb {G}_{m},\\&\mathcal {L}(B\mathbb {G}_{m})\simeq B\mathbb {G}_{m}\times \mathbb {G}_{m}. \end{aligned}$$

Preuve

Il suffit de remarquer que l’espace des lacets de \(B\mathbb {G}_{m}\) pointés en \(1:={\mathrm {e}}\) est canoniquement isomorphe à \(\mathbb {G}_{m}\). \(\square \)

Comme \(\mathcal {L}(B\mathbb {G}_{m})\) est isomorphe à un espace non derivé, l’action de \(S^1\) sur \(\mathcal {O}(\mathcal {L}(B\mathbb {G}_{m}))\) est triviale, \(\mathcal {O}(\mathcal {L}(B\mathbb {G}_{m}))^{{\mathrm {h}}S^1}\simeq \mathcal {O}(\mathcal {L}(B\mathbb {G}_{m}))\simeq \mathcal {O}(\mathbb {G}_{m})\).

Le caractère \(Ch:K_0 \rightarrow H^{ev}_{{\mathrm {dR}}}\). Soit \({\mathbf {QProjLis}}_{k}\) la catégorie des variétés quasi-projectives et lisses sur un corps \(k\) de caractéristique zero, \({\mathbf {ChQuotLis}}_{k}\) la sous-catégorie pleine des 1-champs d’Artin sur \(k\) qui sont des quotients des variétés quasi-projectives lisses par l’action d’un groupe \(GL_n\), pour \(n\) quelconque, et \({\mathbf {Comm}}\) la catégorie des anneaux commutatifs. On utilisera la correspondence de Dold-Kan ([52, §8.4]) implicitement, pour identifier les complexes cohomologiques en degrés non-positifs avec les modules simpliciaux.

En utilisant [49, Thm. 4.1], on peut definir le champ non derivé d’homologie cyclique periodique

$$\begin{aligned} {\mathrm {HP}}:{\mathrm {alg}}_{k} \longrightarrow {\mathrm {SEns}}:\,\, R \longmapsto \mathcal {O}(\mathcal {L}(R))^{hS^1}[u^{-1}] \end{aligned}$$

\(\mathcal {L}(R)= L(\mathbb {R}{\mathrm {Spec}}(R))\) dans les notations de [49]. Par construction, le caractère de Chern du paragraphe §5.2 donne un morphisme des champs non derivés

$$\begin{aligned} \underline{Ch}:{\mathrm {Vect}} \longrightarrow {\mathrm {HP}} \end{aligned}$$

qu’on peut étendre de manière canonique à la catégorie \({\mathbf {QProjLis}}_{k}\). Pour chaque \(F\in {\mathbf {ChQuotLis}}_{k}\), on obtient donc un application d’ensembles

$$\begin{aligned}{}[F, {\mathrm {Vect}}] \longrightarrow [F, {\mathrm {HP}}] \end{aligned}$$

\([\,,\,]\) designe l’ensemble des morphismes dans la catégorie homotopique des champs sur \(k\), pour la topologie étale ([51, 2.1.1]). Mais

$$\begin{aligned}{}[F, {\mathrm {Vect}}]\simeq {\mathrm {Vect}}(F)/{\mathrm {iso}} \end{aligned}$$

et \([F, {\mathrm {HP}}]\) est identifié par le lemme suivant

Lemme 5.3

On a un isomorphisme canonique \([F, {\mathrm {HP}}]\simeq H_\mathrm{dR }^{{\mathrm {ev}}}(F)\)

Preuve

Soit \(U_{\bullet }\rightarrow F\) un atlas simplicial de \(F\) formé d’objets dans \({\mathbf {QProjLis}}_{k}\). D’après [49, Cor. 4.2] on a

$$\begin{aligned} \mathbb {R}\underline{Hom}(F,{\mathrm {HP}}) \simeq {\mathrm {holim}}_{\Delta }\mathbb {R}\underline{Hom}(U_{\bullet },{\mathrm {HP}})\simeq {\mathrm {holim}}_{\Delta }C_\mathrm{dR }(U_{\bullet })[u,u^{-1}]=:C_\mathrm{dR }(F)[u,u^{-1}], \end{aligned}$$

\(C_\mathrm{dR }(F)[u,u^{-1}]\) est ici le complexe de de Rham \(\mathbb {Z}/2\)-périodique de \(F\). En prenant le \(\pi _{0}\) on obtient la bijection \([F, {\mathrm {HP}}]\simeq H_\mathrm{dR }^{{\mathrm {ev}}}(F)\) \(\square \)

On a donc une application \(Ch^\mathrm{iso }:{\mathrm {Vect}}(F)/{\mathrm {iso}} \longrightarrow H_\mathrm{dR }^{{\mathrm {ev}}}(F)\) fonctoriel par rapport à \(F\in {\mathbf {ChQuotLis}}_{k}\). D’aprés l’additivité (voir Cor. 3.28) et la multiplicativité (§3.5) de la trace cylique on a une factorisation, fonctorielle en \(F\)

\(K_{0}^{\oplus }(F)\) est le groupe de Grothendieck des fibrés vectoriels sur \(F\) (pour la somme directe, et non pour les suites exactes non-scindées !) et \(Ch^{\oplus }\) est une transformation naturelle de foncteurs de \({\mathbf {ChQuotLis}}_{k}\) dans la catégorie \({\mathbf {Comm}}\) des anneaux commutatifs. Pour tout \(F\in {\mathbf {ChQuotLis}}_{k}\), et tout suite exacte \((E)\) de fibrés vectoriels sur \(F\), il existe un champ \(F'\) et une équivalence \(\mathbb {A}^{1}\)-locale ([29, Def. 2.1, p. 106]) \(F'\rightarrow F\) telle que la suite \((E)\) se scinde sur \(F'\) (on peut prendre pour \(F'\) un torseur sous un fibré vectoriel sur \(F\)). Comme \(F \mapsto H^{ev}_{DR}(F)\) est \(\mathbb {A}^{1}\)-invariant, on en déduit une factorization

où cette fois \(K_{0}(F)\) est le véritable groupe de Grothendieck des fibrés vectoriels sur \(F\).

Nous venons de voir que le caractère de Chern de §5.2 induit une transformation naturelle

$$\begin{aligned} Ch: K_{0} \rightarrow H^{ev}_{{\mathrm {dR}}} \end{aligned}$$

entre foncteurs de \({\mathbf {ChQuotLis}}^\mathrm{op }_{k}\) vers la catégorie \({\mathbf {Comm}}\) des anneaux commutatifs. Nous allons maintenant comparer cette transformation naturelle avec le caractère de Chern usuel (voir par exemple [13])

$$\begin{aligned} Ch^{{\mathrm {cl}}}: K_{0} \rightarrow H^{ev}_{{\mathrm {dR}}}, \end{aligned}$$

et montrer que \(Ch=Ch^{cl}\) en tant que transformations naturelles.

La comparaison \(Ch=Ch^{{\mathrm {cl}}}\). Le résultat principal de cette sous-section est la comparaison suivante.

Théorème 5.4

Soit \({\mathbf {Comm}}\) la catégorie des anneaux commutatifs. Notre transformation naturelle \(Ch\) et le caractére de Chern usuel \(Ch^{{\mathrm {cl}}}\) sont des transformations naturelles égales (entre fonceturs \({\mathbf {QProjLis}}^{{\mathrm {op}}}_{k}\rightarrow {\mathbf {Comm}}\)).

Preuve

La preuve consiste en quatre étapes.

Prémière étape. Le prémier pas est de caracteriser les transformations naturelles \(K_{0}\rightarrow H^{ev}_{dR}\) comme foncteurs definies sur la catégorie \({\mathbf {ChQuotLis}}_{k}\). C’est le contenu du lemme suivant. \(\square \)

Lemme 5.5

Si \({\mathrm {Nat}}(K_0,H_{{\mathrm {dR}}})\) est l’ensemble des transformations naturelles entre foncteurs

$$\begin{aligned} K_0,\, H_{{\mathrm {dR}}}: {\mathbf {ChQuotLis}}_{k}^{{\mathrm {op}}}\rightarrow {\mathbf {Comm}}, \end{aligned}$$

on à une injection canonique

$$\begin{aligned} {\mathrm {Nat}}(K_0, H_{{\mathrm {dR}}})\hookrightarrow Hom_{{\mathbf {GrpForm}}_{k}}(\hat{\mathbb {G}}_{a,\,k}, \hat{\mathbb {G}}_{m,\,k}) \simeq k, \end{aligned}$$

\(Hom_{{\mathbf {GrpForm}}_{k}}(\hat{\mathbb {G}}_{a,\,k}, \hat{\mathbb {G}}_{m,\,k})\) est l’ensemble des morphismes de groupes formels entre le groupe additif et le groupe multiplicatif.

Preuve du lemme

Par le splitting principle pour \(K_0\) (qui est valable pour les objets de \({\mathbf {ChQuotjLis}}_{k}\)), l’evaluation en \(B\mathbb {G}_{m}\in {\mathbf {ChQuotLis}}_{k}\)

$$\begin{aligned} {\mathrm {Nat}}(K_0, H_{{\mathrm {dR}}})\rightarrow Hom_{{\mathbf {Comm}}}(K_0(B\mathbb {G}_{m}), H_{{\mathrm {dR}}}(B\mathbb {G}_{m})) \end{aligned}$$

est injective. Mais, comme \(B\mathbb {G}_{m}\) est un champ en groupes abeliens, chaque transformation naturelle \(K_0 \rightarrow H_{dR}\) donne en fait un morphisme

$$\begin{aligned} K_0 (B\mathbb {G}_{m})\otimes k \simeq k[t,t^{-1}]\rightarrow k[[v]]\simeq H_{{\mathrm {dR}}}(B\mathbb {G}_m) \end{aligned}$$

d’algèbres de Hopf sur \(k\) (éventuellement complètes). La propriété universelle de la complétion montre que ce morphisme est équivalent à la donné d’un morphisme de groupes formels sur \(k\), \(\hat{\mathbb {G}}_{a,\,k}\rightarrow \hat{\mathbb {G}}_{m,\,k}\). Donc, l’évaluation en \(B\mathbb {G}_{m}\) donne en fait une injection

$$\begin{aligned} {\mathrm {Nat}}(K_0, H_{dR})\rightarrow Hom_{{\mathbf {GrpForm}}_{k}}(\hat{\mathbb {G}}_{a,\,k}, \hat{\mathbb {G}}_{m,\,k}). \end{aligned}$$

On conclut en remarquant le fait bien connu que

$$\begin{aligned} k\simeq Hom_{{\mathbf {GrpForm}}_{k}}(\hat{\mathbb {G}}_{a,\,k}, \hat{\mathbb {G}}_{m,\,k}) \end{aligned}$$

par l’application \(\lambda \longmapsto \exp (\lambda \cdot - ).\) \(\square \)

Deuxième étape. Par le lemme précédent

$$\begin{aligned} {\mathrm {Nat}}(K_0, H_{dR})&\hookrightarrow&Hom_{{\mathbf {Comm}}}(K_0(B\mathbb {G}_{m}), H_{dR}(B\mathbb {G}_{m}))\\ \quad&\hookrightarrow&Hom_{{\mathbf {GrpForm}}_{k}}(\hat{\mathbb {G}}_{a,\,k}, \hat{\mathbb {G}}_{m,\,k}) \simeq k, \end{aligned}$$

donc, comme \(K_{0}(B\mathbb {G}_{m})\simeq k[t,t^{-1}]\) (\(t\) etant la classe du fibré en droites universel sur \(B\mathbb {G}_{m}\)), il suffit de montrer que

$$\begin{aligned} Ch(B\mathbb {G}_{m})(t)=Ch^{{\mathrm {cl}}}(B\mathbb {G}_{m})(t)\equiv 1 + v +\mathrm O (v^2 ) \end{aligned}$$

dans \(H^{ev}_{{\mathrm {dR}}}(B\mathbb {G}_{m})\simeq k[[v]]\). Par definition de \(Ch\), on a un diagramme commutatif

Le corollaire Cor. 5.2 implique que

$$\begin{aligned} \mathcal {L}B\mathbb {G}_{m} \simeq \mathbb {G}_{m}\times B\mathbb {G}_{m} \end{aligned}$$

et donc

$$\begin{aligned} \mathcal {O}(\mathcal {L}B\mathbb {G}_{m})^{hS^1}\simeq \pi _{0}(\mathcal {O}(\mathcal {L}B\mathbb {G}_{m})^{hS^1})\simeq \mathcal {O}(\mathbb {G}_{m})\simeq k[t, t^{-1}]. \end{aligned}$$

De plus, le fibré en droites universel sur \(B\mathbb {G}_{m}\) envoyé par le morphisme \(a\) sur \(t\). On se ramène ainsi à calculer \(\psi (t)\in H_{{\mathrm {dR}}}(B\mathbb {G}_{m})\).

Troisième étape. Pour calculer \(\psi (t)\) on utilise la résolution simpliciale standard

On obtient le diagramme suivant

  • est la restriction du diagramme cosimpliciale a la sous-catégorie pleine \(\Delta _{\le 1}\) de \(\Delta \) des objets \([0]\) et \([1]\);

  • \(\tau _{n\le 1}(\mathcal {O}(\mathcal {L}(\mathbb {G}_{m}^{n})))\) est le diagramme (d’algèbres simpliciales) sur \(\Delta _{\le 1}\), ;

  • est la restriction du diagramme cosimpliciale (de complexes de \(k\)-modules) a la sous-catégorie pleine \(\Delta _{\le 1}\) de \(\Delta \) des objets \([0]\) et \([1]\);

  • \(\tau ^{d/}_{n\le 1} ({\mathrm {C}}_\mathrm{dR }^{\mathbb {Z}/2}(\mathbb {G}_{m}^{n}))\) est le diagramme (de \(k\)-modules) sur \(\Delta _{\le 1}\), . Notons que en fait \({\mathrm {Holim}} \, \tau ^{d/}_{n\le 1} ({\mathrm {C}}_\mathrm{dR }^{\mathbb {Z}/2}(\mathbb {G}_{m}^{n}))= {\mathrm {lim}} \, \tau ^{d/}_{n\le 1} ({\mathrm {C}}_\mathrm{dR }^{\mathbb {Z}/2}(\mathbb {G}_{m}^{n}))\);

  • si \(X\) est un schéma lisse sur \(k\), \({\mathrm {C}}_\mathrm{dR }^{\mathbb {Z}/2}(X)\) est le complexe \(2\)-periodique de de Rham algébrique de \(X\), ;

  • les morphismes \(\rho \) (deuxième ligne) résultent de [49, Th. 1.1];

  • les morphismes \(p\) (troisième ligne) désignent le passage au \(\pi _{0}\) (et \(p_{\emptyset }\) est un isomorphisme);

  • le morphisme composé \(p\circ \rho \circ h\) est \(\psi \) (definie à la 2me étape).

Le lemme suivant identifie le morphisme composé \(q'\circ q\).

Lemme 5.6

Le morphisme \(q'\circ q : k[[v]]\simeq H_{{\mathrm {dR}}}^{ev}(B\mathbb {G}_{m}) \longrightarrow k[t,t^{-1}]\oplus \Omega _{{\mathrm {dR}}}^{1}(\mathbb {G}_{m})\) envoie \(1\) sur \((1,0)\) et \(v\) sur \((0,dt/t)\).

Preuve du lemme

On a \({\mathrm {C}}_\mathrm{dR }^{\mathbb {Z}/2}(\mathbb {G}_{m})\simeq \mathcal {O}(\mathbb {G}_{m})\oplus \mathfrak {g}^{\vee }\)\(\mathfrak {g}\simeq k\cdot (dt/t)\) est l’algèbre de Lie de \(\mathbb {G}_{m}\). Le résultat suit alors par dualité de Koszul. \(\square \)

Grâce aux diagrammes et lemmes précédents, il suffit donc de montrer que, dans le diagramme

(où \(h_{\le 1}^{S/^{1}}:= ({\mathrm {oub-}}S^1) \circ \tau _{\le 1}\circ h\)), l’image de \(t\in k[t,t^{-1}]\) est \((1,dt/t)\).

Quatrième étape. La résolution standard \(s\)

(qui induit \(h\) et donc \(h_{\le 1}^{S/^{1}}\)) donne une auto-homotopie canonique de la composition

Cette homotopie, par adjonction et Lemme 5.2, est donné par le morphisme

dont la projection sur \(B\mathbb {G}_{m}\) est \(s_1\) et la projection sur \(\mathbb {G}_{m}\) est l’identité. Cette \(H\) donne fonctorielment une auto-homotopie \(H^{\mathcal {L}}\) de \(L\) de la facon suivante.

Pour donner la construction, on se place dans une cadre un peu plus général. Soit \(T\) un objet de \({\mathbf {dSt}}_{k}\) et notons aussi par \(T\) le foncteur

$$\begin{aligned} {{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {dSt}}_{k}) \longrightarrow {{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {dSt}}_{k}) \, :\, X\longmapsto \mathbb {R}{\mathrm {HOM}}(T,X). \end{aligned}$$

Si on a une morphisme \(f:X\rightarrow Y\) dans \({{\mathrm {Ho}}}({\mathbf {dSt}}_{k})\) et une auto-homotopie \(H:X\rightarrow Y^{S^1}\) de \(f\), on obtient aussi une auto-homotopie \(H^{T}: T(X)\rightarrow (T(Y))^{S^1}\) de \(T(f)\) en considerant la composition

où on a utilisé l’isomorphisme de twist \(T\times S^1 \simeq S^1 \times T\).

L’application de cette construction au cas \(X=\mathbb {G}_{m}\), \(Y=B\mathbb {G}_{m}\) et \(T=S^1\), nous donne l’auto-homotopie (de \(\mathcal {L}(s_1)\)) suivante

$$\begin{aligned} H^{\mathcal {L}}: S^1 \times \mathcal {L}(\mathbb {G}_{m}) \longrightarrow \mathcal {L}(B\mathbb {G}_{m})\simeq \mathbb {G}_{m}\times B\mathbb {G}_{m} \end{aligned}$$

qui

  • sur la composante \(\mathbb {G}_{m}\) de \(\mathcal {L}(B\mathbb {G}_{m})\) est donné par

    \(\varphi \) est la composition

    \(\sigma \) etant induite par la multiplication à gauche de \(\mathbb {G}_{m}\) sur lui-meme;

  • sur la composante \(B\mathbb {G}_{m}\) de \(\mathcal {L}(B\mathbb {G}_{m})\) par la composition

    \(H^{\flat }\) est adjointe à \(H\) et \(1\) la section unité de \(\mathbb {G}_{m}\).

L’auto-homotopie \(H^{\mathcal {L}}\) donne lieu, en passant aux fonctions \(\mathcal {O}\), a deux morphismes

$$\begin{aligned} a_{0}:= \pi _{0}(H^{\mathcal {L}}(0,-)^{*}): k[t, t^{-1}]\simeq \pi _{0}(\mathcal {O}(\mathcal {L}(B\mathbb {G}_{m}))) \longrightarrow \pi _{0}(\mathcal {O}(\mathcal {L}(\mathbb {G}_{m})))\simeq \mathcal {O}(\mathbb {G}_{m}) \end{aligned}$$

qui envoie \(t\) sur \(1\), et

$$\begin{aligned} a_{1}: k[t, t^{-1}]\simeq \pi _{0}(\mathcal {O}(\mathcal {L}(B\mathbb {G}_{m}))) \longrightarrow \pi _{1}(\mathcal {O}(\mathcal {L}(\mathbb {G}_{m})))\simeq \Omega _\mathrm{dR }^{1}(\mathbb {G}_{m}) \end{aligned}$$

qui envoie \(t\) sur \(dt/t\) (par definition de \(\varphi \), qui donne le facteur \(1/t\), et par [49, Th. 4.1], qui montre comme l’homotopie universelle \({\mathrm {ev}}: S^1 \times \mathcal {L}X \longrightarrow X\) induit sur les \(\mathcal {O}\) le différentiel de de Rham, pour \(X\) lisse sur \(k\)). Puisque la composition \(p_{\emptyset } \circ \rho _{\emptyset } \circ h_{\le 1}^{S/^{1}}\) est egale à la somme \(a_0 + a_1\), on conclut que telle composition envoie \(t\) sur \((1,dt/t)\). \(\square \)

Remarque 5.7

On peut montrer que le résultàt du Théorème 5.4 est aussi valable pour les complexes parfaits, et en est en fait un corollaire. Nous esquissons ici les grandes lignes de la démonstration. D’abord, notons que le foncteur algèbre de de Rham

$$\begin{aligned} {\mathrm {HP}}: {\mathbf {QProjLis}}_{k}\rightarrow {\mathbf {Ch}}(k) \end{aligned}$$

envoie les \(\mathbb {A}^1\)-equivalences (au sens de [29]) sur des quasi-isomorphismes. Mais, en \(\mathbb {A}^1\)-homotopie des schémas on dispose de \(\mathbb {A}^1\)-equivalences

Ainsi, pour le complexe parfait universel \(\mathcal {E}\) sur \({\mathrm {Parf}}\) on aura \(Ch (\mathcal {E})=Ch^{cl} (\mathcal {E})\) dans \(H_{dR}^{ev}({\mathrm {Parf}}):=\pi _{0}(\mathcal {O}(L{\mathrm {Parf}})^{hS^1})\) si et seulement si \(Ch (\mathcal {E})=Ch^{cl} (\mathcal {E})\) dans \(H_{dR}^{ev}(B\mathbb {G}L_{n})\) pour tout \(n\ge 0\). Donc il suffit de montrer que \(Ch_{B\mathbb {G}L_{n}}=Ch^{cl}_{B\mathbb {G}L_{n}}\) pour tout \(n\ge 0\). Mais ce decoule du Théorème 5.4 grâce à l’observation suivante du à B. Totaro: si \(F=[Y/\mathbb {G}L_{n}]\) est un 1-champ quotient d’une variété projective lisse \(Y\), alors pour chaque \(n_{0}\) il existe une variété projective lisse \(X_{n_0}\) et un morphisme \(p_{n_0}:X_{n_0}\rightarrow F\) tel que l’image inverse induit des isomorphismes \(H^{m}_{dR}(F)\simeq H_{dR}^{m}(X_{n_0})\) pour tout \(m\le n_{0}\).

5.2.2 Cas des champs algébriques

Supposons maintenant que \(X\) soit un \((1-)\)champ algébrique, disons au sens d’Artin. Le pré-caractère de Chern fournit ainsi un morphisme

$$\begin{aligned} Ch^{pr} : [\underline{Parf}(R)]/iso \longrightarrow HC^{pr}_{0}(X). \end{aligned}$$

Contrairement au cas des schémas il n’est plus vrai que \(HC^{pr}(X)\simeq HC(X)\), et le pré-caractère de Chern devient alors un rafinement non trivial du caractère de Chern. Par exemple, lorsque \(X\) est un champ de Deligne-Mumford lisse sur \(k\) de caractéristique nulle, alors \(HC_{0}^{pr}(X)\) est isomorphe à la cohmologie de de Rham (paire) de \(IX\), le champ d’inertie de \(X\), alors que \(HC_{0}(X)\) n’est que la cohomologie de de Rham de \(X\). Le pré-caractère de Chern \(Ch^{pr}\) devient alors le caractère de Chern à coefficients dans les représentations de [39]. Dans le cas général d’un champ d’Artin \(X\) sur un anneau de base quelconque \(k\), \(HC_{*}^{pr}(X)\) forme une théorie cohomologique digne d’intérêt. Le caractère de Chern

$$\begin{aligned} Ch^{pr} : [\underline{Parf}(X)]/iso \longrightarrow HC_{0}^{pr}(X) \end{aligned}$$

est alors une généralisation du caractère de Chern construit dans [39] au cadre beaucoup plus général des champs d’Artin. Notons que lorsque \(X=BG\) est le champ classifiant d’un schéma en groupe lisse sur \(k\) alors ce caractère de Chern

$$\begin{aligned} Ch^{pr} : [\underline{Parf}(BG)]/iso \longrightarrow HC_{0}^{pr}(BG)\simeq \mathcal {O}(G)^{G}, \end{aligned}$$

n’est autre que le morphisme de trace, qui à un complexe parfait \(E\) muni d’une action de \(G\) associe la fonction \(Tr_{E}\), qui envoie \(g\in G\) sur la trace de l’endomorphisme \(g\) de \(E\). Dans le cas plus général d’un champ quotient \([X/G]\), \(Ch^{pr}\) est une combinaison relativement subtile du caractère de Chern pour le schéma des points fixes \(X^{fix}=\{(g,x)/g.x=x\} \subset G\times X\) et du morphisme de trace pour \(G\). Nous esprérons revenir sur une description plus précise de la théorie cohomologique \(X \mapsto HC_{0}^{pr}(X)\) pour les champs d’Artin, ainsi que du caractère de Chern qui lui est associé, dans un travail ultérieur.

Remarque 5.8

Tout comme dans notre exemple précédent nous aurions pu remplacer le \(\infty \)-topos \(dAff^{\sim ,et}\) par le \(\infty \)-topos des variétés différentielles ou analytiques dérivées, munis de leurs champs des complexes parfaits. La comparaison entre notre caractère de Chern et le caractère de Chern usuel des fibrés \(\mathcal {C}^{\infty }\) ou holomorphes à valeurs dans la cohomologie de de Rham (\(\mathcal {C}^{\infty }\) ou holomorphe) resterait alors valable. Nous reviendrons aussi sur ce point dans un travail ultérieur.

5.3 Familles de dg-catégories compactement engendrées

Comme dans le paragraphe précédent nous considérons \(dAff_{k}^{\sim ,et}\), le \(\infty \)-topos des \(k\)-schémas dérivés. Pour \(R \in sk-Comm\) une \(k\)-algèbre commutative simpliciale nous considérons \(N(R)\) la dg-algèbre normalisée associée. On note alors \(dg-cat_{R}\) la catégorie des catégories enrichies dans \(N(R)-Mod\), munie de sa structure de modèles de [38]. Pour préciser les univers rappelons que \(sk-Comm\) désigne la catégorie des \(k\)-algèbres simpliciales \(\mathbb {U}\)-petites, et de même \(N(R)-Mod\) désigne les \(N(R)\)-dg-modules \(\mathbb {U}\)-petits. Soit \(\mathbb {V}\) un univers avec \(\mathbb {U} \in \mathbb {V}\). Alors, par définition, \(dg-cat_{R}\) consistera précisément en les \(N(R)-Mod\)-catégories qui sont \(\mathbb {V}\)-petites. Pour tout \(R\) soit \(dg-cat_{R}^{c}\) la sous-catégorie de \(dg-cat_{R}\) des dg-catégories dont le dg-modules de morphismes sont cofibrants. Le produit tensoriel au-dessus de \(N(R)\) fait de \(dg-cat_{R}^{c}\) une catégorie symétrique monoïdale, munie d’une notion d’équivalences qui est compatible. Ainsi, en rectifiant le pseudo-foncteur

$$\begin{aligned} R \mapsto dg-cat_{R}^{c} \qquad (R\rightarrow R') \mapsto N(R')\otimes _{N(R)}- , \end{aligned}$$

puis en utilisant la version monoïdale de la localisation \(L^{\otimes }\) (voir définition 3.5), on trouve un foncteur

$$\begin{aligned} D : sk-Comm \longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }. \end{aligned}$$

Pour bien faire les choses ici il nous faut fixer \(\mathbb {W}\) un troisième univers avec \(\mathbb {V} \in \mathbb {W}\). On dispose alors précisément d’un foncteur

$$\begin{aligned} D : dAff_{k}^{op} \longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }_{\mathbb {W}}. \end{aligned}$$

Ce foncteur est tel que \(D(R)\) est équivalente à \(L^{\otimes }(dg-cat_{R}^{c})\), la \(\infty \)-CMS des \(R\)-dg-catégories qui sont \(\mathbb {V}\)-petites. Ce foncteur \(D\) peut aussi étre considéré comme un foncteur

$$\begin{aligned} D : sk-Comm \times \Gamma \longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}. \end{aligned}$$

Nous utilisons maintenant la proposition 2.4 pour obtenir une \(\infty \)-catégorie cofibrée

$$\begin{aligned} \int \limits _{sk-Comm \times \Gamma } D \longrightarrow sk-Comm \times \Gamma . \end{aligned}$$

Nous allons maintenant définir une sous-\(\infty \)-catégorie cofibrée de \(\int \nolimits _{sk-Comm\times \Gamma }D\). Pour cela, notons que \([\int \nolimits _{sk-Comm\times \Gamma }D]\) se décrit de la façon suivante. Ses objets sont des triplets \((R,[n],A)\), avec \(R\in sk-Comm\), \([n] \in \Gamma \), et \(A=(A_{1}, \dots , A_{n})\) une famille de dg-catégories sur \(N(R)\) qui sont \(\mathbb {V}\)-petites. Un morphisme \((R,[n],A) \longrightarrow (S,[m],B)\) est la donnée d’un morphisme \(R \rightarrow S\), d’un morphisme \(u : [n] \rightarrow [m]\), et pour tout \(j \in \{1, \dots , n\}\) d’un morphisme dans \({{\mathrm {Ho}}}(dg-cat_{S})\)

$$\begin{aligned} S\otimes _{R}^{\mathbb {L}}\left( \otimes ^{\mathbb {L}}_{i\in u^{-1}(j)}A_{i}\right) \longrightarrow B_{j}. \end{aligned}$$

Rappelons alors qu’une dg-catégorie \(A\) sur \(N(R)\) est \(\mathbb {U}\)-compactement engendrée si elle est isomorphe dans \({{\mathrm {Ho}}}(dg-cat_{R})\) à une dg-catégorie de la forme

$$\begin{aligned} \widehat{A_{0}}=\mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(A_{0}^{op},\widehat{{\mathbf {1}}}), \end{aligned}$$

avec \(A_{0}\) une dg-catégorie \(\mathbb {U}\)-petite (ou encore à la dg-catégorie des \(\mathbb {U}\)-dg-modules cofibrants sur une dg-catégorie \(\mathbb {U}\)-petite, voir [40]). Nous définissions une sous-catégorie \(C\), non pleine, de \([\int \nolimits _{sk-Comm\times \Gamma }D]\) de la façon suivante.

  1. 1.

    Les objets de \(C\) sont les \((R,[n],A)\) tels que chaque \(A_{i}\) soit \(\mathbb {U}\)-compactement engendrée.

  2. 2.

    Les morphismes \((R,[n],A) \rightarrow (S,[m],B)\) dans \(C\) sont ceux pour les quels pour tout \(1\le j\le m\) le morphisme de \(N(R)\)-dg-catégories

    $$\begin{aligned} \otimes ^{\mathbb {L}}_{i\in u^{-1}(j)}A_{i} \longrightarrow B_{j} \end{aligned}$$

    soit multi-continu, c’est à dire commute aux sommes dans chacune des variables \(A_{i}\) indépendamment.

On définit alors la sous-\(\infty \)-catégorie \(\mathcal {C} \subset \int \nolimits _{sk-Comm\times \Gamma }D\) par le carré (homotopiquement) cartésien suivant

Le point crucial ici est que la sous-\(\infty \)-catégorie \(\mathcal {C}\) est encore cofibrée au sens de la définition 2.3. En effet, en déroulant les définitions cela se déduit des résultats de [40] de la façon suivante. Soit \((R,[n],A)\) un objet de \(C\) et \(R \rightarrow S\), \(u : [n] \rightarrow [m]\) un morphisme dans \(sk-Comm \times \Gamma \). Choisissons des dg-catégories \(\mathbb {U}\)-petites \(A_{i,0}\) avec \(A_{i}\simeq \widehat{A_{i,0}}\). On considère, pour tout \(1\le j\le m\) le morphisme naturel

$$\begin{aligned} \otimes ^{\mathbb {L}}_{i\in u^{-1}(j)}A_{i} \longrightarrow \widehat{\otimes ^{\mathbb {L}}_{i\in u^{-1}(j)}A_{i,0}}, \end{aligned}$$

induit par le plongement de Yoneda restreint à

$$\begin{aligned} \otimes ^{\mathbb {L}}_{i\in u^{-1}(j)}A_{i,0} \hookrightarrow \otimes ^{\mathbb {L}}_{i\in u^{-1}(j)}A_{i}. \end{aligned}$$

Ainsi, si l’on pose

$$\begin{aligned} B_{j}:=\widehat{\otimes ^{\mathbb {L}}_{i\in u^{-1}(j)}A_{i,0}}, \end{aligned}$$

on dispose d’un morphisme \((R,[n],A) \rightarrow (S,[m],B)\), que l’on voit facilement être dans la sous-\(\infty \)-catégorie \(C\). De plus, le théorème [40, Thm. 7.2] implique qu’un relèvement de ce morphisme en un morphisme de \(\mathcal {C}\) est cocartésien dans \(\mathcal {C}\). Ceci termine de montrer que \(\mathcal {C}\) est fibrée.

Finalement, on utilise de nouveau la proposition 2.4 en appliquant cette fois le foncteur \(\mathbb {R}Se_{sk-Comm\times \Gamma }\) pour obtenir un nouveau foncteur

$$\begin{aligned} sk-Comm \times \Gamma \longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}_{\mathbb {W}}, \end{aligned}$$

où encore un foncteur

$$\begin{aligned} sk-Comm \longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}_{\mathbb {W}}^{\Gamma }. \end{aligned}$$

Il n’est pas difficile de voir que ce foncteur se factorise en

$$\begin{aligned} sk-Comm \longrightarrow \infty -{\mathbf {Cat}}^{\otimes }_{\mathbb {W}}. \end{aligned}$$

Il envoie équivalences sur équivalences et donc induit un \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} \mathbb {D}g : dAff_{k} \longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{\mathbb {W}}. \end{aligned}$$

Pour \(R \in sk-Comm\) la catégorie symétrique monoïdale \([\mathbb {D}g(R)]\) est naturellement équivalente à \({{\mathrm {Ho}}}(dg-cat_{R})^{ct}\), la sous-catégorie des dg-catégories \(\mathbb {U}\)-compactement engendrées et dg-foncteurs continus. Sa structure monoïdale \(\otimes ^{ct}\) est donnée par la formule

$$\begin{aligned} \widehat{A_{0}} \otimes ^{ct} \widehat{B_{0}} \simeq \widehat{A_{0}\otimes ^{\mathbb {L}}B_{0}}. \end{aligned}$$

De même, le foncteur de changement de bases pour \(R \rightarrow S\) est donné par

$$\begin{aligned} S\otimes ^{ct}_{R} \widehat{A_{0}} \simeq \widehat{S\otimes ^{\mathbb {L}}_{R}A_{0}}. \end{aligned}$$

Le théorème [40, Thm. 7.2] implique alors que \([\mathbb {D}g(R)]\) est rigide pour tout \(R\): en effet, le dual de \(\widehat{A_{0}}\) n’est autre que \(\widehat{A_{0}^{op}}\), et le morphisme d’unité

$$\begin{aligned} \widehat{{\mathbf {1}}} \longrightarrow \widehat{A_{0}\otimes ^{\mathbb {L}}A_{0}^{op}} \end{aligned}$$

n’est autre que le \(A_{0}\)-bi-dg-module \((a,b) \mapsto A(b,a)\).

De plus, d’après [44, Thm. 0.2], une forme tordue de dg-catégories compactement engendrées est encore compactement engendrée, ce qui implique que le préchamp \(\mathbb {D}g\) est en réalité un champ pour la topologie étale (et même fppf). Comme chaque \(\mathbb {D}g(R)\) est une \(\infty \)-CMS rigide, nous venons ainsi de construire un \(\infty \)-topos catannelé rigide \((dAff_{k}^{\sim ,et},\mathbb {D}g)\).

Appliquons la construction du pré-caractère de Chern de la définition 4.7 au \(\infty \)-topos catannelé rigide \((dAff_{k}^{\sim ,et},\mathbb {D}g)\). Il s’agit, pour \(X \in dAff_{k}^{\sim ,et}\) un \(k\)-champ dérivé, d’une application

$$\begin{aligned} Ch^{pr} : [\mathbb {D}g(X)]/iso \longrightarrow HC^{pr}_{0}(X). \end{aligned}$$

La catégorie \([\mathbb {D}g(X)]\) est la catégorie homotopique des champs en dg-catégories compactement engendrées parametrés par \(X\). D’autre part, le \(\infty \)-foncteur \(End_{\mathbb {D}g}({\mathbf {1}})\) s’identifie au pré-champ des complexes quasi-cohérents sur \(dAff_{k}^{\sim ,et}\), et nous savons que ce préchamp est un champ (voir [51, §2.2]). Ainsi, on a

$$\begin{aligned} HC^{pr}_{0}(X) \simeq \pi _{0}(End_{\mathbb {D}g}({\mathbf {1}})(X^{S^{1}})^{hS^{1}}) \simeq D_{qcoh}^{S^{1}}(X^{S^{1}})/iso, \end{aligned}$$

\(D_{qcoh}^{S^{1}}(X^{S^{1}})\) est la catégorie dérivée des complexes quasi-cohérents \(S^{1}\)-équivariants sur \(X^{S^{1}}\) (c’est à dire des complexes quasi-cohérents sur le champ quotient \([X^{S^{1}}/S^{1}]\)). Ainsi, le pré-caractère de Chern d’un champ \(A\) en dg-catégories compactement engendrées sur \(X\) est un complexe quasi-cohérent \(S^{1}\)-équivariant

$$\begin{aligned} Ch^{pr}(A) \in D_{qcoh}^{S^{1}}(X^{S^{1}})/iso. \end{aligned}$$

La fibre de \(Ch^{pr}(A)\) en un point \(\gamma : S^{1} \longrightarrow X\), est l’homologie de Hochschild de la fibre \(A_{\gamma (*)}\) à coefficient dans l’endomorphisme de monodromie de \(\gamma \) (qui est une autoéquivalence de \(A_{\gamma (*)}\)). Le (complexe de) faisceau \(Ch^{pr}(A)\) peut être vu comme le faisceau d’anomalies de \(A\), au sens où ce terme est utilisé dans [4, §6.2].

Nous allons terminer ce parapraphe par deux cas particulier du pré-caractère de Chern ci-dessus.

Connexion de Gauss-Manin non-commutative. Supposons que \(X\) soit un schéma lisse sur \(k\) de caractéristique nulle. Soit \(\mathcal {D}_{X}\) le faisceau des opérateurs différentiels sur \(X\). On construit un faisceau de \(k\)-dg-algèbres sur \(X\) en posant

$$\begin{aligned} \mathcal {R}_{X}:=\left( \oplus _{i\in \mathbb {N}}\mathcal {D}_{X}^{\le i}[-2i]\right) , \end{aligned}$$

\(\mathcal {D}_{X}^{\le i}\) est le sous-faisceau des opérateurs différentiels de degré inférieur à \(i\). C’est un faisceau de \(k[u]\)-dg-algèbres sur \(X\), où \(u\) une variable placée en degré \(2\) et opérant par les inclusions naturelles

$$\begin{aligned} u. : \mathcal {D}_{X}^{\le i} \hookrightarrow \mathcal {D}_{X}^{\le i+1}. \end{aligned}$$

On peut vérifier (voir par exemple [1]) que le faisceau \(\mathcal {R}_{X}\) est la dg-algèbre des endomorphismes de l’objet \(\mathcal {O}_{X}\) vu dans \(D_{qcoh}^{S^{1}}(X^{S^{1}})\) par le foncteur d’image directes le long de l’inclusion naturelle \(X \hookrightarrow X^{S^{1}}\). Ainsi, à l’aide du foncteur \(E \mapsto \mathbb {R}\underline{{{\mathrm {Hom}}}}(\mathcal {O}_{X},E)\) on construit un foncteur

$$\begin{aligned} \phi : D_{qcoh}^{S^{1}}(X^{S^{1}}) \longrightarrow D_{qcoh}(\mathcal {R}_{X}). \end{aligned}$$

Ce foncteur, restreint aux objets satisfaisant certaines conditions de finitudes convenables est de plus une équivalence de catégories, mais nous nous contenterons ici de son existence.

Soit maintenant \(A \in \mathbb {D}g(X)\) un champ en dg-catégories compactement engendrées sur \(X\). Son pré-caractère de Chern \(Ch^{pr}(A)\) est un objet dans \(D_{qcoh}^{S^{1}}(X^{S^{1}})\), qui, à l’aide du foncteur \(\phi \), peut être vu comme un objet

$$\begin{aligned} \phi (Ch^{pr}(A)) \in D_{qcoh}(\mathcal {R}_{X}). \end{aligned}$$

Cet objet donne lieu d’une part à un \(\mathcal {D}_{X}\)-module \(\mathbb {Z}/2\)-gradué

$$\begin{aligned} GM(A):=\phi (Ch^{pr}(A))[u^{-1}] \in D_{qcoh}(\mathcal {R}_{X}[u^{-1}])\simeq D_{qcoh}^{\mathbb {Z}/2}(\mathcal {D}_{X}), \end{aligned}$$

et d’autre part à un gradué associé

$$\begin{aligned} Char(A)\!:=\!\phi (Ch^{pr}(A)[u=0]) \!\in \! D_{qcoh}(\mathcal {R}_{X}\otimes _{k[u]}^{\mathbb {L}}k)\!\simeq \! D_{qcoh}(Sym_{\mathcal {O}_{X}}(\mathbb {T}_{X}[-2])). \end{aligned}$$

L’objet \(GM(A)\) n’est autre que le complexe d’homologie périodique de \(A\) relativement à \(X\), muni d’une connexion plate: la connexion de Gauss-Manin. Nous ne comparerons pas ici cette connexion avec les connexions de Gauss-Manin apparaissant dans d’autres contextes. D’autre part, \(Char(A)\) est le module caractéristique du \(\mathcal {D}_{X}\)-module \(GM(A)\), associé à une certaine filtration: la filtration de Hodge. De même, nous ne comparerons pas ici cette filtration avec les connexions de Gauss-Manin apparaissant dans d’autres contextes. L’objet global \(\phi (Ch^{pr}(A))\) contient ainsi la connexion de Gauss-Manin et la filtration de Hodge, toutes deux définies sur le complexe d’homologie périodique de \(A\). Il faut donc comprendre l’objet \(\phi (Ch^{pr}(A))\), et donc l’objet \(Ch^{pr}(A)\) car \(\phi \) n’est pas bien loin d’être une équivalence de catégorie, comme la partie algébrique de la variation de structures de Hodge associée à \(A\) , vu comme une famille de variétés non-commutatives paramétrée par \(X\) (au sens de [19]).

Faisceaux des caractères d’une représentation dg-catégorique. Soit \(G\) un groupe algébrique sur un corps \(k\) et \(X=BG\). Soit \(A\) un champ en dg-catégories compactement engendrées sur \(X\). Un tel objet est une représentation dg-catégorique de \(G\). On peut en construire en prenant par exemple une dg-catégorie \(T\) dont le groupe des autoéquivalences forme un groupe algébrique (par exemple lorsque \(T\) est saturée, voir [46, Cor. 3.26]), et en considérant une représentation de \(G\) dans ce groupe. De telles représentations catégoriques apparaissent aussi dans le contexte de la correspondance de Langlands géométrique (voir par exemple [9, §21]). Le pré-caractère de Chern pour \(A\) fournit alors un complexe quasi-cohérent sur \(G\), qui est d’une part équivariant pour l’action de \(G\) sur lui-même par conjugaison, et d’autre part muni d’une action compatible de \(S^{1}\)

$$\begin{aligned} Ch^{pr}(A) \in D_{qcoh}^{S^{1}}([G/G]) \end{aligned}$$

(remarquer que \(S^{1}\) opère naturellement sur \(X^{S^{1}}\simeq [G/G]\)). Par définition, ce complexe quasi-cohérent est le (complexe de) faisceau des caractères de la représentation de \(G\). La restriction de ce complexe dans un voisinage formel de \(e\in G\) fournit de nouveau un complexe de \(\mathcal {R}_{X}\)-modules, de nouveau correspondant à la variation de structures de Hodge associée à \(A\) (voir [1, Cor. 5.6]). Cependant, l’objet \(Ch^{pr}(A)\) contient plus d’informations que cette variation car il n’est plus vrai que le foncteur \(D_{qcoh}^{S^{1}}(X^{S^{1}}) \longrightarrow D_{qcoh}(\mathcal {R}_{X})\) est une équivalence lorsque \(X\) est un champ (même en imposant des conditions de finitudes). Par exemple, lorsque \(G\) est fini, le complexe \(Ch^{pr}(A)\) se souvient d’une information non triviale de la représentation \(G\) alors que le \(\mathcal {R}_{X}\)-module correspondant ne voit que l’action de \(G\) induite sur l’homologie cylique de \(A\). La situation est en réalité tout à fait similaire à celle pour le caractère de Chern des complexes parfaits que nous avons décrite dans le paragraphe §5.2.

5.4 Familles de dg-catégories saturées et homologie cyclique secondaire

Nous terminerons cette section par un rafinement des constructions du paragraphe précédent obtenu en rajoutant une condition de finitude sur les dg-catégories considérées. Pour cela, nous revenons au \(\infty \)-topos catannelé \((dAff_{k}^{\sim ,et},\mathbb {D}g)\). Pour tout \(R\in sk-Comm\) la catégorie \([\mathbb {D}g(R)]\) s’identifie à la catégorie homotopique des dg-catégories sur \(R\), compactement engendrées, et des morphismes continus. Nous dirons qu’un morphisme dans \([\mathbb {D}g(R)]\) est compact, s’il correspond à un dg-foncteur \(A \longrightarrow B\) dont le foncteur induit \([f] : [A] \longrightarrow [B]\) préserve les objets compacts (rappelons ici que les catégories \([A]\) et \([B]\) sont naturellement triangulées, et qu’un objet \(x\) d’une catégorie triangulée est compact si \([x,-]\) commute aux sommes). De manière équivalente, \(f\) est compact si et seulement si son adjoint à droite (au sens dg-catégorique) est un dg-foncteur continu. On dispose ainsi d’une sous-catégorie, non pleine, \([\mathbb {D}g^{c}(R)] \subset [\mathbb {D}g(R)]\) formée des morphismes compacts. Il n’est pas difficile de voir que ces sous-catégories sont stables par la structure monoïdale \(\otimes ^{ct}\), ainsi que par les changement de bases par des morphismes \(R \rightarrow S\) dans \(sk-Comm\). Ainsi, si pour \(R \in sk-Comm\), on définit \(\mathbb {D}g^{c}(R) \subset \mathbb {D}g(R)\) par la carré cartésien suivant

alors \(R \mapsto \mathbb {D}g^{c}(R)\) définit un sous-\(\infty \)-foncteur de \(\mathbb {D}g(R)\). Cependant, pour une dg-catégorie \(A \in [\mathbb {D}g(R)]\), les morphismes d’unité et de co-unité

$$\begin{aligned} \widehat{{\mathbf {1}}} \longrightarrow A \otimes ^{ct}A^{\vee } \qquad A \otimes ^{ct}A^{\vee } \longrightarrow \widehat{{\mathbf {1}}} \end{aligned}$$

ne sont pas des morphismes compacts en général. Cela implique que les objets de \(\mathbb {D}g^{c}(R)\) ne sont plus rigides en général.

Par définition, une dg-catégorie \(A \in \mathbb {D}g(R)\) sera dite saturée si elle est rigide en tant qu’objet de la \(\infty \)-CMS \(\mathbb {D}g^{c}(R)\). Nous noterons \(\mathbb {D}g^{sat}(R)\) la sous-\(\infty \)-CMS pleine formée des objets rigides dans \(\mathbb {D}g^{c}(R)\). Cela définit un nouveau \(\infty \)-foncteur

$$\begin{aligned} \mathbb {D}g^{sat} : (dAff_{k}^{\sim ,et})^{op} \longrightarrow \infty -\underline{{\mathbf {Cat}}}^{\otimes }_{rig}. \end{aligned}$$

Le pré-champ \(\mathbb {D}g^{sat}\) est un sous-champ \(\mathbb {D}g\), car on vérifie qu’être saturé est une condition locale pour la topologie étale (voir [44] pour plus de détails). On dipose ainsi d’un \(\infty \)-topos catannelé rigide \((dAff_{k}^{\sim ,et},\mathbb {D}g^{sat})\).

Soit maintenant \(X\) un champ algébrique au sens d’Artin. On a

$$\begin{aligned} HC_{0}^{pr}(X)\simeq D_{parf}^{S^{1}}(X^{S^{1}})/iso, \end{aligned}$$

\(D_{parf}^{S^{1}}(X^{S^{1}})\) est la sous-catégorie pleine de \(D_{qcoh}^{S^{1}}(X^{S^{1}})\) formée des objets dont le complexe quasi-cohérent sous-jacent est parfait sur \(X^{S^{1}}\). Le pré-caractère de Chern induit ainsi une application

$$\begin{aligned} Ch^{pr} : [\mathbb {D}g^{sat}(X)]/iso \longrightarrow D_{parf}^{S^{1}}(X^{S^{1}})/iso. \end{aligned}$$

Cette application est de plus compatible avec le pré-caractère de Chern du \(\infty \)-topos catannelé \((dAff_{k}^{\sim ,et},\mathbb {D}g)\), ce qui fournit un diagramme commutatif

On déduit de cela et des considérations sur l’existence de la connexion de Gauss-Manin sur l’homologie périodique du paragraphe précédent le fait important suivant.

Corollaire 5.9

Soit \(X\) un schéma lisse sur \(k\) de caractéristique nulle et \(A \in [\mathbb {D}g^{sat}(X)]\) une famille de dg-catégories saturées paramétrée par \(X\). Alors les faisceaux d’homologie périodique \(HP_{i}(A)\) sont des fibrés vectoriels sur \(X\).

Revenons au cas où \(X\) est un champ algébrique sur \(k\) quelconque et au morphisme

$$\begin{aligned} Ch^{pr} : [\mathbb {D}g^{sat}(X)]/iso \longrightarrow D_{parf}^{S^{1}}(X^{S^{1}})/iso. \end{aligned}$$

Soit \(A \in [\mathbb {D}g^{sat}(X)]\). Le complexe parfait \(S^{1}\)-équivariant \(Ch^{pr}(A)\) possède lui-même un pré-caractère de Chern décrit dans le paragraphe §5.2, qui est un élément dans

$$\begin{aligned} Ch^{pr}(Ch^{pr}(A)) \in \pi _{0}(\mathcal {O}((X^{S^{1}})^{S^{1}})^{hS^{1}}). \end{aligned}$$

Or, \((X^{S^{1}})^{S^{1}}\simeq X^{S^{1}\times S^{1}}\), et ainsi le fait que \(Ch^{pr}(A)\) soit \(S^{1}\)-équivariant implique que \(Ch^{pr}(Ch^{pr}(A))\) est un élément dans

$$\begin{aligned} \pi _{0}(\mathcal {O}(X^{S^{1} \times S^{1}})^{hS^{1}\times S^{1}}). \end{aligned}$$

Ceci définit une nouvelle application

$$\begin{aligned} Ch^{pr,(2)} : [\mathbb {D}g^{sat}(X)]/iso \longrightarrow \pi _{0}(\mathcal {O}(X^{S^{1}\times S^{1}})^{hS^{1}\times S^{1}}). \end{aligned}$$

Le membre de droite de cette application est, par définition, la pré-homologie cylique secondaire de \(X\) et sera notée

$$\begin{aligned} HC_{i}^{pr,(2)}(X):=\pi _{i}(\mathcal {O}(X^{S^{1} \times S^{1}})^{hS^{1}\times S^{1}}). \end{aligned}$$

Il faut penser à \(HC_{i}^{pr,(2)}(X)\) comme à l’homologie cyclique \(S^{1}\) -équivariante de \(X^{S^{1}}\). Lorsque \(X\) est un schéma lisse sur \(k\) de caractéristique nulle nous pensons que \(HC_{i}^{pr,(2)}(X)\) possède une description en termes de complexe de de Rham secondaire. Nous espérons ainsi pouvoir décrire, au moins partiellement, \(Ch^{pr,(2)}(A)\) en termes de la variation de structures de Hodge \(HP_{*}(A)\) induite sur \(X\). Nous reviendrons sur cette question dans un travail ultérieur.